Naturisme : Sylvie et Jacques, deux nudiens de l’APNEL

Durant cet été, j’inaugure une série d’interviews de singulières et authentiques belles personnes venues des multiples horizons de la nébuleuse naturiste actuelle. Leur parole est rarement reconnue ni entendue, voire pire encore souvent censurée pour certains d’entre eux sur les forums et médias naturistes. Du fait même de leurs pensées libres qui s’élèvent contre les dérives commerciales qui dévoient le naturisme humaniste et fraternel des pionniers de ce mouvement. Je leur ai donné bien volontiers la parole entièrement libre sur le Mague, dans la richesse de leurs différences !

Premiers interrogés, Sylvie et Jacques de l’APNEL Association pour la promotion du naturisme en liberté, militants qui se battent sur le terrain du naturisme hors des lieux fermés, lors de randonues et manifestations urbaines. Leur solidarité lors du procès début juillet à Périgueux a marqué et représenté un tournant dans l’acceptation de leurs idées et luttes légitimes du point de vue juridique et une fabuleuse tribune médiatique. Leurs combats continuent de plus belle dans un élan joyeux, enthousiaste et communicatif naturiste.

Le Mague : Depuis ma dernière interview de Jacques pour l’APNEL en 2008 : http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article4908, on a appris à te connaitre, mais toi Sylvie qui es-tu, quelle place occupes-tu à l’APNEL et pouvez-nous nous rappeler les revendications de votre association ?

Sylvie : Petite nouvelle, en 2006, dans le monde du naturisme, il m’a fallu apprendre très rapidement ; d’autant qu’en 2008, je me suis retrouvée présidente de cette association naturiste ultra militante. J’ai vite compris l’intérêt, pour ce type de mouvement, d’être représentée officiellement par une femme et je me savais entourée d’administrateurs et de sympathisants ayant de grandes qualités humaines. Bref avec la bienveillance et le talent de tous ceux, nombreux, qui se sont penchés sur le berceau de l’APNEL j’ai pu être, à ma façon, utile au développement extraordinaire d’un naturisme décomplexé lors de ces six dernières années. Quant à nos revendications, elles sont restées les mêmes, avec comme objectif essentiel la dépénalisation de la simple nudité et comme moyen, une communication enjouée, pédagogique associée à une solidarité sécurisante pour les militants.

Le Mague : Autour de 2008 si je m’abuse, vous avez intégré les rangs de la FFN (fédération française de naturisme). Qu’est-ce que cela a apporté à votre association et quelles impulsions lui avez-vous permise ?

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Jacques : "On ne construit pas sa maison tout seul", ce vieil adage résume toujours bien notre stratégie. La cohésion de la "famille naturiste" a été essentielle à cette belle aventure humaine. Politiquement, il fallait donc impérativement intégrer dans l’action et la réflexion tous les naturistes, y compris les indifférents, les sceptiques et les détracteurs. Cela a permis de créer une dynamique qui a eu pour conséquence de nous aussi obliger à la performance et aux résultats. Une symbiose est née entre les deux structures APNEL / FFN, évitant ainsi tout conflit stérile. Le bureau de la FFN est d’ailleurs rarement intervenu dans notre communication.

Le Mague : Je sais que vous avez maturé comme le bon vin du Médoc qui se respecte. Vos objectifs restent-ils les mêmes qu’au départ ou vos méthodes pour y parvenir ont-elles changé ?

Jacques : Pour en revenir à l’image de la maison en construction, il est vrai qu’en prenant de la "hauteur", nous avons vite eu une meilleure vision des choses. Plus question d’écrire à tous les députés, maires, sénateurs ; gendarmes et policiers ; avocats et magistrats. Nous n’en n’avions vraiment pas les moyens et pour quels résultats ? Par contre, le monde médiatique nous est devenu de plus en plus familier. Avec le procès de Périgueux, nous venons d’approcher la sphère du juridique. Reste à influer davantage sur le monde politique pour le faire enfin légiférer sur une lecture plus intelligente et intelligible de l’article 222-32 du Code Pénal : (L’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende). La QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité) introduite lors du procès de Périgueux devrait donc nous y aider.

Le Mague : Quelles scissions sont apparues en votre sein et ont-elles aboutie à de nouvelles perspectives géographiques pour l’essor de vos activités ?

Jacques : Une association, ce n’est généralement qu’un, ou qu’une poignée "d’actifs référents" dont la disponibilité et la convergence de stratégie n’est pas acquise et extensible à l’infini. Personne n’ayant le "monopole de la vérité", il valait mieux avoir la sagesse d’encourager plutôt que contrarier d’autres initiatives. C’est ainsi que notre ami Dominique à créer L’ARNB, aujourd’hui affiliée à la FFN : http://www.arnb.fr (l’Association des Randonneurs Naturistes de Bretagne). Que notre talentueux (et ex administrateur), Jean-Paul, a mise en place L’ARNP (l’Association des Randonneurs Nus de Provence) http://lesrandonneursnusdeprovence.e-monsite.com affiliée à la FFR (Fédération Française de la Randonnée) : http://www.ffrandonnee.fr. Et que notre non moins brillant administrateur Bruno a fondé L’ANP (Association des Naturistes Phocéens) : http://www.naturistes-phoceens.fr affiliée également à la FFN. Bref, ces trois premières structures sœurs renforcent plus qu’elles ne divisent le développement du naturisme en liberté.

Le Mague : La brûlante actualité du procès pour « simple nudité » à Périgueux où vous vous êtes illustrés en tant que militants en soutien à votre compagnon incriminé, vous pouvez nous raconter un petit peu cette histoire et ses aboutissements ?

Jacques : Cela faisait des années que l’on attendait ce cas d’école, ce procès médiatique, cette tribune politique. Mais il fallait s’adosser à un bon "présumé coupable" pour démontrer toute l’incohérence de ce système répressif. La gendarmerie de La Roche Chalais nous a "bien aidés" en arrêtant Alain, ce professeur au-dessus de tout soupçon, dont le seul "tort" était d’avoir été aperçu nu (et dénoncé) par une femme visiblement peu enclin à la bienveillance. L’un des gendarmes a heureusement eu la brillante idée de conseiller à notre ami de se rapprocher de nos associations. Et en échange de notre solidarité amicale, financière et juridique, Alain a finalement accepté d’avoir le courage de renoncer à la CRPC (Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité) afin de pouvoir avoir accès à un véritable procès pour pouvoir mettre, enfin en exergue, la démesure et la violence de ce type d’arrestation.

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Le Mague : Comment selon vous les médias ont-ils couvert le procès ?

Jacques : La brillante équipe de journalistes du journal Sud-Ouest a réalisé en relation avec Alain (pédagogue de métier), avec Tewfik (notre avocat talentueux) et avec certains administrateurs de l’APNEL, 2 ou 3 articles très bien écrits. Ceux-ci ont ensuite été repris, avec la même rigueur, par l’un de nos correspondants de l’AFP. Puis, plus d’une quarantaine d’autres supports d’information ont eux-mêmes repris et couvert le sujet : http://www.sudouest.fr/2013/06/29/une-randonue-mal-percue-1100281-4625.php. Bref, nous avons été enchantés du résultat d’autant que sur les forums des articles mis en ligne, de nombreuses réactions argumentées montrent bien le décalage entre l’interprétation souvent liberticide de la loi et l’ouverture d’esprit de la majorité de nos contemporains.

Le Mague : Comme pour les drogues douces, il faut s’entendre sur les termes. Vous souhaitez la dépénalisation ou la légalisation du nu et dans quel contexte précisément  ?

Jacques : En tout état de cause, la simple nudité n’a évidemment rien à voir avec le pénal. Plus généralement, la liberté d’apparence doit être totale (hormis certaines exceptions liées par exemple à la sécurité). Malheureusement, on voit se développer des arrêtés municipaux illégaux réglementant notre façon de nous habiller (en particulier à Paris et dans certaines villes côtières du sud de la France). C’est inacceptable dans une démocratie et surtout dans la nôtre qui se permet, en permanence, de donner des leçons de morale aux autres pays en matière de droits de l’Homme.

Le Mague : Pensez-vous obtenir gain de cause dans votre lutte pour la reconnaissance de la randonue du point de vue juridique avec le régime socialiste en place ? Si oui de quelle manière ou si non pourquoi ?
Jacques : Notre discours peut être compris par tout "homme de bonne volonté" et il en existe, heureusement, dans tous les partis. A titre indicatif, notre lettre envoyée aux candidats à la présidence de la république est très révélatrice : http://www.apnel.fr/forum/viewtopic.php?id=457. François Hollande a d’ailleurs affirmé vouloir étudier la question http://www.apnel.fr/forum/viewtopic.php?id=484. On note toutefois un discours un peu plus ouvert sur le sujet dans les partis de la "gauche extrême".

Le Mague : Comment vous considérez-vous par rapport aux autres naturistes qui préfèrent « s’enfermer » dans des centres ou clubs naturistes clos ?

Jacques : Nous avons tendance à considérer qu’il existe deux grandes formes de naturisme (aussi respectables l’une que l’autre).L’une "consumériste" peut se traduire par l’expression très commune "Moi je fais du naturisme pendant mes vacances". L’autre "militante", qui se définit par l’affirmation "Je suis naturiste !" et implique un naturisme décomplexé et revendicatif.

Le Mague : Une thématique qui revient souvent dans le petit monde naturiste actuel, concerne l’envahissement des centres naturistes par des textiles (gens qui se vêtent). Quand pensez-vous et ne croyez-vous pas que ce phénomène bien réel peut apporter de nouveaux adhérents à votre association, qui se veut libre et nue hors des murs des entités naturistes constituées ?

Jacques : Sur ce point, nous n’allons peut-être pas nous faire que des amis. Mais notre objectif est bien de pouvoir cohabiter avec les textiles dans tous lieux publics. A l’inverse, il nous paraît donc difficile de refuser "ce bien vivre ensemble" sur nos plages et dans nos autres espaces dédiés. Toutefois, nous comprenons aussi que l’on puisse avoir des difficultés psychologiques à vivre nus au milieu de gens habillés. Aussi, il faut encore des espaces naturistes privés où la nudité soit la règle de vie et des espaces textiles où c’est évidemment l’inverse. Ce qu’il manque, ce sont donc des structures libres, mixtes et ouvertes (tex-friendly), où chacun serait comme il le souhaite. Ainsi, dans une même famille ou dans un même groupe d’amis, la liberté de chacun serait ainsi mieux respectée.

Le Mague : Avez-vous des contacts et échanges avec les autres associations européennes de randonue ? Comment le législateur dans ces autres pays classe les randonneurs nus ?

Jacques : Les activistes nudiens au niveau international sont tous de sympathiques "hyper actifs". Ils cherchent à tout prix à occuper le terrain médiatique pour mettre nos sociétés face à leurs contradictions. Malheureusement, même s’ils ont un certain talent, ils ne sont pas encore assez nombreux. Dans un sens, ce petit effectif facilite nos contacts. Dans un autre, cela met en relief la fragilité de nos acquis. De célèbres leaders sont apparus au fil des années (et en particulier quelques femmes, étonnantes d’audace). Solidaires les uns des autres, nos échanges sur les réseaux sociaux entretiennent une formidable émulation. La FNI (Fédération Naturiste Internationale) : http://www.inf-fni.org/fre projette, d’ailleurs, de nous épauler en demandant, au niveau européen, une harmonisation des législations… Dans le "bon sens", bien sûr !

Le Mague, à vous le mot de la fin et bonne continuation à toutes vos activités et vos combats.

Sylvie et Jacques : Il faut bien comprendre que les notions de naturisme, de liberté et de "bien vivre ensemble" sont intimement liés. La stratégie du "pour vivre heureux, vivons caché" mène immanquablement à la régression, à l’échec. Nos structures ont vieilli avec nous et "crèvent" de leur enfermement. Elles sont désertées par les jeunes. Un naturisme réellement communicant et ouvert sur la société est donc plus que jamais nécessaire. Il bénéficiera, au final, à tous les naturistes et d’une manière générale, à l’ensemble de nos sociétés.

Visuel : Devant le tribunal de Périgueux, le lundi 1er juillet 2013