Le rapport sur le Cinéma de Julien Richard-Thomson remis à la ministre de la Culture

Le rapport sur le Cinéma de Julien Richard-Thomson remis à la ministre de la Culture

Le cinéaste Julien Richard-Thomson est l’auteur d’un rapport sur le cinéma français assez "explosif", remis à la ministre de la culture Françoise Nyssen. Rédigé dans le cadre du think tank Démocratie Vivante (classé au centre gauche et qui comprend de nombreux partisans d’Emmanuel Macron, y compris des parlementaires et des ministres) ce rapport fait des propositions novatrices pour réformer le CNC et "diversifier" la production française...

Ce rapport sur le cinéma français explique que le cinéma français ne va pas si bien qu’on le dit...

Si on s’en tient au nombre de films produits, notre cinéma va très bien. Et de fait, la production nationale est plutôt abondante avec plus de 200 films par an. Notre cinéma est le second mondial pour l’exportation, très loin derrière le cinéma américain évidemment. Mais je pointe des faiblesses qui pourraient être préjudiciables à moyen terme, à la fois un manque de diversité dans la production et surtout une difficulté pour la plupart des films à se financer et à être présentés au public. En effet nous avons d’un côté un petit nombre de films à gros budgets, surexposés, qui squattent les écrans de cinéma et bénéficient de grosses campagnes de marketing. De l’autre, une majorité de films à petits budgets, qui se tournent dans une économie de plus en plus précaire, et qui surtout ont du mal à trouver une distribution en salles.


Cela n’a pas toujours existé ?

Oui, il y a toujours eu des films à gros budgets visant le grand public, des productions moyennes, et enfin des productions modestes à petits budgets souvent considérés comme d’auteur, ou art et essai. Le problème c’est que l’écart se creuse. La catégorie des films moyens est en train de disparaître, il reste les superproductions - souvent des comédies familiale - et de l’autre, le reste de la production de moins en moins financée par les investisseurs. J’insiste sur l’aspect distribution : 80 % des écrans sont réservés à moins de 20% des films. La grande majorité des films n’a droit qu’à une exposition minimale et brève en salles de cinéma, souvent une seule semaine, ce qui est insuffisant pour qu’un film trouve son public.

Que peut faire le ministre de la Culture ?

C’est le Centre National du Cinéma (CNC) qui mène la politique publique, dans notre pays le secteur du cinéma est fortement subventionné à la fois par des aides dites "automatiques" aux producteurs, et par des aides "sélectives" (comme l’Avance sur recettes, par exemple). Le CNC consacre environ 300 millions par an à l’aide à la production, essentiellement dépensés pour aider les grosses sociétés et les films les plus commerciaux qui sont déjà largement financés par les télévisions et les investisseurs. Par ailleurs le CNC dispose de nombreux leviers pour rééquilibrer les choses. Il pourrait subventionner plus qu’il ne le fait les oeuvres originales ou ambitieuses sur le plan artistique, qui ont besoin de l’aide publique pour exister. Les blockbusters se financent (je dirais même se surfinancent) très bien par eux-mêmes. C’est important d’aider les petites sociétés, les premiers films, les talents émergents car ce sont eux qui feront notre cinéma de demain.

Tu suggères par exemple que le "cinéma de genre" soit mieux financé. En effet, on sait que tes propres films n’ont jamais reçu la moindre subvention...

Au-delà de mon propre cas personnel, qui illustre en effet la difficulté pour un cinéaste sans"réseau" à obtenir des subsides du CNC, je plaide pour une plus grande diversité. Le polar est omniprésent à la télévision mais délaissé au cinéma, quant au cinéma fantastique ou à la science-fiction, ce sont des genres totalement dévalorisés en France alors que nous possédons de grands artistes et techniciens d’effets spéciaux notamment, qui doivent s’exiler pour travailler. Tous les genres doivent être encouragés et financés, c’est aussi bien une attente du public qu’une exigence culturelle et démocratique.

Est-ce pour cela que le rapport propose que les jurys des commissions CNC, qui attribuent les subventions, soient en partie composés de simples spectateurs ?

Il est logique que le public fasse partie des jurys puisque c’est une taxe sur les tickets de cinéma, payés par le public, qui finance le CNC. Si des spectateurs siègent aux côtés des professionnels, cela permettrait une plus grande ouverture et ça permettrait de diminuer un peu l’entre-soi qui règne dans ce milieu. De la même façon je propose que les projets de films soient soumis de manière anonyme, pour que le "piston" joue le moins possible... Paradoxalement, le cinéma est un milieu assez conservateur, la reproduction sociale (qu’on retrouve dans la société française toute entière) s’exerce de manière assez frappante. Je milite pour le renouvellement des talents.

Ton rapport pointe la difficulté pour un film d’être projeté en salles et ainsi de trouver son public.

Avec la révolution numérique il est devenu plus simple de faire un film, sur le plan technique, mais de nos jours trouver un distributeur est de plus en plus difficile. Et même quand le film sort, il reste peu de temps en salles, c’est pourquoi je propose que les films n’ayant pas pu bénéficier d’une combinaison suffisante de salles et d’une période d’exploitation trop brève aient le droit d’être rapidement proposés au public sur internet, via la VOD par exemple. Aujourd’hui il faut attendre 3 ou 4 mois après la sortie salles, c’est un délai trop long car entretemps le public a complètement zappé et oublié le film.

Parmi les autres propositions, un quota de financement pour les cinéastes handicapés, ça peut sembler étonnant.

Aujourd’hui on parle d’un quota de subventions pour les films proposés par des femmes, pourquoi pas... mais rien n’existe pour les scénaristes ou cinéastes en situation de handicap. Il existe une aide du CNC pour les films issus "de la diversité" mais cela concerne les quartiers populaires et les réalisateurs issus de l’immigration. On voit peu le handicap au cinéma (à part dans Intouchable) et surtout, les personnes en situation de handicap sont absentes des métiers du 7eme Art. Il faut faire évoluer les mentalités...


Julien Richard-Thomson est réalisateur et scénariste, membre du think tank Démocratie Vivante"