« La Soudure » d’Alain Guyard, une odyssée fraternelle de haut vol et solidaire !

« La Soudure » d'Alain Guyard, une odyssée fraternelle de haut vol et solidaire !

Alain Guyard philosophe forain et écrivain sait parfaitement se mettre à notre portée. Il file une torgnole aux concepts ressassés pour se fondre chez les vrais gens que nous sommes. Il se présente à nous comme un mauvais garçon pour prendre la philo à bras le corps. Forcément, ça fait désordre chez l’intelligentsia germanopratine. A l’entendre jacter joyeusement entre les lignes de son roman, j’y prends mon pied. Je l’acclame à le suivre dans les recoins de ses personnages attachants, qui se déclinent en héros militants voleurs. Enfin un roman optimiste et bien écrit qui ne sera jamais classé en bourse !

Alain Guyard est un sacré gaillard ! Fourrageur sans frayeur, il écrit comme il parle. Avec les damnés de la terre il éructe, il dégage des mots à propos et ne se laisse pas conter fleurette avec des bluettes.
Aux abonnés absents du petit écran, il conspue les philosophes de salon à la chemise blanche qui trempent leur plume dans le missel et se font mousser l’oignon au Champagne.
Il se présente comme « forain, bonimenteur de métaphysique et décravateur de concepts » Y’a pas que la philo qui mène son monde. Y’a toutes celles et tous ceux à la marge que l’on dit barges, par souci de les enfermer dans des cases. Comme nos bons chiens de garde, sociologues ou psys, s’y entendent pour créer des barrières comportementales à ne pas franchir sous peine de zonzon ou HP. Ce sont pourtant de tels personnages qui se veulent libres, qui illuminent de leurs lumières ses pages tout en donnant le goût de se battre avec eux et rester debout, dignes.
Je n’avais jamais encore lu ce sacré bonhomme et j’avoue que je n’ai pas été déçue. Je m’en suis prise plein les ratiches et j’ai apprécié. Pas que je sois maso, mais juste très curieuse des écritures singulières qui me défoncent le ciboulot, à partir voyager dans la vraie réalité, celle littéraire et si libertaire, des artistes, comme Alain Guyard.

La philosophie il en jouit et éructe : « Mettre la philosophie dans tous ses états, hors les murs de l’université et du lycée, loin des intellectuels maniérés et poseurs. La mettre dans les prisons, les hôpitaux, les bistros, les concerts, les quartiers, au fond des grottes et dans la rue. Plus que démocratiser la philosophie, ce qui la rendrait militante citoyenniste, café philo, sextoy culturel pour bobos branchouilles. Mais la vulgariser, c’est-à-dire la ramener à sa dimension charnelle, dérangeante, remuante, faisant irruption là où on ne l’attend pas, causant à tous les hommes, même aux humbles sans grade et sans diplôme. Surtout à eux."

Visez un peu comme il jacte au moins plusieurs langues couramment à la fois, le zigue ! Ce n’est pas par hasard si son roman s’intitule « La Soudure ». Il en donne la définition : argent, envoyer la soudure, payer, régler, selon le dictionnaire de l’argot et du français populaire, Larousse. Vous avez pigé de quoi il allait causer ?

C’est l’histoire d’un couple d’amoureux jeunots, Ryan et Cyndie, sans boulot, ni fric, mais qui malgré tout éprouvent le désir de rejoindre le troupeau. Perdre sa vie si terne à la gagner, ils connaissent. Si bien qu’à la fin du mois il ne leur restait plus que dix-neuf euros pour faire frire la gamelle, l’équivalant que la mère de Ryan lui donnait quand il était à l’école primaire. Ils ne sont pas résolus pour autant de rentrer dans la carrière de la misère, c’est le déclic. Toute bascule.
« C’est donc à cette heure précise, penché sur le corps convulsé de sa femme, que Ryan décida de basculer dans ce que les puissances médiatico-policières appellent : la délinquance ». (page 44)

En plus les personnages sont attachants. Cyndie c’est une jolie môme artiste du chalumeau étincelle qui te dézingue des tôles de récupe pour prendre place dans les ailes de ses oiseaux migrateurs et s’envoler par l’esprit de tout ce bastringue. « C’était criard, vulgaire, agressif et disproportionné comme une femme saoule qui accouche debout. C’était absolument mochetingue, mais joyeusement barbare, délicieusement obscène comme un bikini de petite fille taillé dans une escalope crue » (page 24) Visez un peu le style du sieur, ça déménage. Et des trouvailles expressives il y en a à chaque page ! J’y lis du Henri Poulaille de la littérature prolétarienne des années 30, avec l’ombre du grand Jacques Prévert qui veille au grain, la clope au bec et asticote des soutanes en Bretagne. Y’a que des littérateurs libertaires pour s’approprier les différents registres de la langue en tout liberté.

Bon, la délinquance ne racole pas encore officiellement aux portes de Pôle Emploi. Faut se rencarder fissa chez les pros. Rien de tel qu’un avocat véreux et ventru (maître Cube) pour poser les grades d’apprenti délinquant et battre le pavé pendant qu’il est encore chaud. Ryan est doué et apprend vite. Des rencontres à propos et c’est le tour de chapeau, Ryad prend du grade et forcément ça fait des jaloux, surtout du côté d’un micheton qui zieute ferme sa dulcinée.

Militants ou même sympathisants du F’Haine, ce livre sera votre cauchemar. Lisez une page au hasard et c’est votre bile, bandes de débiles, que vous allez cracher. Effet garanti. Entre les beurs, les gitans ferrailleurs, vous ne saurez plus où donner de la tête. Il vous en coutera tous vos préjugés éculés. Bandes de nazes !
Car, Alain Guyard, comme je vous l’ai déjà dit plus haut, parle toutes les langues avec l’accent du grand Sud Est.

Et puis le récit continue sur des fameuses affaires. On apprend même comment tirer une caisse, avec les derniers gadgets en circulation. Gare à ta ZX rouge de 20 ans d’âge, le Bartos, je sais tout désormais et peux jeter tes clés dans la Gironde. Gare aussi à Ryan, « le chef de bande des cravateurs de guimbardes » (page 189). En plus, le gus il n’est pas raciste, des Gitans, des Blancs et des Arabes forment sa bande, dans la bonne entente des mélanges culturels.
Forcément pour les ressorts du récit, à un moment, y’a une couille qui vient vriller le système d’un poil et Judas reprend du service. Comme dans toutes les bonnes tragédies, pardi ! Les matons accueillent notre héros à la zonzon. Tiens, comme c’est bizarre c’est aussi le titre d’un de ses romans toujours chez le même éditeur (Le Dilettante). Non, parce que sans dec, écrire avec une telle habilité, c’est par pour dire, il faut de l’entrainement et Alain Guyard a de qui tenir sa plume. Entre ses romans, ses essais entre philo et franc-maçonnerie, ses œuvres théâtrales, cézigue a du métier !

Bon, tu te dis même qu’est-ce que vient fiche la philo dans ce roman ? J’y go, j’y go de mouton. Si la sociologie est un sport combat, comme le disait Bourdieu musclé, alors dans ce cas, la philosophie c’est une bombe à retardement. Si je vous dis Jean-Jacques R, vous pensez à qui ? Ainsi par exemple, il y a un capitaine de péniche féru de littérature antique. Il se présente à Cyndie, sous le blaze de Jean Jacques. Ca donne encore un de ces fameux dialogues tout en finesse. L’auteur éprouve une grande tendresse pour tous ses personnages qu’il respecte jusque dans le très fond de leur mode de fonctionnement. « Il jugea bon de préciser à mi-voix, avec le ton de celui qui a réussi à convertir un quiproquo en ironie : Pas comme Rousseau. Jean Jacques tout court. Toucourt ? C’est marrant de s’appeler comme ça remarqua Cyndie » (page 82). Le vieil armateur gare péniche dans un hangar. Il s’émoustille les neurones avec l’Odyssée. La môme au début, elle n’entache que dalle. Puis petit à petit au fur et à mesure qu’il lui lit des passages, elle forge son appétit à découvrir et de voyager elle aussi dans la grande littérature. « - De la grande ? ! s’étouffa la gamine, de la grande, mon cul, tiens ! Bien dégueubiffe, surtout qu’elle est ! Machiste et compagnie ! Votre Ulysse ? nullissime ! … Et Calypso ? Circé ? toutes des galbeuses, grognasses ! Empaffées magiciennes voleuses de maris ! … Tiens, votre Homère, je vais vous le dire, Jeannot, rapport à sa mentalité, c’est pas de la littérature, c’est de l’obscénité ! Ca devrait être interdit dans les écoles, un gonze pareil ! » (page 102)
Faudra en causer à notre chère sinistre de l’éducation nationale qui fait entrer officiellement le Medef dans les programmes des sections sciences économiques et sociales !
http://www.mediapart.fr/journal/france/050415/sos-pour-les-sciences-economiques-et-sociales

Puis, au fil des pages, vous pouvez vous demander comment on parvient de passer de la littérature grecque à la philosophie ! Même si la vie semble être un long fleuve tranquille, Héraclite au moins, n’a pas peur de se mouiller puisque : « On ne peut pas entrer deux fois dans le même fleuve ». (page108).

Ryan finira pas s’y mettre lui aussi au point de visser sur la porte de sa cellule : « MOREAU CONSULTING Expertise en banditisme éthique Conseil en anarcho-management » (page 200).
J’y vois un clin d’œil à Alexandre Jacob, que l’auteur cite la page précédente. Ce cambrioleur militant anarchiste et redistributeur généreux inspira le personnage d’Asène Lupin (autre littérature, autre époque !). Il fut incarcéré au bagne de Cayenne. A force d’études il devint l’avocat de ses codétenus contre l’administration qui les martyrisait. Cette émancipation par la connaissance ne s’apprend surtout pas à l’école républicaine mais à l’école de la vie. A travers les luttes collectives et individuelles lorsque les systèmes politiques et économiques n’ont plus de secret pour ces militants. Et même derrière les murs, Ryan et son codétenu relèvent la tête et gardent leur dignité
« L’administration pénitentiaire devenait la risée de ce petit monde-là et cela valut à Tyger et Ryan du respect, c’est-à-dire, dans le monde de la zozon, de la puissance. Ils en saisirent vite l’avantage, et de fil en aiguille, le temps du désœuvrement devint celui de l’étude ; leur cellule se fit monacale, et l’on vit bientôt ces deux-là inséparables, suivre l’exemple de Montaigne et couvrir leur cellule d’adages antiques ». (page 193)
A tel point également, que les discussions autour des lectures entre les deux amants au parloir leur permettent de s’évader quelques instants, ras les murs de cette ambiance pesante et leur ouvrent des horizons infinis.

Vous l’aurez compris, toutes les pages de ce roman sont riches d’humanité, qui même si elle se situe à la marge, défraie les rouages les plus vicieux d’un système bien huilé et c’est la liberté qui triomphe.
Si la propriété c’est le vol, alors ; Ryan en tant que militant voleur n’aura pas volé mes applaudissements. Je vous recommande de le suivre à la lumière de ses aventures fraternelles peu banales avec ses compagnons. Histoire de vous redonner un coup de fouet pour vous battre et redresser la tête et que raque et rende des comptes la sociale démocratie au pouvoir, qui nous spolie tous nos droits.

Alain Guyard, un auteur au tempo littéraire qui dépote et aiguise notre sens critique, au point qu’il me donne envie d’aller à sa rencontre lors de ses causeries populaires, comme on les appelait du temps de la Belle Epoque.
http://www.diogeneconsultants.com/

Outre la zizique de son écriture, il écrit cinoche, cézigue. On y croise parfois des personnages à la Emir Kusturica avec cette joie de vivre qui éclate à dérider des constipés. J’y vois aussi Tony Gatlif, le Gitan kabyle à travers le monde sur la route. Est-ce un hasard des symboles, si sur les phalanges de l’auteur, on peut lire gravés ces deux mots : « rien / tout ». Si je le rencontre je lui demanderai si ça un quelconque lien avec « La nuit du chasseur ».

J’adore encore, les femmes ont le beau rôle dans ce roman. Au campement gitan, c’est Josépha qui exerce son empire incontestable sur tous les membres de la tribu, femmes et hommes compris qui la respectent et ne remettent jamais en question ses décisions. Cette femme puissante a une philosophie de vie et une vision particulière du rapport au fric.
« Rambo lui avait expliqué que sa mère avait des pouvoirs et que cela lui avait donné le statut exceptionnel de reine de la communauté. Le jeune Blanc, qui vivait déjà au quotidien avec une jeune fille ayant elle aussi des pouvoirs de voyance, d’extase et de transe, savait qu’il ne fallait pas badiner avec ces choses-là. Aussi avait-il souscrit facilement quoique avec un peu d’appréhension au communisme primitif de la tribu Patrac ». (page 90).
C’est assez dingue et par une certaine similitude, j’y reconnais aussi les Inuits de Thulé en résistance comme eux et vivant dans un système anarchocommunaliste qu’évoque Jean Malaurie.

Alain Guyard récidive aux éditions Le Dilettante, étonnant éditeur capable de s’offrir des coups de cœur pour des littératures aux antipodes d’un Eric Holder, par exemple. Mais toujours avec le gage d’une extrême qualité littéraire.

Ce roman, va vous exploser les quinquets à faire des étincelles, tellement il est bath et lisible et en plus on s’instruit. Que demander de plus à un auteur si érudit, qui sait nous cultiver et nous toucher par son approche fraternelle. Il porte sur ses personnages une lumière bienveillante jusqu’à l’apothéose. On n ne s’ennuie jamais. On a envie de continuer l’odyssée en leur compagnie. Merci chaleureux à Alain Guyard pour ce cadeau de début de printemps 2015.

Alain Guyard : La Soudure, éditons Le Dilettante, avril 2015, 224 pages, prix 18 euros