"Trahisons" de Harold Pinter au Proscenium (Paris 11 ème)

"Trahisons" de Harold Pinter au Proscenium (Paris 11 ème)

Un triangle amoureux bourgeois très très british dans le milieu de l’Edition, un combat métaphorique entre le vers et la prose, une pièce intimiste, sensible, à la mécanique impeccable, originale et maîtrisée (une chronologie inversée ultra pertinente qui donne, du sens, du relief), "Trahisons" de Harold Pinter, à l’écriture faussement simple, qui, partant d’une histoire presque habituelle ou banale, construit un moment théâtral, intense, prenant et enrichissant, fonctionne autant dans l’exprimé que dans le non-dit, une comédie tragique des silences toute en subtilités, nuances et trouvailles. "Trahisons" au Proscenium, Paris 11 ème confirme tout le bien que l’on pense de ce beau nouveau endroit de la Création.
Un joli trio fort bien casté porte haut et fort le texte de Pinter avec talents dans des moments magiques, précieux et uniques du Théâtre de l’émotion juste. A voir absolument.

Le pitch : Une femme, son mari, son amant. Mais les deux hommes sont meilleurs amis. Qui trompe qui ? Au jeu cruel des trahisons, tout le monde est perdant.

Emma est galeriste. Elle a entretenu une relation avec Jerry, agent littéraire, qu’elle a avouée voici deux ans, à son mari Robert, qui est éditeur et aussi le meilleur ami de Jerry.

Et son partenaire de squash. La pièce s’ouvre sur un aveu, non pas un aveu au mari de l’infidélité passée, mais un aveu à Jerry : Emma lui apprend qu’elle a tout dit à son mari Robert.

Dans cette pièce à rebours, Pinter reprend la figure ternaire du vaudeville avec la femme, le mari et l’amant. Toutefois, il ne s’agit pas ici d’humour burlesque. L’auteur nous montre tout le poids du non-dit entre les hommes et les femmes, et comment se créent et se déchirent les liens d’amour et d’amitiés qui les unissent.

Dans cette intrigue amoureuse, Pinter emmène le spectateur à travers 9 tableaux, entre trahisons et aveuglements, pour finalement le piéger, l’ayant pourtant prévenu de la chute.

Mon avis :

Harold Pinter est considéré par beaucoup de spécialistes comme l’un des plus grands auteurs de théâtre du XXème siècle et cela se confirme dans cette adaptation de "Trahisons". Car dans cette pièce c’est avant tout l’écriture qui prévaut, sa mécanique impeccable, brillante, exigeante de mise en scène, sa grande acuité humaine, social, son oeil qui démonte scène après scène ce que peut être un couple hétérosexuel bourgeois, contemporain de nos habitudes.

Deux hommes liés par une amitié forte, intellectuelle, virile se partage la même femme dans une cooptation plus ou moins officielle. L’un est son mari, l’autre est son amant, mais la réalité est plus complexe que cela.

Pinter sublime le banal de l’Infidélité de caste, de milieu à travers un texte qui s’exprime dans une chronologie inversée, on part de 2010 pour retourner au début de l’histoire en 2002. On assiste à un chassé-croisé par alternance de scènes entre ces trois personnages dont les histoires sont toujours carrefour, intimes et s’interpénètrent avec beaucoup de savoir-faire et d’intelligence(s).

Michel Barroco est excellent, juste et crédible dans le rôle de l’amant peu courageux, lyrique, poétique mais touchant qui drague la femme de son meilleur ami, devient le témoin de leur mariage puis l’amant de cette dernière sans toutefois être prêt de tout quitter pour elle ni à déplaire à son meilleur ami.

Annmarie Petit campe, avec beaucoup d’enthousiasme, de plaisir et une belle énergie, la femme admirée par son mari et désirée par son amant qui aime la littérature et aime faire du beauf bourguignon à celui qu’elle retrouve dans un studio dont elle a choisi les rideaux, et où elle retrouvera son amant, les après midi, pendant 7 ans.

Mais la grande révélation de cette pièce c’est bel et bien celui qui incarne le mari, Robert, l’Editeur blasé qui accepte plus ou moins en fermant les yeux que sa femme lui échappe et accepte de continuer à avoir une relation quasi normale avec son meilleur ami et traitre : Gilles Darras.

Gilles Darras est juste époustouflant du début à la fin de la pièce. On assiste à une leçon de théâtre avec ce comédien qui ne joue pas, mais incarne. Il est complet, il a tout, le charisme, la présence, la voix, l’oeil, les silences, les dits, les non-dits. Il faut absolument aller voir ce garçon-là sur scène, il est meilleur que Lucchini, plus juste aussi tout en sachant parfaitement être théâtral, attractif et percutant quand il le faut.

Aller au Théâtre c’est aussi pour découvrir en live des Natures telles que Gilles Darras. Avec "Trahisons", on assiste à une pièce à part entière mais aussi à un grand numéro de Darras, alors il ne faut pas s’en priver !!!

Cette création originale de "Trahisons" de Pinter est un vin de vigueur pour un Dimanche après midi d’hiver. Vous ne serez pas déçus, le monde de Pinter vous parlera sur le fond et sur la forme et les comédiens vous régaleront. Une bien belle programmation, de plus, dans ce beau lieu du Proscénium...

Avec Michel Barroco, Annmarie Petit et Gilles Darras.
Texte : Harold Pinter.
Mis en scène : Christine Fodor.
Tarif : de 10 à 15 euros.
RESERVATIONS : 01 40 09 06 77
FNAC, BILLETREDUC

TRAHISONS, de Harold Pinter, LE PROSCENIUM Jusqu’au 14 décembre 2014