Raymonde et Robert Bidochon, vous connaissez ? Ils ont usé jusqu’à la trame les albums de BD dans lesquels ils s’ébattent jusqu’à l’épate de ne plus avoir grand-chose à dire. A force, la série s’étiole…
Mais, quand il s’agit de tout jeunes héros septuagénaires qui se connaissent pour ainsi dire depuis la nuit des temps à l’âge où la lune de miel n’a pas encore revêtu le fiel de l’ivresse à se dérider les fesses, les années aidant. Ils s’appellent Momone et Jeannot et eux, ils ne se planquent pas à couvert des planches de salut d’une BD..

Karine Pasina de son regard perçant dans ses textes, raconte des histoires de notre couple, joyeux retraités qui filent le tempo des moments creux en s’accrochant aux petits riens qui peuplent leur quotidien vétuste. Je vous rassure « La première gorgée de bière  » ne coule pas dans leurs artères. Et contrairement au célèbre écrivain à la manque et constipé, Karine sait regarder et dégager des situations d’humour. Elle a l’œil et le bon, pardi ! Après la fac de lettres à Nancy, elle a fait son sac et est devenue accompagnatrice de voyage une bonne décennie. Et comme de bien entendu, les voyages forment l’éternelle jeunesse, ce sont des bandes de personnes du 3ème Age sur lesquelles elle a fixé son dévolu. Puis retour du sablier, elle est devenue professeur des écoles en zone sensible. La boucle était bouclée.

David Gouzil, l’illustrateur pour les habitants du Sud-Ouest revête la silhouette du dessinateur dans les pages de leur quotidien favori. D’un coup de crayon, vous avez le résumé de l’actualité. Sa patte apparait également dans d’autres publications, telles Goldrush, le Journal du Médoc, Déclic, Spirale et d’autres encore sur d’autres supports. On se l’arrache le David  !

C’est tout naturellement que ces deux-là ont formé ce duo créateur. C’est Face de Bouc qui les a réunis. Quand l’enseignante contacte le dessinateur afin de lui dire son enthousiasme pour ses dessins. En retour, la plume et le style de Karine tapent dans les crayons de David. Ils partagent ensemble les pages d’un premier ouvrage « Rien vu, rien entendu  » chez le même éditeur. Et pour notre plus grand plaisir, ils remettent le couvert avec l’ouvrage « C’est pas alzheimer pour tout le monde », sous-titré en couverture dans une bulle d’accroche à chanter en chœur j’ai la mémoire qui flanche….. « Le tout, c’est que j’arrive à me souvenir de ce que j’ai promis à Momone, pour lui dire que j’ai oublié  ». Sacré cas de conscience, en effet, Jeannot !
En plus, il fonctionne à la maxime de la Rochefoucauld : «  il est plus aisé d’être sage pour les autres que l’être pour soi-même  ». C’est pour vous dire s’il l’aime sa Momone. En plus de ses qualités humaines pas toujours partagées par sa moitié, il est dépensier, étourdi et je dirai flemmard et même pire….. Mais sa Momone, elle s’est habituée, elle l’aime quand même encore son Jeannot. C’est une femme qui a souffert de la guerre, il n’y a pas de doute. Dans ses comportements de radinerie poussée à l’excès de zèle, ça ne l’empêche pas d’être généreuse en contrepartie. Avec elle rien ne se perd, tout se garde. Forcément à force, ça fait désordre. Tous les prétextes sont bons pour s’engueuler par habitude et se tester.

Histoire de familles, de couples, vous n’y couperez pas. De l’omelette aux cèpes, aux brimbelles avec le Jeannot coursé par un taureau, coincé sur le toit à force de vouloir nettoyer les chéneaux, enfermé dans les chiottes lors d’une réception, la course à vélo n’est plus de son âge, léger strabisme de parking sur l’autoroute avec une Momone qui a disparu et tout de suite dans son esprit tordu fuse : « On a enlevé Simone…  », les arnaques du garage, Jeannot et son sens de l’orientation un peu branque, il se grille aussi une ampoule, le coulis de tomate à la sauce Jeannot c’est sanguinaire, et quand papi fait réviser les leçons de son petit-fils… c’est élémentaire, et pour finir par un note d’amour : « Il est quand même gentil, Jeannot  » avant que n’apparaisse le mot fin.

Il s’agit de tronche de vie de tous le jours avec un Jeannot qui n’arrête pas de gaffer et une Momone aphone sur certains points. Le contraste relève le gant et après tant d’années de vie commune, on ne sait plus qui est la bonne prune. Ils sont beaufs comme tout le monde est beauf. Vous y reconnaitrez forcément des aïeux présents ou déjà passés. Ces deux héros ne sont jamais moroses à se plaindre du moindre bobo. Non, ce n’est pas du tout le parti pris des deux auteurs. Ce livre s’inscrit sous l’optique du rire. Et en plus, la majeure partie des histoires sont des histoires vécues. Ce n’est pas moi qui le dit, mais Karine en personne.
Des histoires courtes illustrées par un David Gouzil bien inspiré.
Un duo d’artistes de talent qui vous réjouiront par les propos sur la vieillesse en liesse.

Quelques mots sur la maison d’éditions Les points sur les i. Elle a été créée en 2000 et a déjà à son actif plus de 200 titres à raison en moyenne de 20 nouveautés par an. Alain Guillo son directeur définit sa maison en ces termes : « Les ouvrages loin des coups mercantiles, seront encore d’actualité dans les prochaines années  ». C’est tout le bien qu’on peut lui souhaiter, d’autant que ce présent ouvrage ne coûte que 10 euros et est donc abordable sous tous les plans.

C’est pas Alzheimer pour tout le monde, textes de Karine Pasina / illustrations David Gouzil, collection les Moutons noirs vous disent, éditions Les points sur les I, 94 pages, janvier 2013, 10 euros