"Un Monde épatant" de Jean Louis Bourdon au Bouffon Théâtre

"Un Monde épatant" de Jean Louis Bourdon au Bouffon Théâtre

Un très bon texte, terriblement humain, un peu emphatique parfois mais terriblement juste, fort, implacable et marquant. Deux hommes aux antipodes l’un de l’autre, une sorte d’humaniste moralisateur qui a un avis sur toutes les choses profondes de la vie et un Sdf réactionnaire, menteur, lâche, égoïste et touchant à la fois... Leur confrontation hasardeuse dans la nuit près d’un lampadaire est le prétexte à une joute oratoire où chaque personnage peut donner sa lecture du monde, sa manière de vivre ou survivre dans cette société difficile où le plus optimiste pense qu’un nouveau président peut changer les choses et l’autre que la politique n’est qu’un leurre et que l’asservissement des masses est inéluctable, intrinsèque. Une pièce épatante car riche car plurielle car nourrissante, drôle, brillante et même époustouflante à certains moments. A voir absolument au Bouffon Théâtre du 19 arrondissement.

Le Pitch  : Un SDF et un homme mystérieux que tout oppose entament une conversation un soir. Une tranche de vie drôle et terrible à la fois, ponctuée de suspense.

Tel un miroir, ce texte nous plonge au coeur d’une terrible histoire où l’humanité peine à se comprendre et à appréhender le monde de façon claire et lucide. Dure, engagée, sociale, drôle aussi par les extravagances et le pathétisme des personnages cette pièce nous dévoile sans fard la faiblesse et la fragilité des êtres, elle nous montre à quel point la misère et le désespoir ont des figures semblables et des folies diverses, elle nous interroge sur notre société et sur ce que nous sommes.

Notre avis :

Il suffit d’un "Rien" pour faire naître de grands moments de théâtre et pour obtenir ce "Rien" magique qui est un "Tout" prodigieux, il faut d’abord un grand texte. Jean louis Bourdon a produit avec ce "Monde épatant" une oeuvre de grande qualité avec des passages tout à fait exceptionnels même. Des dialogues d’une grande vérité, d’une saisissante réalité, d’une immense théâtralité et d’une justesse impressionnante.

Ce Sdf (Thierry Nenez) réac, pleutre, faineant et plaintif a une sorte de sagesse populaire qui parle à notre mémoire collective, ses excès sont finalement très français, il râle, il exagère, il se "victimise" pour mieux profiter du système.
Curieux de nature il observe son monde avec finalement le plus grand des conforts celui du temps qui lui permet un certain recul sur les informations. Alors bien sûr qu’il est excessif, raciste et injuste mais de temps en temps il touche juste surtout lorsqu’il parle du rapport hommes/femmes. Et si oui, effectivement c’était elles qui avaient le pouvoir et si c’était pas finalement l’Homme tout entier qui se faisait "baiser" en beauté en croyant être le sexe fort et en étant en effet pour le moins manipulé et humilié par elles.
Thierry Nenez est simplement impressionnant de réalisme dans un jeu qui pourrait être enseigné comme une référence dans les écoles de théâtre. A ce niveau-là de maîtrise, il ne joue plus, il est le personnage, l’incarnation parfaite, il le vit au plus profond avec cette fébrilité dans la voix, la gestuel du vieux clochard, la démarche hésitante, la faconde. A certains moment on a l’impression qu’on est dans un documentaire sur la marginalité et qu’un véritable habitant de la rue y est interviewé. Thierry Nenez compose avec son organe, vocal, son corps, ses yeux et chaque millimètre de sa peau. Quel grand Art, on pense aux plus grands dans le genre, Michel Simon ou Raimu n’auraient pas mieux fait.

Le deuxième intervenant dans cette Histoire étrange, ce huis clos près d’un banc public, à la lueur d’une lumière artificielle de la ville dans une époque proche des années 2000, n’a pas de nom. Il s’agit d’un être sans âge, sans identité, sans passé, sans avenir, un être de passage qui apparait sans but précis alors qu’il est dans une fuite macabre, une fuite finale. Cet homme cultivé, érudit, intellectuel propose tour à tout un monde parfait empli de tolérance et de bons sentiments puis dévoile peu à peu sa vraie nature rigide, violente et autoritaire. Celui qui apparait comme le plus sage des deux sera peut être le plus trouble et le moins fréquentable des deux. On va de surprise en surprise jusqu’à la révélation finale et tout est amené avec subtilité par l’écriture de Bourdon et le jeu de Saïd.

Philippe Saïd réussit une performance admirable en campant toujours avec le bon ton, sans jamais surjouer ni trop théâtraliser, les idées et les attitudes de cet homme énigmatique entre deux âges, entre deux mondes, entre tout.
Philippe Saïd exprime toutes les palettes du comédien, il impressionne par sa capacité à être plusieurs avec une simplicité déconcertante, jamais explicative ou démonstrative.
Philippe Saïd avec son beau visage de Théâtre qui prend bien la lumière, sa voix assurée fait parfois 2 ou 3 mètres de hauteur sur scène tant il prend de la place sur la scène faisant jeu égal mais de manière très différente avec son excellent confrère Thierry Nenez. Il n’est pas bien loin de l’immense Louis Jouvet à qui il ressemble physiquement un peu parfois, il excelle en plusieurs moments superbes... il y a pire comparaison, me direz-vous !

Les deux comédiens dans une sorte de confrontation physique et intellectuelle très poussée, très charnelle, très explicite vont faire s’affronter leur deux visions du monde qui sont finalement les nôtres. Nous sommes le réac et le tolérant, nous nous reconnaissons dans ces deux personnages universels grotesques ou grandioses, honteux ou admirables.

Toujours est-il qu’on ressort de tout cela grandit. On est allé au spectacle, un spectacle complet avec tout ce qu’on peut demander au Théâtre pour passer une soirée incroyablement nourrissante à long terme dans nos consciences : du texte, du fond, de la forme, de l’inquiétant, de la violence, des retournements de situation, du show, du cocasse, du drôle, du malin, du clownesque, du vrai, du faux... du "qu’on n’oubliera" pas de si tôt !! Chapeau bas messieurs Thierry, Philippe et Jean Louis.

A VOIR ABSOLUMENT. Epatantissime.

L’auteur :

Jean Louis Bourdon est né le 14 octobre 1955 à Paris. Il est l’auteur de nombreuses pièces de théâtre, il est aussi metteur en scène, romancier, comédien et peintre et depuis peu directeur artistique du Théâtre Jean Gabin à Moulins la Marche.

Il a été mis en scène notamment par Jean-Michel Ribes « Tedy » avec Roland Blanche en 1999 au Théâtre du Poche Montparnasse. Par Michel Fagadau « Karma » avec Marcel Maréchal en 2000 à la Comédie des Champs Élysées.

Par Marcel Maréchal « Jock » au Théâtre National de Marseille /La Criée. Par Georges Werler « Visite d’un Père à son Fils » au Poche Montparnasse. Par Marco Lucchesi en Italie dans une traduction de Vittorio Gassman, avec Sergio Fantoni et Alessandro Gassman. Par André Ernotte en 2003 à New York à l’Ubu théâtre ou par lui même « Derrière les Collines » « Le Landau qui fait du Bruit » ...

Les pièces de Jean-Louis Bourdon ont été publié chez Flammarion, Acte Sud Papier, Julliard et autres.

Il est l’auteur de plusieurs romans : « Scènes de la Misère Ordinaire », « Que le jour aille au Diable, « Sur la Tête du bon Dieu », « Ainsi soit-il ». Jean Louis Bourdon a reçu le prix de la SACD en 1999.

Auteur : Jean Louis Bourdon
Artistes : Thierry Nenez, Philippe Saïd
Metteur en scène : Jean-Louis Bourdon


UN MONDE EPATANT
De et Mise en scène par Jean-Louis Bourdon

Soirs de semaine : 20h45 - Dimanches : 18h. BOUFFON THEATRE, Paris 19 ème rue de Meaux.

Avec : Thierry Nenez, Philippe Saïd

http://www.bouffontheatre.fr/#!un-monde-epatant/cmdp