Bonjour tristesse, les clichés d’une pauvre petite fille riche !

Bonjour tristesse, les clichés d'une pauvre petite fille riche !

Si « On n’est pas sérieux quand on a dix-huit ans » (Rimbaud), je m’étais dit qu’est-ce que ça doit être dans sa tête et son corps quand on en a que quatorze, l’âge de Carmen Bramly quand elle a écrit Pastel fauve, son premier roman ! Mazette ma coquette, l’île de Bréhat la veille du nouvel an, c’est pire encore que le désert du Médoc en hiver ! Surtout avec des personnages d’ados vaniteux qui imitent leurs parents de la bourgeoisie cramoisie et ne possèdent aucune once d’imagination ni encore moins de révolte, tellement ils sont englués dans le moule de la reproduction des clichés. Ce roman est terne dans sa globalité, de la légèreté de l’intrigue au style convenu, on s’ennuie ferme ! Pour rien au monde on voudrait ressembler à ces jeunes !

L’histoire se résume en deux lignes : Paloma l’héroïne, la clone de Carmen, retrouve sur l’île de Bréhat, Pierre son ami d’enfance, qu’elle n’a pas vu depuis un an. Il ne se passe pour ainsi dire rien à part des remugles de langage adulte chez une gamine qui rêve de se faire sauter par Pierre. Scénario convenu ! Mais, vous allez en entendre parler à la rentrée littéraire, sur tous les médias, de la nouvelle géniale gamine en pleine crise existentielle, qui coule son nombril sur le papier velu des apparences séniles.

Je n’ai encore jamais eu de garçon dans mon lit. Mes désirs restent emprunts d’une pureté virginale qui me fait obligatoirement concevoir l’acte d’amour comme sincère et beau. (…) Si ça te trouve, les choses sont plus compliquées que je ne les imagine. (page 14)

Et pour obtenir l’objet si convoité, il faut que ça saigne bien fort, c’est la lutte finale sur un champ de bataille. Ces deux là, issus de la caste des dominants comme leurs parents, s’y accordent à merveille, avec les émoluments du fonctionnement des battants et des gagnants. ! Règle du jeu : tendre des pièges, sous entendre les choses, être implicite dans ses actions comme dans ses paroles, le tout avec séduction. (page 25) Un point pour moi, mais la bataille n’est pas gagnée. (…) Qu’importe, je finirai bien par rattraper ce point perdu. (page 26) J’ai perdu la première manche, mais fais gaffe, je vais te pulvériser à la deuxième… (page 29) Simon était plus facile à mater. Un peu de frustration suffisait à susciter son désir. (page 80)

Visez également un peu le verbiage recherché dans la bouche de Pierre : Ne joue pas les affligés. Vous en connaissez beaucoup d’ados qui jactent de la sorte autour de vous ? Il faut quand même vous dire que Paloma a lu les Misérables à l’âge de sept ans et a été trop gavée de littérature classique ! Ceci expliquant sans doute cela. Foutre, dans ce milieu des enfants dorés du 6ème arrondissement de Paname on s’emmerde, alors il faut trouver des dérivatifs à son ennui congénital. Oh moi… Tu connais l’Alsacienne, tu vois le genre ? Je sais, vous avez un coma éthylique par soirée et une junkie de seize ans qui se shoote dans les toilettes. (page 37) Jésus Marie ! Nous à Fénélon, finis-je par dire, on a tout le temps des blocus et vous ? Nous, non. Le petit bourge n’aime pas sortir dans le froid avec des banderoles, et puis la rue, c’est insalubre. (page 38)

J’suis snob, c’est le seul défaut que j’gobe (Boris Vian) sauf que, faut vous dire monsieur que chez ces jeunes là, l’humour et la dérision il faut creuser entre les lignes. Bonjour la sinistrose ! On ne refait jamais le monde on le reproduit sans aucun esprit critique ! En gros, dit-il en reprenant un ton normal, tu te poses à la terrasse du Flore et, tout en lisant Le Canard enchaîné, tu prônes la nécessité pour la France d’avoir une élite prolétaire bien présente, et en toi-même, tu penses que si un seul de ces connards met le pied à Saint-Germain, tu l’exploses au Kärcher. Ce n’est pas plus compliqué que ça. Et pendant tes grands discours sur les inégalités du monde et la suprématie injuste des pays du Nord, tu n’oublies pas de bouffer des œufs coque à vingt euros, café non compris. Et puis tu écris aussi des livres, et te montre le dimanche au marché bio du boulevard Raspail. (page 40) Trop drôle, je me bidonne !

Non mais franchement, je préfère lire les ouvrages du couple (Pinçon – Charlot, sociologues) si je veux connaître le mode de vie de nos chers sinistres en affaires, ou la députaille affiliée à toutes les nuances de l’échiquier politicard qui en croque comme les nouveaux princes sans particule. Je me demande comment ses parents font pour dénicher des femmes de ménage où qu’ils aillent, même à Bréhat où il n’y en a que deux en tout et pour tout, que se disputent les vacanciers. Les Saint-Cyr n’ont jamais eu ce problème. Déjà lorsque enfant je venais jouer chez eux, il y avait une armada de jardiniers et de bonne en tout genre. Sa mère doit les importer de Paris. (page 63) Pfui, le petit personnel en goguette et c’est bien connu, les voyages forment les larbins !

Le cliché que j’ai préféré ma puce, c’est à propos des profs ! Il y a aussi le remplaçant de la prof de maths, brillant garçon, tout juste sorti d’HEC avec un sourire touchant et frais, qui ne semblait pas voir que toutes ses élèves de quinze ans, moins innocentes que lui, le regardaient comme si elles étaient en train de se le faire. Je le voyais touts les jours, parfois, je le croisais même à la piscine Pontoise, où il venait nager comme moi et je rougissais, bien dans mon rôle. Il a quitté le lycée au bout de trois mois, dégoûté sûrement par tout ce qu’il avait pu entendre et voir. Maintenant, il doit être banquier. (page 82) Ha ha, très chère, simple erreur d’aiguillage à son âge !

Il y a aussi les allusions au chanteur Peter Doherty, dégénéré cuit à point, dont s’éprennent toutes les filles comme l’exemple de l’anti-mec qu’elles n’auront jamais dans leur padoque. C.Q.F.D. : Carmen, qui n’a rien à voir au sens du caractère aiguisé avec le célèbre personnage d’opéra, a dédié son bouquin à Peter !

Et si on allait sur cette petite île, on rentrera tôt demain, personne ne s’en apercevra, nos parents en ont pour deux jours à cuver. On jouera Paul et Virginie sur les côtes d’Armor, et on rentrera ni vus ni connus. (page 128) Enfin un acte jouasse qui casse le ronron de l’ordinaire ! Pas de naufrage hélas, même si le roman prend l’eau de tout côté ! Pas d’errance dans le fantastique ! Le salvateur onirique, et pourtant on est en Bretagne, merdre de merdre ! Que dalle ! Il vous reste encore presque quarante pages, pour boucler les songes d’une nuit d’hiver d’une gamine terne sans humour et triste à crever de trop imiter ses darons. Bon courage !

Le Bartos me souffle (lui qui connaît la musique), que la gamine s’est quand même farcie le carmel à noircir toutes ces pages et qu’il demande mon indulgence. Est-ce un argument suffisant ? Sous prétexte de l’immaturité de la donzelle, puis-je lui accorder les circonstances atténuantes ? Non, je suis désolée ! Je suis certaine qu’il existe d’autres gamines qui ont une plume, une gamberge à faire frémir mon hémistiche. Ce pastiche conforme, cette ode à papa et maman je vous aime, je veux être à votre image et je me fiche du monde alentour. Pas de quartier en dehors du 6 ème, c’est par trop restreint comme vision terme à terne, même de la part d’une gamine de 14 ans qui manque cruellement de personnalité !

Pastel fauve de Carmen Bramly, éditions JC Lattès, 177 pages, 16 euros, 25 août 2010