Interview : Philippe Pasquet, activiste de l’art !

Interview : Philippe Pasquet, activiste de l'art !

Il est des artistes dont on sait immédiatement en pénétrant dans leurs galeries virtuelles ou réelles qu’ils sont indéniablement en phase avec leur époque. Philippe Pasquet est de ceux-là. Créateur discret, modeste et humble comme tous les grands artisans de l’art, Pasquet n’est pas à ranger dans la catégorie des narcissiques ou des poseurs mondains. Pasquet observe le monde et jette sur ses grands toiles un vrai discours militant, un œil et une sorte d’énergie fédératrice, hargneuse et cosmopolite. Il nous emmène dans ses combats, ses rires cyniques ou amusés par le jeu de la réminiscence de l’enfance, par le crayon gras qui pointe du doigt ce dont il faut parler. Pasquet vient de sortir "Dominations", un livre d’Art avec Denis Robert (cf. Clearstream).

Rencontre pleine de sincérité et d’humour avec celui qui se cache trop derrière son oeuvre en construction. En pleine lumière s’il vous plaît Monsieur Pasquet, entrez donc en scène, vous le méritez grandement ! ! !

1. Je crois savoir que vous préférez définir votre travail pictural et créatif comme celui d’un activiste (ou aktiviste) de l’art et non seulement comme un simple plasticien. Pourquoi cette subtilité dans la dénomination ?

Je pense très sincèrement que la dénomination n’est heureusement pas si essentielle. Néanmoins, il faut bien reconnaître aussi que les appellations finissent par être plus ou moins galvaudées. Un grand cuisinier est par exemple un artiste, le terme de plasticien est utilisé à toutes les sauces et s’est vidé de son sens premier, je ne me reconnais pas vraiment dans ces vocables. L’idée d’activité dans l’art puis plus précisément d’activiste artistique est venue après une discussion avec Denis Robert, nous parlions de la nécessité d’un "art de combat". L’évidence s’est imposée d’autant plus qu’elle rejoignait pleinement ma démarche dans sa définition littérale.

2. Il y a indéniablement depuis quelques années un style Pasquet, une patte, un trait reconnaissable. Il s’agit, pour schématiser grossièrement, de grandes toiles minimalistes peuplées d’éléments faussement enfantins, de petits roquets agressifs… et de couleurs vives.. ce n’est pas facile de décrire des œuvres qui sont avant tout fait pour être regardées ?

Le style c’est effectivement la reconnaissance de l’auteur du travail ou du mouvement auquel celui ci appartient. Dans mon cas la schématisation n’est pas anodine, elle indique assez clairement la perception que l’on peut avoir de ma démarche, une peinture proche de la muralité, sans perspective, peuplée d’éléments bruts et grossièrement organisés. Il s’agit là d’une première lecture, immédiate, derrière ces fausses naïvetés se mettent ensuite en place des interprétations plus ouvertes mais aussi plus sérieuses. La problématique de l’individu, de celui que je nommerai "le mouton noir" et plus précisément de sa disparition dans nos sociétés codifiées est vraiment la base de mon travail.
Il s’agit en fait d’une réaction aux différents mouvements de masse, elle passe tour à tour par l’ironie, la provocation....

3. Vous devez sempiternellement entendre parler en regard de votre travail d’une filiation immédiate avec l’œuvre de Jean-Michel Basquiat. Une bonne fois pour toutes donnez-nous votre sentiment là-dessus.

Le problème principal de cette filiation (que je ne renie absolument pas) réside en fait dans la propension du spectateur éventuel à appréhender les différences plutôt que les ressemblances. Beaucoup se contentent d’être prisonniers de la forme (qui agit alors comme un code identifiable) avant de s’intéresser au fond, ce qui conduit parfois à des jugements hâtifs et superficiels. J’avoue avoir été un moment exaspéré par ce type d’attitude mais j’ai fait la paix avec moi même sur ce sujet depuis. J’estime être sincère et honnête , changer de vocabulaire maintenant serait au contraire une trahison et je m’y refuse. Cela dit, on touche avec cette sorte de tracas à un phénomène rédhibitoire de la création qui interdit plus ou moins implicitement la qualité à tout ce qui ne serait pas génération spontanée, nouveauté, ce qui est bien sur d’un grotesque accompli.

4. Parallèlement à votre "métier" d’artiste vous enseignez les arts plastiques. Est ce que c’est important pour vous outre la sécurité financière d’être dans la vie, confronté à la "jeunesse de France" comme dit le chanteur Saez ?

Il s’agit avant toute chose (et outre la sécurité financière) de ne pas scier la branche sur laquelle on est assis. Il n’y a pas réellement d’éducation artistique en France hormis celle donnée en cours d’arts plastiques au collège. Dès le lycée et à moins d’une option, pour la plupart des élèves, c’est terminé ! Il faut donc essayer avec des moyens ridicules d’ouvrir le champ culturel, d’éduquer l’œil en quatre petites années qui vont de la sixième à la troisième. Autant dire que l’on pare au plus pressé lorsque l’on sait que cet enseignement se dispense à raison d’une heure par semaine et par classe. Je reste pourtant persuadé de l’importance capitale de tous ces profs qui avec deux bouts de cartons et de vieux magazines parviennent à donner envie à des gamins de s’intéresser de plus près aux choses de l’art. C’est de là et de nulle part ailleurs que partent les choses, nous sommes à la base et trop souvent c’est oublié.

5. Comment est né votre style dont je parlais tout à l’heure ? Vous êtes passé par une période très différentes faites de frises et de créatures tout droit sortie de bandes dessinées pour adultes ?

Les choses sont toujours les conséquences des choses précédentes, c’est la même chanson en matière d’art, c’est la raison pour laquelle tous les spécialistes es-nouveautés me font doucement rigoler. Mon travail n’échappe pas à la règle, la liaison se fait logiquement d’une période à l’autre les une sont génératrices des autres, c’est ainsi et elles se font écho. La maturation ou sa recherche passe obligatoirement par des étapes différentes, elles sont le fil conducteur qui permet de poursuivre l’aventure sans lassitude. Le pire à mon avis serait de tout maîtriser, de ne plus faire d’accidents, d’erreurs, là c’est sûr, on est mort !

6. « C’est une peinture sans concessions, qui ne cède rien à la gratuité ou aux effets techniques. » peut-on lit sur un site Internet qui parle de votre travail. Comment expliquer aux non-initiés que la qualité d’une œuvre moderne dépasse les canons de la beauté traditionnelle et trouve son intérêt aussi dans le discours et l’énergie qu’elle porte ?

Qui n’ a pas entendu lors d’une exposition le désormais traditionnel "...ma fille a deux ans et elle fait la même chose.." ou des variantes pas très lointaines ? Le domaine de l’art a ceci de particulier que tout le monde se croit autorisé à donner son avis sous prétexte d’en avoir un. Pour la plupart c’est un peu comme essayer de résoudre des équations du second degré sans savoir combien font deux plus deux. Ce que je veux dire par là c’est qu’il est pratiquement impossible d’apprécier des gens comme Annette Messager, Barcello, Baselitz etc... quand on en est encore à considérer la chose artistique uniquement en termes de beauté et de technicité. Tout vient encore une fois du manque d’éducation artistique mais aussi du manque de curiosité et de volonté d’ouverture, on ne peut malheureusement pas y faire grand chose. Pour ma part , mon propos n’est pas celui d’une recherche esthétique à but décoratif. Face à tous les médiums utilisés aujourd’hui, pour exister efficacement, la peinture doit à mon sens investir un interstice qui peut être celui d’un art de combat. L’œil doit être en danger, celui de l’artiste comme celui du spectateur, cela implique un renoncement à tout ce qui n’est pas essentiel au profit de l’énergie avec laquelle le message est envoyé. Un tableau ne peut plus se permettre une existence gratuite et sans sujet, il ne s’agit pas pour autant de tomber dans une narration compassée ni dans une provocation fabriquée mais simplement de jouer son rôle efficacement, celui de l’artiste .

7. Francis Bacon ou Mathew Barney ?

Les deux possèdent, de différentes manières, une puissance évocatrice rare. Pourtant, c’est un peu comparer l’artisan à la multinationale. Barney est le prototype achevé de l’artiste soutenu dans lequel des gens ont investi. Ce sont eux qui lui permettent de donner vie à son univers certes riche mais également très très coûteux dans sa réalisation. A côté, il y a Bacon et son atelier poubelle, ses chiffons sales, ses vieux papiers et surtout ses toiles. C’est un autre monde, un autre niveau aussi, il fait déjà partie de l’histoire de l’art . Barney lui n’en est encore qu’au stade de l’essai non transformé, c’est la coqueluche de la rentrée, sera t-il encore celle de l’été prochain ?

8. Quel est le plus beau compliment que l’on puisse vous faire à propos d’un de vos tableaux à part l’acheter ?

En acheter une deuxième, c’est une marque de confiance qui n’est pas anodine...

9. Il y a beaucoup d’humour, de distance, de second degré dans vos toiles. Vos tableaux se regardent ou se lisent à plusieurs niveaux comme une bande dessinée non ?

Cette lecture à tiroirs est importante pour moi, tout voir, tout embrasser du premier coup d’œil signifie clairement quelque part la mort programmée du tableau.
Je cherche au contraire à susciter des tensions, des mises en relation qui fonctionnent à différents niveaux, l’œil doit voir et pouvoir voir encore. De cette façon, on évite de finir par passer devant la toile sans y jeter un regard, parce qu’elle n’a tout simplement plus rien à dire et qu’elle n’est plus que décorative.
L’humour est forcément un de ces niveaux, comme la couleur ou la dureté des mots, ils agissent les uns après les autres ou bien simultanément en fonction de l’implication du spectateur.

10. « Vos espaces libres de créations » sont truffés de mots anglais.. cette langue est « un langage » qui dit mieux vos sentiments que le français ?

C’est vrai, souvent le mot auquel je songe au moment de l’inscription sur la toile surgit en Anglais, c’est involontaire. J’utilise tout aussi bien le Français mais les termes Anglais me semblent parfois plus percutants, plus courts, et donc peut-être plus explicites, cela reste à démontrer...


11. Qu’est-ce qu’une œuvre réussie pour vous, celle qui vous plait à vous ou celle qui rencontre son public immédiatement ?

Chaque oeuvre trouve toujours son public, ça n’est jamais le même du reste. Je suis toujours surpris de voir que des toiles à mon avis bonnes sont ignorées alors que d’autres inférieures sont plébiscitées. De toutes façons, j’ai toujours considéré toute unanimité comme chose suspecte, donc cette diversité dans l’appréciation me rassure quelque part. Le côté immédiat, l’adhésion brutale m’effraie un peu même si en peinture aussi, le coup de foudre peut exister.

12. Il y a un côté dadaïste dans vos productions, politiquement incorrect, un côté anar de gauche ? Vous assumez cela ou pas du tout ?

Je viens juste de revoir des travaux de Picabia, le moins que l’on puisse dire c’est que cela n’a pas franchement pris de rides ! Le politiquement incorrect me convient très bien, pourquoi faudrait-il toujours faire partie d’un concensus mou ? Trop de mou nuit c’est bien connu ! Quant à l’aspect anar de gauche, là encore, il s’agit simplement d’être en accord avec soi même et rien de plus .

13. "La religion la plus con, c’est quand même l’Islam. Quand on lit le Coran on est effondré... effondré." Disait Houellebecq dans une interview accordé à Lire. Seriez-vous d’accord pour, là, maintenant, lancer une polémique et ainsi faire la promo gratuite de cette e-terview ?

J’ai lu Houellebecq comme tout le monde, j’avais bien aimé "Extension du domaine de la lutte", j’ai moins apprécié les deux suivants, cette veine Brett Easton Ellis (sexe et carnage) pédale un peu à vide au bout d’un moment. Concernant la polémique sur l’Islam, c’était effectivement une promo bien orchestrée. Quelle pourrait être celle qui assurera le succès de cette e-terview ? J’y suis : Matthew Barney n’existe pas , c’est l’avatar de sa femme (Björk), en fait c’est elle qui fait tout avec l’aide d’une armée de trolls Islandais !!! Je le tiens de source autorisée !

14. Cinq mots commençant par « P » et qui vous définissent bien ?

Prêt, papa, provisoire, pur, pourquoi

15. Que pensez-vous des mégalo et des narcissiques ?

J’ai une grande tendresse pour les narcissiques et leurs efforts désespérés, ils sont parfois touchants. Les mégalos sont d’un autre niveau, ils veulent imposer, diriger et peuvent être dangereux. Les pires sont ceux que j’appelle les imposteurs, le plus souvent des incompétents hautains confondant leurs chaussures avec celles des autres, ceux là sont franchement imbuvables !

16. Quel est votre rêve artistique le plus fou ?

Je rêve toujours de l’exposition parfaite, le lieu idéal, les toiles réussies(mélange de puissance et de sensibilité) l’adéquation avec le public, bref, presqu’une utopie finalement...

17. Quelle trace aimeriez-vous laisser dans l’imaginaire collectif ?

Une trace de crayon gras sur un morceau de papier marouflé sur toile !

18. Deleuze disait "Créer ce n’est pas communiquer mais résister" Qu’en pensez-vous ? Etes-vous un résistant à votre manière ?

Je me trouve en phase avec cette définition de la création, j’ai toujours pensé que le véritable artiste était celui capable d’employer les moyens adéquats d’une résistance concrète. Résistance face aux dérives possibles de la société dans laquelle il évolue, résistance face aux courants de masse, mais aussi face aux esthétiques de mode qui n’osent pas dire leurs noms. Il ne s’agit pas pour autant de tomber dans le mythe désuet de l’artiste génial mais incompris et donc maudit, rôle encore trop souvent joué par des gens souhaitant tout à la fois le beurre, l’argent du beurre et la crémière en prime ! Beaucoup estiment encore à tort que le simple fait de faire profession de l’art leur octroie d’autorité un statut à part. Ils se retrouvent donc aigris par le possible manque de reconnaissance tout simplement parce qu’ils ont perdu de vue la raison valable de leur engagement.

19. En quoi l’existence de Philippe Pasquet a t’elle un sens ?

Mon existence n’a pas en soi plus de sens que celle du quidam du café du coin. La seule différence réside dans les choix de vie de chacun, dans des engagements (pris ou non) et leurs conséquences. J’ai fait le choix d’être actif artistiquement parlant, je m’efforce d’assumer le mieux possible celui ci, après, je laisse aux autres le loisir de décider s’il s’agit là de quelque chose possédant un sens ou non.

20. Par quoi avez-vous envie de terminer cette E-terview ?

J’aimerai terminer par une citation savante, un bon mot comme cela se fait d’usage, hélas, je n’en voit aucun qui convienne. Je finirai donc en rappelant utilement que j’adore la tarte aux pommes, voilà...



"Dominations", Livre d’art de Philippe Pasquet et Denis Robert. Hugo doc, 128 p., 30 euros.



"Dominations", Livre d’art de Philippe Pasquet et Denis Robert. Hugo doc, 128 p., 30 euros.