A la gloire des bâtisseurs modernes

A la gloire des bâtisseurs modernes

L’art d’ériger a connu à la fin du XXème siècle une ère de splendeur comme si la démesure avait enfin trouvé la manière de s’adapter aux us et coutumes du moment ; une autre façon de dire que l’homme peut tout – ou presque – et qu’il sait aussi allier le magnifique avec la performance technique. Après les exploits purement fonctionnel – comme le World Trade Center – il devenait urgent de démontrer que l’architecture est toujours un art, et que monter une tour de plus de cent mètres peut aussi être un défi artistique : la tour de la Hong Kong & Shanghai Bank du célèbre architecte Foster en est l’une des preuves majeures.

Six architectes italiens, dont cinq nés après 1965, se sont penchés sur les dernières créations des cinquante dernières années pour nous offrir un livre unique, majestueux, époustouflant tant l’on est séduit à la vision de ces extraordinaires photos (les doubles pages sont littéralement à couper le souffle). Et à un "petit prix", comparé à ce qui se fait dans le domaine … Féru d’architecture, et instruit par deux parents architectes, j’ai passé mon enfance puis mon adolescence dans les livres d’art et plus particulièrement ceux traitant d’architecture. J’ai, par le passé, présenté plusieurs livres sur le sujet parus chez Taschen et/ou Actes Sud, notamment, éditeurs déjà connus pour la qualité de leur travail, mais jamais je n’avais eu un tel plaisir à contempler de si merveilleuses photographies. Car, au-delà de l’exceptionnelle qualité du tirage, les angles de prises de vue sont ici, parfois, d’une rare audace, démontrant l’extraordinaire richesse du travail de ces inventeurs fous qui ont osé construire de tels bâtiments.

Ainsi, le tour du monde en dix-sept pays nous ouvre la voie sur l’émerveillement d’un monde moderne que l’on a sous les yeux tous les jours, et que l’on ne regarde pas avec tout le respect qu’on lui doit. Ces splendeurs méritent plus d’égard, car ici, devant nous, se dressent le testament d’une époque, la trace que nous laisserons dans la poussière du monde pour dire que l’homme aura su rendre grâce à l’infinie capacité des possibles. Comme en témoigne, entre autres réalisations parmi la quarantaine présentée, la Lloyd’s of London, la Tour Swiss Re de Londres, l’Institut du monde arabe
et la Grande Arche de la Défense
à Paris, le Reichstag de Berlin, le Gazomètre B de Vienne, le Musée Guggenheim
de Bilbao, la Bibliothèque Alexandrine, la Tour Taipei 101, les Tours Petronas
de Kuala Lumpur ou encore la Cathédrale Métropolitaine de Brasilia.

Si l’on peut tenter de lier toutes ces œuvres entre elles, il n’en demeure pas moins vrai que l’architecture contemporaine est incomprise dans sa grande majorité car il ne faut pas la limiter à sa seule fonction. Très souvent en milieu urbain, les édifices n’ont pas un seul rôle à jouer comme, par exemple, réhabiliter l’urbanisme vampirisé par l’expansion illimitée et excessive de la construction anonyme. Bien au contraire, l’œuvre ainsi créée porte en elle les germes d’une philosophie axée sur les formes, elle explore l’univers et agit en fonction des avancées techniques et des visions artistiques de son auteur. Elle témoigne d’une époque et ouvre une voie vers un futur proche, comme le ferait un poète ou un romancier en tentant d’aller au-delà de l’homme pour lui démontrer le possible encore à faire. Le symbole de l’œuvre architecturale permet d’inciter à la réflexion et d’ouvrir le débat sur la nécessité d’une culture homogène qui acceptera toutes les formes même si elles peuvent paraître étrangères à la culture des lieux car c’est de cette manière que l’on brise le cercle.

Ce livre vous emmènera sur les frontières des possibles mis en perspective au sein même de nos villes et démontrera que la variété des approches dans l’élaboration de projets conçus par un même architecte n’a d’égale que sa volonté de s’intégrer au plus près du milieu d’accueil. Les nombreuses planches de croquis, plans et coupes vous permettront de suivre l’évolution du projet jusqu’à sa réalisation. Et de bien comprendre que chaque choix ne porte pas seulement sur le statut de l’objet édifié mais qu’il entraîne dans son sillage un questionnement sur sa condition globale dès l’instant où il se revendique comme un fait architectural qui devient le ciment des disciplines qui l’on façonné.

Cette iconographie dédiée aux chefs-d’œuvre de l’architecture contemporaine est un extraordinaire témoignage qui démontre que les héritiers de Le Corbusier et Franck L. Wright sont dignes de leurs pairs même si l’on a parfois l’impression que leurs réalisations agissent dans un désordre "organisé", un espace explosé, une dysharmonie cohérente où l’esthétique ne serait plus qu’une conséquence d’un parti pris. Mais derrière les études et les qualificatifs, les modes et les analyses, demeurent la richesse des talents, le mystère des atmosphères, les jeux de lumière, les émotions suscitées et souvent comparables à celles ressenties à la vue des grandes architectures du passé. Car l’Architecture est un art alliant la magie aux mathématiques en donnant naissance à un espace indicible dont le charme est en dehors de la fonction auquel l’édifice était destiné. Rêve et amour.

Valeria Manferto De Fabianis (sous la direction de), Chefs-d’œuvre de l’Architecture Contemporaine, traduit de l’italien par Maria Rosa Chiapparo, broché sous jaquette couleurs, 260 x 365, éditions White Star, février 2007, 303 p. – 29,90 €