« Le Canardeur » de Cimino va cartonner !

« Le Canardeur » de Cimino va cartonner !

Michael Cimino nous avait déjà habitué à des perles cinématographiques nous ouvrant sur « La porte du paradis », chef d’œuvre incontestable. Pour son premier film, il fait mouche avec son « Canardeur » (1974). Il embauche un Clint Eastwood qui rengaine sa testostérone, secondé par un Jeff Bridges prometteur. Ces deux-là campent un duo de truands inoubliables. Ils nous somment de les suivre dans un road-movie des années 70 au sein d’une Amérique profonde pour un casse, que même le Capitaine Fracasse n’aurait pas imaginé, tant l’audace et la folie l’emportent à l’écran. Déjà, un très grand Cimino trop inconnu qui mérite le détour.

Franchement, autant j’ai adoré et vibré avec le Clint Eastwood du cinoche spaghetti du très cher Sergio Leone, autant le Clint de la clique à l’inspecteur Harry me donnait la gerbe dans le sillage de l’autre gros bras bien beauf de Charles Bronson en justicier d’une Amérique de l’autodéfense et de la violence gratuite.
C’est donc avec une certaine méfiance que j’ai visionné ce film, en usant cependant d’un regard curieux sur ce que Michael Cimino pouvait déjà réaliser dans son œuvre première.

Les enjeux du titre pour attirer les gogos en pays franchouille sonnent souvent faux le glas ! Le titre original « Thunderbolt and Lighfoot » dresse le portrait des deux personnages principaux. En français on ne garde que celui de Clint en canardeur ! En plus, moi qui n’y connaît rien au sujet des caisses, j’ai appris que Thunderbolt, c’était aussi le nom d’un modèle de bagnole, celle-là même blanche de sport que Lightfoot (Jeff Bridges beau mec épatant) a appuyé du pied sur l’accélérateur devant un marchand d’occase médusé. Au voleur..... En sachant aussi que c’était la voiture que Clint venait de s’acheter après avoir touché ses cachetons généreux pour ses films de flic agressif. De-là à ce que dans son rôle il se voit affublé du blase de John Thudnerbolt, ça roule ma poule !

L’affiche du film efface encore Jeff Bridges au seul profit d’un Clint couillu du pantalon posant devant un fusil anti-char, prolongement direct de sa queue. Tous les schémas sexistes racoleurs sont réunis pour nous tromper sur la marchandise.

En fait, Clint joue un type sur le retour d’âge planqué sous le costume d’un pasteur qui entreprend du haut de son estrade un dieu sans prétention, pour faire avaler ses salades à un public bonnard et endormi. Sauf quand tout au début du film, un tueur vient lui siffler son homélie en voulant le plomber. Ambiance western garantie ! Et pourtant point de canassons mais des chevaux vapeurs sous le capot des engins à quatre roues qui sillonnent les routes du Montana à mordre la poussière.

Pourquoi ce choix qui peut paraître surfait d’avoir engagé Clint Eastwood pour un tout premier film d’un cinéaste forcément inconnu, avec tous les effets dévastateurs que cela aurait pu avoir sur la carrière de Cimino ? Clint était déjà de mèche avec le Cimino scénariste de Magnum Force et comme il rêvait de jouer dans un road-movie et qu’il avait été séduit par le talent du faiseur de mots à l’image.... Le courant était passé entre les deux hommes si différents au point de se jouer l’un de l’autre et travailler de concert sur ce film. Bien leur en a pris. Clint effaça ses muscles et freina ses pulsions agressives qui lui collaient à la peau de presque tous les personnages qu’il avait jusqu’alors incarnés à l’écran.

Le canardeur, c’est l’histoire d’une amitié naissante à la vie à la mort entre deux hommes dont l’un pourrait être la réincarnation du second. Le vieux (Clint) qui se lit dans le regard du jeune (Jeff) et réalise qu’il a encore des potentialités de se bouger au lieu de s’enterrer, de se terrer pour échapper au sort sordide qui lui colle aux basques.

John Thunderbolt, ex maître perceur de chambres fortes avec canon anti-char, est poursuivi par deux anciens complices qui l’accusent à tort d’avoir empoché la mise de leur dernier braquage. Tant est si bien qu’ils veulent qu’il crache le morceau et son dernier souffle. Sans le secours involontaire de Lighfoot (Pied de Biche) au surnom qui sonne comme un Indien, il aurait passé l’arme à gauche. Et quand John lui demande : tu es Indien ? L’autre lui rétorque : non tout simplement américain. Et quand Pied de Biche souhaite l’amitié de celui qu’il considère comme son frère aîné, John dépité lui sort : petit, tu arrives dix ans trop tard !

Il n’empêche, ces deux zigues vont rencontrer l’Amérique profonde de la campagne avec son lot de personnages épiques. Je pense au fermier aux lapins blancs qui frôle l’allumage de ses neurones à se consumer au-dessus d’un nid de coucou... Ou ce couple de petits bourgeois, l’arrière de la bagnole chargée à bloc des robes de madame...

John sait être convaincant avec ses anciens acolytes de lui laisser la vie sauve et de s’associer avec lui. Lorsque le jeunot de Pied de Biche propose de réaliser l’ancien casse des vétérans pour réunir la petite bande à l’unisson, c’est le hourra dans les gorges. A part deux embouchés de la vieille école qui n’apprécient pas ses manières de jeune loup fringuant et désinvolte trop libre par rapport à ces deux coincés du zob et du ciboulot. Surtout George Kennedy dans le rôle de Aryle, brute épaisse refoulé sexuel notoire pour qui la vue d’un sexe de femme met à nu son vrai visage. Il éprouve une haine farouche envers Pied de Biche à cause de sa liberté avec les femmes, son charme et sa joie de vivre dans l’insouciance. Il représente pour lui le pire ennemi à abattre, fruit d’une société décadente. Rappel : le film se situe en 1974, en pleine guerre du Vietnam, du mouvement hippie sur le déclin secondé par la beat generation et le no futur qui gueule en sourdine.

Et déjà chez Cimino, ses images des grands espaces où s’ébattent ses héros prennent une grande place. C’est aussi en ce sens qu’il ingurgite traits pour traits, les ingrédients du western qui frayent à l’écran. A une différence prêt, les codes ont changé. Les cow-boys roulent en break et les Indiens, ce sont les damnés de la terre. Les grands espaces font place à des villes des nuits urbaines grouillantes des bruits et des fureurs dans le genre polar, au milieu des courses poursuites et du cinoche à ciel ouvert. Le symbole de la liberté dans le dernier plan d’une route inexorablement droite mène vers un autre avenir, avec cette manière déjà si particulière qu’a Cimino de filmer en cinémascope.

Et pour se fondre dans le paysage urbain et préparer le casse, nos quatre braqueurs se chauffent à la réalité du travail salarial. Ils vendent des glaces en triporteur dans un quartier huppé. Ironie du sort, c’est Kyle Eastwood fils de Clint et fameux contrebassiste et bassiste de jazz, âgé en 1974 de six ans, qui joue un gamin imprégné des valeurs capitalistes du marché et de la concurrence. C’est lui qui démasque les vrais / faux vendeurs de glace en se gaussant d’eux.

Ce duo amical et masculin chez Cimino me rappelle de loin les Dewaere et Depardieu des Valseuses, avec en moins la pétillante et intelligente Miou-Miou. Le Canardeur n’a pas encore d’équivalent par chez nous. A quoi bon lui chercher les poux de la comparaison !

Sans hésiter, jetez-vous à l’eau sans bouée, vous ne le regretterez pas, je vous le garantie, du très grand art chez un cinéaste qui allait très vite maturer et se surpasser. Premier opus, exercice de style de la part de Cimino, parfaitement réussi et convaincant.

Le Canardeur de Michael Cimino, avec Clint Eastwood, Jeff Bridges, George Kennedy.... 1974, 115 minutes, couleurs, distribué par Carlotta Films, avec comme toujours de nombreux suppléments passionnants, nouveau master restauré HD, sortie le 19 novembre 2014