Portrait de Xavier Löwenthal

Portrait de Xavier Löwenthal

Next (F9) vous propose des portraits de personnalités connues ou inconnues, des poètes ou des vendeurs de boutons, des gauchos ou des gauchers. L’important est de rêver. Chacune des personnalités est contactée personnellement, décide de sa photo à publier et raconte à Patrick Lowie un rêve marquant. Précision d’usage : ce portrait est un portrait onirique, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie.

Le rêve (ou le cauchemar) a un avantage sur la vie réelle, c’est qu’au réveil nous savons que c’était un rêve, alors qu’on ne se réveille jamais de la vraie vie, me dis-je. Je me lave sans scrupule les mains sales de pensées conformistes dans un évier en porcelaine chinoise détruit par des abrutis. Un tube d’écorce de bouleau en forme de flûte enchantée dans les mains à portée de la voix, Xavier Löwenthal, auteur, dessinateur, théoricien de la bande dessinée, producteur et éditeur belge, fondateur du groupe et de la maison d’édition La Cinquième Couche, hurle : les riches à droite, les pauvres à gauche ! Impossible de reconnaître les lieux. La lumière me fait penser à Mapuetos, les nuages comme d’immenses fumées de cigarette, on est loin de tout, de la vie, de la mort, des amours, des blessures, des amis, des bikinis, de la famille, des polémiques stériles, pas de mer, que le ciel, le ciel en outrance, le ciel envahissant, Xavier Löwenthal, allume une cigarette, je l’observe, longue et lente respiration, il expire la fumée de manière contrôlée et par vague, la fumée sort de sa bouche, toute seule, sans forcer. Une petite musique vient de loin, elle ressemble à une chanson de Doris Dragović. Je me rends compte que nous sommes seuls, lui et moi. Vous devriez essayer la pipe, lui dis-je. Il détourne le regard et me dit : Patrick Lowie, arrêtez de vous souvenir des rêves, mettez-vous sur la défensive, c’est plus sûr de résister à l’empire analytique, faites comme moi : laissez-vous porter par l’extrême oubli des petits matins dorés. Survivre aux malentendus.

Comme dans un dessin incomplet où subsistent encore des regrets, dessin qui se complète au fil d’une humeur invisible, j’ai la sensation de voir enfin des façades, traverser un pont, écouter Arno, se retourner et voir au loin les plaines qui s’éloignent, croiser des statues d’hommes nus, beaux comme des Dieux, on arrive à la gare vide, tout le monde a dégagé, les affiches publicitaires ont toutes été remplacées par la couverture de METAKATZ, Xavier Löwenthal pense que ce rêve est banal, un rêve de gares et d’aiguillages, il se croit seul, on n’est jamais seul, et je suis là. Il cherche son train, il ne sait pas où il va mais il rentre à Bruxelles, il trouve enfin le quai numéro huit, pour un départ vers l’infini, un voyage sans fin, par amour, toujours pas amour. Le crayon continue son petit jeu, des robots humanoïdes japonais par centaines par milliers sortent de partout, affamés, affairés, pressés, égoïstes,… il demande à l’un deux de surveiller ses bagages, le temps d’aller aux toilettes. Mais à son retour, il voit le train quitter Florence, ses bagages volatilisés. Il y avait quoi dans vos bagages ? lui demande le chef de gare, l’œil crevé d’un coup de flèche. On ne pouvait déjà pas se fier aux hommes, pensez-vous à ces robots… prenez vite le train quai 2321, il va aussi vers le Nord. Je ne sais pas quel Nord mais le Nord c’est le Nord.Vous retrouvez vos carnets, vos dessins, vos souvenirs, votre ego.

Nous courons sans réfléchir sur les tapis roulant, nous montons dans le train sans destination. Il angoisse d’avoir perdu son identité. Le train va vers le nord puis vire vers l’est. Tous les deux essoufflés, sans bagage, il s’allume une pipe achetée dans une échoppe de la Piazza della Signoria. Je lui dis qu’il a assez de tabac pour toute une autre vie. Il se demande, à chaque arrêt, s’il ne ferait pas mieux d’abandonner ce voyage, peur d’avoir tout perdu mais au fil du temps, il fait le deuil de ses souvenirs et de son identité. Finalement, je m’en lave les mains. La mine du crayon se casse sous la pression d’un univers de questions futiles. Vous avez quoi sur le front ? lui demande une jeune fille belle à croquer.

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