Interview d’Emmanuel Le Ricque à propos de son livre "Valentin"

Interview d'Emmanuel Le Ricque à propos de son livre "Valentin"

Rencontre avec l’écrivain Emmanuel Le Ricque à propos de la sortie de son livre "Valentin". Nous avons eu envie d’en savoir plus sur ce nouveau roman de l’auteur qui met en miroir un homme qui voit et un autre qui ne voit pas.

Une dédicace du livre Valentin aura lieu le 28 mars à la librairie Fontaine, rue de Laborde, Paris 8.

1. Pouvez-vous vous présenter pour les gens qui ne vous connaissent pas encore ?

Je suis né à Paris, j’ai étudié l’économie et la philosophie à Nanterre puis le Chinois aux Langues orientales ; à la faveur d’un long séjour en Autriche, à Vienne, j’ai enseigner le français tout en écrivant.
J’aime voyager et mon dernier poste était en Chine, à l’Université de Wuhan où je suis resté deux ans. J’ai publié deux romans à ce jour et Valentin sera mon troisième ouvrage qui sortira en mars prochain.
Parallèlement j’ai développé une activité de plasticien, j’ai exposé à plusieurs reprises au Salon d’Art contemporain de Montrouge.
Il y a dix ans, atteint par un glaucome particulièrement sévère, j’ai perdu la vue. Agé maintenant de 66 ans, je me consacre principalement à l’écriture.

2. Comment vous êtes-vous mis à l’écriture ?

Ecrire fut toujours pour moi une forme d’expression privilégiée à côté des relations sociales et amicales. Elle m’a permis d’approfondir un questionnement personnel sur l’existence, le plaisir et la joie de vivre. L’écriture fait donc partie de mon quotidien bien que je n’en fasse pas un métier, plutôt une nécessité qui m’aide à me réaliser en tant qu’homme dans le monde.

3. Préférez-vous aveugle ou non-voyant pour évoquer votre handicap ?

A vrai dire, cela m’est un peu égal et je n’emploie guère le mot de handicap pour évoquer ma situation depuis dix ans, sinon auprès des autorités sociales et médicales. Pour moi, la cécité est surtout une épreuve posée devant moi et à laquelle je dois faire face avec mes petits moyens pour garder le cap et ne pas sombrer dans un état dépressif. Alors, aveugle, pourquoi pas, au moins c’est clair.

4. Comment un aveugle écrit-il ?

Dans notre malheur, les aveugles du 21ème siècle ont la chance de pouvoir disposer de nouvelles technologies, notamment d’ordinateurs et de téléphones qui parlent avec une voix de synthèse. Pour ma part, n’étant pas aveugle de naissance, j’ai pu apprendre le maniement de l’informatique comme toute personne de ma génération. Il m’a suffit de mémoriser le clavier et de me former aux techniques de l’utilisation des touches pour continuer d’écrire sans trop de difficultés. Je préfère moi-même taper mon texte que de le dicter, sauf pour les messages téléphoniques.

5. Il y a dans votre livre un très beau travail sur la dualité, voir et ne plus voir…

J’ai essayé d’aborder la situation du non-voyant sous un angle inhabituel, c’est-à-dire prendre la cécité non comme une faculté qui manquerait au personnage mais, au contraire, le rendrait particulier, transformant ce défaut en qualité. En effet, c’est un peu comme si le héros du livre découvrait notre société et ses habitudes en venant d’un pays où la lumière n’est pas si importante, où l’on peut se déplacer sans voir, où l’on sait vivre sans regarder son interlocuteur. Bien sûr, il y a de la malice et tout n’est pas si simple, cependant c’est ainsi que se développent des réflexions originales sur notre monde et son fonctionnement. Valentin ne s’ennuie pas, ne se plaint pas non plus, il souhaite vivre sa vie selon son bon vouloir et s’il compte sur vous pour l’aider à traverser, par exemple, il apprécie aussi ses moments de solitude à écouter de la musique tout enveloppé de son noir.

6. Quand on ne voit plus, quel autre sens compense la cécité ?

Aucun et tous à la fois. Perdre la vue, comme moi, au milieu de sa vie, c’est tourner définitivement une page. Tous les plaisirs apportés par les autres sens ne pourront jamais remplacer celui de voir ceux que l’on aime, leurs sourires, voir ses enfants se développer et mûrir, voir enfin les beautés du monde, des plus petites choses aux plus grandioses. Pourtant, il est certain que l’on développe d’autres sens, celui de l’écoute lorsqu’on marche dans la rue, celui de l’odorat aussi qui sert de repère, le toucher qui devient le médiateur vers les autres. Quant au goût, il ne varie pas sinon qu’on apprécie un bon repas uniquement par lui, il devient alors le plus évident sens du plaisir.

7. En quoi ce livre est-il salvateur ?

Ecrire un livre lorsqu’on est aveugle, c’est montrer que l’on peut s’exprimer comme tous les autres, que l’on n’est pas seulement un handicapé pour la société mais aussi une voix singulière qui a le droit de présenter sa réalité. A sa manière, c’est donc un petit exploit mais, comprenons-le bien, cela ne va pas tout changer dans notre vie. Notre fierté, nous la tirons à chaque moment de la journée, surtout si nous vivons seul, à marcher, nous déplacer et prendre soin de nous, à vivre enfin comme si, oui, comme si tout était normal même si ce n’est pas le cas.

8. Qui vous a aidé pour vous faire publier ?

J’ai pu bénéficier de l’aide précieuse d’une amie pour la recherche d’un éditeur et d’une correctrice. Je crois que, sans elle, je n’aurai eu ni la force ni la ténacité pour arriver à ce résultat et je l’en remercie vivement.

9. Quels sont vos projets littéraires ou artistiques ?

J’ai écrit deux autres livres en étant aveugle, celui-ci étant le plus achevé, c’est lui que nous avons choisi de publier. J’aimerais qu’il intéresse un large public à la question du handicap visuel et, pourquoi pas, un producteur qui en ferait une série pour la télévision afin de toucher un public plus jeune.

Le Blog d’Emmanuel Le Ricque : http://emmanuellericques-leslivres.com