Portrait de Florent Andreo
Next (F9) vous propose des portraits de personnalités connues ou inconnues, des poètes ou des vendeurs de boutons, des gauchos ou des gauchers. L’important est de rêver. Chacune des personnalités est contactée personnellement, décide de sa photo à publier et raconte à Patrick Lowie un rêve marquant. Précision d’usage : ce portrait est un portrait onirique, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie.
Chacun vaque à ses absences, ses rêves, son destin, ses indécences. Je suis dans un hôpital, un rêve m’a brûlé. La mer était gelée, les pieds enfermés dans la glace d’un iceberg qu’on disait fondre. Il m’a encerclé, on voyait la neige à perte de vue. J’étais torse nu, les pieds gelés, un rêve m’a incendié. J’ai été retrouvé comme l’arbre du Ténéré, acacia solitaire en plein désert, le plus isolé de la Terre, renversé par un gros glaçon, un gros camion. Embarqué dans une ambulance, les côtes glacées, tout s’est réduit en cendre, le rêve m’a cramé. A l’hôpital, un beau jeune homme me parle : je suis Florent Andreo, aide-soignant aux urgences. Je me sens un peu plus en confiance. Où suis-je ? Je ne vois aucune inscription nulle part, aucune étiquette, aucun mot, aucun mort. Où sont mes vieilles branches ? L’homme toujours plus rassurant : que faisiez-vous dans l’écume de la mer, en pleine nuit, l’écume des nuits, vous aimez le jazz et l’amour, vous faites pousser des armes comme Colin ? Je me soulève doucement, il m’aide, est-il infirmier, médecin du cœur, réparateur d’horloges, je ne sais plus qui tu es ? Vous posez trop de questions, Patrick Lowie, reposez la tête, me dit-il. Je lui montre les graines d’acacias que je garde dans ma poche droite, on ne sait jamais. Et ça sert à quoi ?, dit-il très curieux. Je lui explique, balbutiant de vieilles pensées, que je suis spécialiste en rêve, docteur ès songes et que les graines peuvent aider à revoir un parent disparu… en rêve. Florent Andreo est bouleversé. Une larme, une seule, puis deux, puis ses yeux s’embuèrent de larmes. Sa tendresse m’émeut aussi. Il me murmure à l’oreille arrachée et recousue : rendez-moi service, Monsieur Rêve, j’aimerais revoir mon père une dernière fois. J’accepte, on échange nos places. Il se couche sur la civière le visage caché par une pèlerine d’argent, le corps se relaxe, détendu. Je ferme les yeux, et j’assiste à la projection de son rêve, tout se libère, on entend quelqu’un frapper à une porte, les coups sont puissants, intrigants, je le vois ouvrir la porte, la porte de chez lui. Je vois son étonnement, sa joie immense, il pleure des larmes, sangloter presque, des larmes de diamants, un soulagement, un monde qui s’éclaire, une vie qui s’illumine, l’instant de la fin d’une absence, instant chargé d’amour. Je le vois prendre son père, si heureux si serein, dans ses bras, parti depuis si longtemps dans l’autre monde. J’ouvre les yeux, je soulève la pèlerine. Je le vois, sourire aux lèvres, yeux fermés, visage baigné. Merci, me dit-il, le réveil est difficile, mais grâce à ce rêve j’ai pu avoir la chance de serrer encore une fois mon père dans ses bras. Je lui dis que j’ai tout vu, que je l’ai vu, ensuite, s’allumer une cigarette, dos au mur, des photos d’autres vies scotchées juste au-dessus, que je l’ai vu en Bacchus des temps modernes, dieu païen, épaule dénudée face à une corbeille de fruits, un verre de vin entre les doigts, des pampres de vigne sur la tête, comme un couronnement. Je lui ai dit que le rêve était d’une beauté abyssale, qu’il sous-estimait sa grandeur d’âme. Assis dans une klinê, je le vois partir puis s’asseoir sous deux arbres dans les jardins de l’hôpital. Mes graines d’acacias ont encore fait de l’effet. J’observe mes pieds qui ont pris la forme de racines. Vertiges.
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