Le Médoc se livre entre les pages de Christian Coulon !

Le Médoc se livre entre les pages de Christian Coulon !

Après avoir dégusté les mets du Médoc, Christian Coulon récidive à travers une chronique d’une quarantaine de textes, qui narrent le pays, ses habitants, leurs mœurs et coutumes, leur langue d’OC, une certaine identité liée à la géographie physique des lieux. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les Médoquins, par l’un des leurs, pur souche, l’eau à la bouche de son pays qu’il adore.

A Virginie Dumas Coulon, avec toute ma solidarité contre le fascisme ambiant et pour la culture libre et fraternelle dans le Médoc.

Après avoir croqué avec succès les pratiques culinaires et gastronomiques du Sud-Ouest, Christian Coulon coule une retraite studieuse. Professeur « émérite » (quel titre pompeux, à côté, les professeurs des écoles, qui côtoient eux toutes la population, en prennent pour leur grade, dans le mépris affiché des assujettis prolos de l’enseignent) en sciences politiques. Il est aussi spécialiste de l’islam en Afrique. Autrement dit, un homme cultivé qui ramène sa fraise universitaire, selon le bréviaire acquis de ses connaissances, qu’il nous livre en partance pour un voyage dans le Médoc, celui du terroir foutraque et dense.

Dès le prologue, l’auteur tente de faire sauter les poncifs et stéréotypes qui ont la dent dure contre les médocains. Il articule ses propos dans une « approche humaniste (qui) est la seule qui permette d’aller au-delà des apparences immédiates, des idées toutes faites, des conceptions préétablies, des clichés formatés qui, si souvent marquent notre vision des autres et quelque fois de nous-même  ». (page 8) Qu’il en soit loué !

Le bel ami en la personne de la Boétie, à juste raison, Christian le vénère. Huit parties ponctuent la respiration de ce livre très riche et touffu. L’histoire, il était une fois, sauf que le Médoc ne représente pas la sinécure d’un conte de fée. Dans son éloge des bons sauvages qui n’usurpent pas la mauvaise réputation dans la bouche d’un Brassens, il s’y entend. Les Médocains ont la géographie mouvante contre eux et « De loin on dirait une île  » selon Eric Holder l’écrivain majeur et fin éclaireur. Ce territoire est pris au piège des eaux de l’océan et de la grande mer qui se veut rivière. De ce mélange détonnant entre l’eau salée et l’eau chargée de limons, balayée par les tempêtes d’hiver et le souffle des courants, sonne le grabuge. Le caractère endurci de ses habitants se pose comme un acte de bravoure et de résistance, à ne jamais se faire happer par les chahuts extérieurs des pays voisins. Ils ont déjà trop à faire avec leurs propres terres. « De leur côté, les Médocains valorisent cette marginalité, cette insularité et cet esprit d’autonomie. Ils en font une arme de défense de leurs modes de vie. Leur »différence » leur tient lieu d’identité ». (page 28)
Ils ont leurs sorcières, leurs pirates, leurs guérisseurs qui hantent jusque de nos jours dans les mémoires.

Christian Coulon a baigné dès l’enfance de l’art dans cet univers aux mille contrastes. Il en garde au cœur un amour immodéré pour la région et ses habitants. Au point même qu’il nous avoue son invitation au voyage.
« Mon tribalisme médoquin a été la meilleure porte d’entrée de mon implication africaniste  ». (page 56)

Le vin qui coule dans vos verres de Médoc est le résultat d’une colonisation planifiée des terres. Il n’a rien d’inné.

Christian Coulon évoque parfois Henry David Thoreau comme un personnage «  loufoque » avec son mode de vie du retour à la nature dans sa cabane construite de ses propres mains dans les bois ricains. Joyeux drill le Henry David, l’ascète du retour aux sources ne devait pas se fendre la tronche tous les jours. Les néo bobos écolos qui s’en inspirent sont à l’image tiédasse de l’eau chaude qui sort du robinet du nucléaire pour alimenter leurs bagnoles qui roulent à l’électricité.
Ils ne me sont pas plus sympathiques que les viandards médocains, le fusil accroché au râtelier en signe de bienvenue. Et gare aux végétariens et autres minorités drôles à vilipender, avec les défenseurs des oiseaux migrateurs qui se font encore trouer les ailes durant leur passage éclair. On n’arrête pas le progrès des traditions, pardi !
Certains autres encore se réclament d’Henry David Thoreau dans le Médoc. Je pense aux pionniers du naturisme à Montalivet et à Euronat qui existent depuis plusieurs décennies et sont les grands oubliés dans le livre, à part une brève évocation en page 389. Et pourtant cette implantation unique des bons sauvages à poils marque les esprits des autochtones, au point de les caricaturer sous le sobriquet des « culs nus » jusque dans la presse locale.

La presse locale justement, parlons-en ! Elle fait bonne figure en couverture de l’ouvrage : « Le Journal du Médoc  » qu’il sous-titre dans un chapitre : « Le pays raconté et analysé  ». Il y puise moult actualités du petit pays. Personnellement née en Afrique et immigrée Singette dans le Médoc, je m’y ennuie ferme à sa lecture. Cette opinion ne tient qu’à moi !

Puisque que Christian Coulon est un bon vivant, il aime manger et trinquer. Il écrit avec son estomac et pense avec sa tête. L’ouvrage est tronqué d’images gastronomiques, au point même que parfois il noie le poisson, avant de lui jeter la bouée. Ainsi dans son évocation de trois cités, il nous parle de Lesparre sous-préfecture, dont la culture s’orne d’un petit festival de jazz et l’élection de Miss Prestige pour y finir à la table de deux restos, dont il nous vente les noms.
Je caricature à peine. Si je m’abuse le livre a été fini de rédiger en janvier 2014 et forcément, à la décharge de l’auteur, les événements que je vais vous narrer y sont postérieurs. Histoire aussi de prouver que la culture ne rime pas toujours avec agriculture, cépage et grand âge dans le Médoc !

La culture c’est aussi toute l’œuvre mise en chantier par Virginie Dumas Coulon et toute son équipe du Centre Culturel de Lesparre, « Au fil des mots  » et toutes ses actions tout au long de l’année. C’est l’expression libre qu’elle a offerte à des artistes et des auteur(e)s, par son ouverture d’esprit et son courage de jeune femme emblématique qui défiait les ailes des moulins à vent médocains. Résultat des courses, elle a été remerciée et donc bâillonnée sous un subterfuge fallacieux de soi-disant demande d’augmentation de subvention ! http://www.sudouest.fr/2014/06/30/un-clap-de-fin-brutal-le-dernier-gala-1600573-2964.php

En attendant, à Pauillac, Saint-Vivien… le front national a plafonné à 40 % des maigres suffrages exprimés. En bâillonnant la culture, la mairie de Lesparre soutient sciemment le fascisme ordinaire qui sévit déjà dans le Médoc et représente l’esprit étriqué et rétrograde qui persiste et siffle déjà dans le Médoc. Quand Le merle moqueur du temps des cerises va-t-il enfin se réveiller et entrer en résistance contre l’esprit réactionnaire qui façonne le Mur de la honte médocaine ?
Dans le centre-ville en jachère de Lesparre, au 68 rue Jean-Jacques Rousseau où la plupart des boutiques ont tiré le rideau de fer, Artémis, salon de thé, café relève la tête et propose des manifestations culturelles l’été dans ses jardins. C’est aussi le local de la ruche médocaine : http://www.leforumdumedoc.com/t1373-la-ruche-qui-dit-oui-arrive-a-lesparre#2402 qui propose des produits du terroir et de qualité.

Le texte qui s’intitule « L’affaire du port méthanier et l’avenir du Nord-Médoc  » est excellent en bien des points. Dans ma rubrique « Gens du Médoc », j’ai relaté à maintes reprises le combat valeureux et gagné des deux rives de la Gironde contre cette saloperie d’usine à gaz. Christian Coulon insiste et je lui en suis infiniment reconnaissant, sur le fait que la Pointe du Médoc représente un véritable couloir de la pauvreté affirmée (page 406). Autant le Médoc peut se révéler réac et désespérant avec ses chasseurs raliés la plupart au front national et la culture qu’on assassine sciemment actuellement à Lesparre. Autant, comme il le précise de façon très fine, en s’appuyant sur les travaux de Pierre Sadran, la lutte contre le terminal méthanier « a été à l’origine d’un renouvellement de culture politique et locale, qui a évolué d’une attitude de défense traditionnelle de défense primaire à la « construction d’une société civile ouverte à l’extérieur  ». (page 408)
Les riverains de l’estuaire qui ne pouvaient pas se blairer, les chasseurs et les écolos tous presque unis derrière l’association Une Pointe pour tous ont rassemblé leurs forces et ont vaincu.

Vous l’aurez compris, malgré mes quelques critiques très personnelles, cet ouvrage conséquent représente un énorme travail de la part de son auteur, pour lequel je suis enthousiaste. Il se lit facilement et est très documenté. Un léger bémol pour ce style d’ouvrage en sciences humaines, dommage qu’il ne soit pas doté d’un index pour retrouver plus facilement les lieux et les personnalités évoqués. Il se butine selon ses humeurs et embrasse toute l’histoire des gens du Médoc, avec le caractère de son auteur, un universitaire à ne pas confondre avec un littéraire. Même s’il évoque des auteurs que je ne connaissais pas. Il m’a beaucoup appris et je le remercie.

Il demeure cependant dans le politiquement correct, assujetti dans son dernier chapitre, en connaissance de cause, puisqu’il sait pertinemment que le chapitre final (à ne surtout pas confondre avec la lutte finale) d’un ouvrage touche toujours les esprits. Il évoque la personnalité d’un entrepreneur basé à Gaillan en Médoc qui a réussi son pari économique de s’implanter et d’engager moult employés du terroir Il site d’autres entreprises du même acabit. Je m’étonne et m’insurge d’y retrouver mon amie Delphine Montalant, éditrice, qui ne s’inscrit pas dans aucun schéma directeur capitalistique attendu. Elle va son chemin sur ses coups de cœur et la bouquinerie. Elle organise, comme vous le savez, des manifestations culturelles fraternelles et fréquente assidument le marché de Montalivet en été, exposant son stand de livres.

Clin d’œil à mon ami Joan Pau Verdier http://joanpauverdier.free.fr/actualite.htm auteur compositeur interprète libertaire et poète occitan d’un pays proche du Médoc , sous l’influence artistique duquel je suis venu m’installer dans cette région.

Clin d’œil aussi à mon amie Marie-Christine Moreau, ex éditrice à La Part des Anges. Christian Coulon évoque cette langue d’Oc du Médoc à travers différentes personnalités. Il expose aussi certaines racines mauresques du Médoc. Pied de nez à tous les fachos qui fantasment sur les bronzés qu’ils croient n’avoir jamais rencontrés sous leur nez et qui pourtant jaillissent du passé.
« Que les médoquins aient quelque chose à voir, d’une certaine façon ou d’une autre, avec le monde arabo-musulman nous permet de considérer d’une manière plus ouverte notre identité, qui est faite de multiple éléments historiques et culturels. Du même coup, ces histoires « mauresques » nous font regarder d’un autre œil les communautés immigrées venues du Maghreb. Leur présence en Médoc, ou ailleurs en pays d’oc, constitue la suite de l’histoire de la leur, comme de la nôtre. Le palais arabe de Gironville est notre patrimoine commun, une heureuse allégorie des aventures de cette identité composite que nous avons tant de mal à admettre  ». (page 148)

Je vous recommande cet ouvrage, que vous soyez médocains ou non. Je vous rassure, depuis 8 ans que je crèche sur ses terres, je ne deviendrai jamais médoquine. Ma trop chère liberté n’a pas de prix. Ce qui ne m’empêche pas d’entrer en résistance intense contre toutes les formes de fascisme ordinaires qui s’y distillent une gueule d’atmosphère parfois irrespirable.

Bonne lecture de cet ouvrage de Christian Coulon, avec votre propre verve et votre esprit critique et basta.

Christian Coulon : Médoc Les valeurs du lieu et autres textes, éditions Confluences, avril 2014, 320 pages, 20 euros