Eric Holder, « De loin on dirait une île »

Eric Holder, « De loin on dirait une île »

A l’abordage pour de nouvelles aventures littéraires avec Eric Holder ou la grandeur et les servitudes d’un auteur tombé en amour d’un pays et de ses gens du Médoc.

Avant de m’installer au fin fond de la forêt du Médoc, j’avais tâté la « Symphonie grabuge » par la voix d’un Jean Vautrin écrivain qui fusait « Quand l’usine à bois, le pays jase » sur l’album « Scatrap jazzcogne (1994) de l’inénarrable homme orchestre des mots et des rythmes : Bernard Lubat, flanqué entre autre de la fameuse compagnie du poète gascon universel Bernard Manciet, qui sera évoqué avec émotion par Eric Holder.

Dites 33, docteur si ça baigne ! Tout est si bien, je me demandais puisqu’au sud du sud du département girondin tonnait révoltes et créations vociférantes, alors, au nord sur la presqu’île du Médoc entre océan Atlantique qui mouille sa chique à l’estuaire qu’on appelle la Rivière, qu’est-ce que cela pouvait bien dégommer comme caractères enfiévrés ? D’autant qu’on atteint, avec ces gens là monsieur, l’apogée ponctuée d’une rencontre du troisième type digne de nos ancêtres surréalistes en ces contrées où les points cardinaux jouent aux dominos, « si l’on regarde une carte de France, le Haut-Médoc est en bas, le Bas-Médoc en haut, (page 31). Voir également la couverture du livre.

J’étais d’autant plus intéressée de lire les réflexions d’Eric Holder au sommaire de son ouvrage. Celui qui partit sonder l’âme humaine médocaine pour y prendre racine. Celui qui cultiva le culte des présences féminines, toutes plus héroïnes fines et enjouées de se jouer l’accent chaloupé à l’étoffe de l’homme écrivain du terroir. Celui qui a déserté à jamais son existence de Briard et vit comme un Médocain.
Tout commence par le souhait à exaucer de D, la femme de sa vie : « J’aurai le sentiment de rater mon existence si je n’habitais pas près de l’océan. (…) Et je n’aimerais pas attendre d’être en retraite. (…) Je nous donnai deux ans pour déménager ». (pages 7 et 8).
Sauf que pour éclore au Médoc, il faille souvent déchanter avec les autochtones qui taxent le nouvel arrivant d’Etranger, ce qui révèle en un sens « la distance qui nous séparait, immense » (page 29). Du style des trompette de la renommée : « - Alors comme ça tu écris des livres ? demande Gary. / - Ca y est ! Je suis connu ! (…) / - Dans le pays, on lit le nom des ânes partout. » (page 162). Même si c’est dit sur un ton chantant avec « Des césures inattendues (qui) assuraient la respiration, les liaisons, un débit régulier jusqu’à ce qu’au passage d’une diphtongue, la voix s’envole au-dessus des autres lettres, toutes épelées : Alors, tu me le donnes, ce païn ? Des mots gascons s’entremêlaient au bordeluche (l’idiome de Bordeaux), voire des hispanismes », (page 20).

D’ailleurs, au fil de l’ouvrage, des terminaisons parlées du pays sont apposées avec la traduction à dessein. Comme par exemple mahoun le bruit de l’océan / le grépin le tapis de la pinède / les esclops les sabots en bois / le belou un individu discret et tant d’autres verbiages plus riches les uns que les autres !

Au fil du récit c’est une approche mouvante de l’écrivain à laquelle nous assistons, le vent en visière qui défrise le casque du pilote de la moto. Le coup de foudre pour la maison d’amour avec pour tout bagage, un sens inné de l’observation d’autrui, l’acquis de ses grands enfants, sa compagne et le bestiaire au complet.

Il se surprend même au début par ses habitudes franciliennes d’apporter un regain de vitesse à ses transports communicatifs, alors que pavoiser à pamoison de tout et de rien au pays est un sport local et loquace très pratiqué. Petit à petit il s’accorde aux accords harmonieux ambiants et constate qu’il a été contaminé. « Je m’étais donné trois ans avant que les mêmes mœurs m’irriguent. C’est fait », (page 166). Trois ans, c’est en effet le rythme qui me semble adéquat .si l’on veut comprendre et être compris de son milieu ambiant. J’en suis presque parvenue à la moitié de ma peine. Mais avec Eric Holder, je réalise ma propre compréhension des us et coutumes et autres tournures d’esprit des savants habitants de la presqu’île.

Vous pensez bien, pour combler l’improbable, même son fils rétif sur le fil du rasoir grandit, prend son autonomie et se découvre la place qui lui correspond. La nature et les cantilènes en gelées des saisons apprivoisent le littérateur. Car, que connaît le touriste enjoué par les rouleaux d’été au rayon estival du Phébus apprivoisé, lorsque les frimas et les tempétueuses tueuses d’âmes grondent la fronde et réclament leurs ondes de choc ?

Où, selon moi Missdingette la femelle singe, Eric Holder sait toucher au firmament ma sensibilité animale, c’est quand il saisit l’épure des figures féminines qu’il dresse avec tendresse et à laquelle il rend un vibrant hommage en lui décalquant de doux sobriquets : Pacahontas, Son Altesse, la Malinche, Tilde et je passe sur le chapitre des autres envoûteuses. De ce festival des communications au regard éclot du narrateur naissent des portraits de femmes attachants et luisants de toute leur splendeur à fleur de peau. Les effigies masculines singulières gratifient également le tableau des personnes chaleureuses. Il opère la magie lorsque la fiction dépasse la réalité. « Lorsque j’écris un roman, je m’efforce de donner corps à des êtres que j’aimerais connaître », (page 177). (…) Ainsi quelle stupéfaction de retrouver certaines personnes en vrai ! C’est-à-dire de les reconnaître, au détour d’une rue par hasard », (page 178). Il atteint la perfection de l’acte d’écrire qui n’est pas donné à tout le monde et encore moins à tous les littérateurs qui cultivent leur nombril et n’ont plus d’yeux pour le monde ambiant qui les entoure. Eric Holder sait aller au charbon dans un esprit de curiosité saine de la part d’un être simple et proche des gens qu’il côtoie.

Tout le livre est du même tonneau de Médoc, pour sûr ! C’est un régal pour les papilles des mirettes. Jamais je crois, un livre n’aura atteint un tel âge d’or chanté par Léo Ferré :

« Nous aurons la mer
A deux pas de l’étoile
Les jours de grand vent
Nous aurons l’hiver
Avec une cigale
Dans ses cheveux blancs
Nous aurons l’amour
Dedans tous nos problèmes
Et tous les discours
Finiront par je t’aime
Vienne vienne alors
Vienne l’âge d’or

Eric Holder : De loin on dirait une île, éditions Le Dilettante, juin 2008, 190 pages, 16 euros

A suivre : une interview d’Eric Holder pour le Mague et une autre différente dans les propos version papier pour la revue Le pavé dans la mare Moto magazine