L’expo "Die Brücke" à Quimper révolutionne les arts !

 L'expo "Die Brücke" à Quimper révolutionne les arts !

Filez à Quimper jusqu’au 8 octobre 2012 admirer les toiles, gravures sur bois, aquarelles et autres techniques abouties de « die Brücke ». Ce groupe d’artistes expressionnistes révolutionnaires qui fit trembler les cimaises de Dresde à Berlin entre 1905 / 1914 dans un esprit collectif et jouissif. Ils fondèrent la plus grande partie de leur art autour du « nu fondement de tous les arts plastiques » et s’égaillèrent naturistes à composer des scènes de nu libres en plein air et en atelier. Pile saisir l’instant, rien qu’avec leurs outils scripteurs telle était la gageure de ce mouvement expressionniste qui contemple la peinture actuelle avec un regard critique et militant. Tous les remerciements au Brücke-Museum de Berlin pour le prêt de son fonds et cette exposition si rare et unique tant dans la qualité et l’essence humaine de ces artistes entiers.

« A l’ouest obscur passent des hermines / Des renards, des cygnes et les chevaux d’Arthur / Je file je roule sur la route de Quimper / Où le monde est celtique / Où les canards sont bleus….  » (Gilles Servat) Pour aller à la rencontre de cette exposition, Gilles Servat m’accompagnait en chemin. Ses canards bleus dignes de la perception des artistes de die Brücke firent éclater les palettes dès l’entrée du musée de Quimper situé en plein centre-ville. Ce bâtiment sous ses latitudes était digne de l’esprit qui règne dans le pavillon de la forêt qui abrite le Brücke Museum de Berlin auquel j’ai déjà rendu maintes fois visite.

Au moins 120 œuvres ont été convoyées depuis Berlin jusqu’à Grenoble tout d’abord, avant d’achever le périple à Quimper jusqu’au 8 octobre 2012.
Je sais, vous pourriez me dire : Les expressionnistes, moi je m’en tape les coquillards du style « j’veux un béret français  » pour être dans le ton d’une réplique à la Prévert  ! J’en conviens, ils sont peu connus par chez nous et notre hexagone a toujours éprouvé quelques difficultés à s’ouvrir les quinquets vers d’autres horizons culturels. Raison de plus, pardi pour les découvrir, car ils valent vraiment le déplacement ! D’autant quand on sait que Munch, Van Gogh, Gauguin, Dürer et les arts primitifs inspirèrent ce fameux groupe de jeunes d’une vingtaine d’années en 1905, frais émoulus de l’école d’architecture de Dresde. Ils laisseront au Bauhaus plus tard le soin de se construire un univers en trois dimensions, même si déjà par eux-mêmes ils explorèrent différents supports plastiques qui donneront du relief à leurs œuvres. Parmi les membres fondateurs en révolte contre les pères et le refus de l’académisme pédant sommé par le Grand-Guignol Guillaume 2 et ses fameuses et ridicules moustaches et tenues d’apparat, on reconnaitra la stature d’Ernst Ludwig Kirchner, Fritz Bleyl, Erich Heckel, Karl Schmidt-Rottluff qui fonctionnaient tout au début sur un mode collectif de type coopératif. Ils seront rejoints plus tard par la clique d’autres artistes talentueux : les Otto Mueller, Max Pechstein et brièvement par l’ainé Emil Nolde. Ils étaient installés au départ dans un quartier ouvrier de Dresde, ce qui a à leurs yeux avait déjà une portée politique et sociale importante. Leur art et leur vie ne feront plus qu’un et tous pour un et un pour tous, nos mousquetaires libres comme l’air et sans maître vont se bouger pour reculer toujours plus loin les lignes de la perspective des tableaux de l’époque et jouer de la solidarité du groupe pour faire entendre leur cri plastique.

Leur programme gravé dans le bois apparait dans l’épigraphe de « Dagmar » * roman de Franck dit Bart. C’est bien naturel de sa part puisqu’il s’inspire librement d’un tableau de Kirchner et de l’esprit d’avant-garde de cet artiste hors norme : « Ayant foi en une génération nouvelle de créateurs et de jouisseurs, nous appelons toute la jeunesse à se rassembler en tant que porteuse d’avenir. Nous voulons une liberté d’action et de vie face aux puissances anciennes établies. Est des nôtres, celui qui traduit avec spontanéité et authenticité ce qui le pousse à créer ». L’esprit de la lettre est donné tel un manifeste militant d’un groupe en rupture de ban avec leurs aînés et les conventions sociales en vigueur. Cette fabuleuse exposition prouve aussi l’engagement vers d’autres formes picturales et autrement. Je pense particulièrement à leurs bois gravés très bruts qui répondent à l’aquarelle et la peinture aux couleurs très franches. Ils épousent la structure du bois et maîtrisent parfaitement cette technique. Le regard de ces artistes se porte vers la conquête d’une liberté d’action.

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Déjà, rien que la dénomination de leur groupe : die Brücke (le Pont) fait référence sans conteste mesure à cette phrase de « Zarathoustra » de Nietzsche qui accueille les visiteurs de l’exposition : « Ce qu’il y a de grand dans l’homme c’est qu’il est un pont et non un but : ce qu’on peut aimer dans l’homme, c’est qu’il est un passage et une chute  ».

Trois sections présentent leurs œuvres. La première dessine un portrait et la personnalité de tous les artistes qui ont participé à ce vaste mouvement. La seconde, la plus représentative à mon avis de leurs œuvres épanouies, touche les étés en liberté. Vifs et insouciants, ils bravaient les interdits de la maréchaussée dans leur façon de restituer directement et sincèrement dans l’instant leurs émotions, puisqu’ils vivaient nus autour des étangs de Moriztbourg dans la banlieue de Dresde. Tout le monde était nu, les artistes avec les modèles qui étaient aussi souvent leurs compagnes. Ils devaient aussi généralement transporter à pied tout leur barda et se mouiller jusqu’à une île pour créer tranquille. On perçoit à la vue de leurs tableaux les peaux sensibles qui crissent dans des «  nus d’un quart d’heure  ». Dénomination de cet exercice de style très rapide et particulier, tant dans les ateliers qu’en extérieur qui capte dans l’immédiateté les corps en action. Cette quête à cette époque dans un retour à l’état de nature, ils l’ont puisée dans les arts primitifs dont ils souhaitaient ardemment reproduire le mode de vie. Des couleurs franches accentuent le complet dénuement des corps qui s’épanchent dans l’herbe où l’onde perle les corps naturels et vaquent à leurs occupations de femmes et hommes libres. Ils se revendiquaient du « Nu fondement de tous les arts plastiques  ».

Leurs premières aspirations se rapprochent d’ailleurs de la démarche de libération des corps corsetés de l’époque, dignes des premiers naturistes allemands. « Sous plusieurs aspects, ces expériences alliant vie en communauté, nudité et ressourcement au contact de la nature ne sont pas sans rappeler les théories développées par les premières associations naturistes allemandes désignées après 1918 sous une appellation générique difficilement traduisible, la FreiKörperKultur, littéralement la culture du corps libre  ». *

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Puis avec le déménagement en 1911 du groupe à Berlin, avec les individualités qui commencent à prendre le pas sur l’essence même de la défense de leurs œuvres et l’exposition en collectif, c’est le Pont qui commence à se fissurer. Le rapport avec la Baal Babylon de Döblin, cette métropole en fusion intense va leur faire saisir les affres de la grande ville et va vite les atteindre dans leur moral. Leur art s’en ressentira. Ils vont saisir les scènes de cirque, de cabaret et la mégapole démesurée à leur échelle des valeurs. Les prostituées des rues, les cocottes de Kirchner ne sont plus de chair, leur regard est éteint, leur luminescence dans l’arborescence des couleurs tisse la tristesse. Certains de leurs tableaux peints une première fois en couleur sont repassés en noir. Kirchner va peindre désormais de façon extrêmement nerveuse avec des hachures comme pour exprimer son mal-être. Pour se ressourcer ils fuient au bord de la mer à plusieurs ou tout seul. Kirchner se réfugie les étés sur l’île de Fehmarn pour recourir au sourire de sa peau mise à nu avec ses modèles. "Dagmar" dans le roman de Franck dit Bart devient le modèle de Kirchner et s’extasie : « Fehmarn, l’île des presque tropiques tropicales. Dans sa correspondance, Kirchner écrivit : « J’y ai peint des tableaux d’une maturité totale, si tant est que je puisse en juger. L’ocre, le bleu, le vert sont des couleurs de Fehmarn, ses côtes splendides, d’une richesse parfois océanienne, des fleurs formidables avec des tiges pulpeuses ». Mais dès lors que l’artiste abordait les rives de cette nature luxuriante, il dépassait les limites de son art  ».*

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Puis avec les désaccords qui s’opèrent au grand jour quant à l’écriture picturale de l’histoire de leur mouvement et l’effervescence des couilles aux canons qui annonçaient la grande boucherie de « Quelle connerie la guerre », le groupe explosa et ce fut la fin de die Brücke.

Comme en point d’orgue à ce désappointement « L’artiste Marcella » (1910 de Kirchner) qui donne son affiche à l’exposition et qu’on retrouve dans le tableau de Pechstein « Le maillot noir et jaune  » (1909) semble songeuse. Assise de profil sur un canapé, elle est saisie par le geste rapide du plasticien et son désir de saisir l’instant sans aucune fioriture. L’immédiateté en à peine deux trois mouvements est cernée sous les traits de la jeune artiste Marcella. Elle semble s’oublier en pensant à quelque chose d’autre que la scène qu’elle est censée représenter en se postant dans l’instant. C’est tout le génie de cet artiste qui formule dans ce tableau à travers le regard en creux porté au loin par cette jeune femme l’expression des illusions perdues.

En 1938, Kirchner réfugié à Davos en Suisse, rattrapé par les séquelles de la guerre de 14 / 18, dans un geste d’absolu désespoir mettra fin à ses jours dans sa cinquante-huitième année de son art épanoui, qui allait explorer de nouveaux horizons Touché en plein cœur par les nazis qui avaient taxé son œuvre sous l’obscène désignation d’art dégénéré !

Die Brücke est un mouvement expressionniste ne l’oublions pas. Il fut aussi ouvert sur la scène littéraire et théâtrale, comme un pont jeté entre tous les arts. Un pont bien réel avec des artistes qui ont toujours créé par-delà le bien et le mal, un prélude à une philosophie de la vie fraternelle.

« Par chance et aussi par vouloir / Je dors en Bretagne ce soir  » (Gilles Servat), la nuit qui suivit ma visite à cette exposition m’avait explosé les quinquets à la revoyure de ces artistes que j’estime au plus haut point, ce cher Gillou égrenait son plaisir de me voir sombrer dans le sommeil en ces territoires sereins. Je voguai à l’abordage de sa voix grave sur des rivages expressionnistes où se dressait un Pont avec tout un groupe d’artistes qui se bougeait les pinceaux. Ils étaient passés d’une rive à l’autre pour créer malgré tout et contre tout à une époque où un critique avisé à leur début les avait qualifiés de singes hurleurs qui jetaient de la peinture contre des toiles. Merci pour les singes et surtout merci pour eux ! Ils sont toujours vivants à nos yeux et on a déjà oublié le nom du sinistre critique d’art constipé.

Die Brücke 1905 / 1914 aux origines de l’expressionnisme, Musée des beaux-arts de Quimper jusqu’au 8 octobre 2012, juillet et août ouvert tous les jours de 10 h à 19 h et septembre / octobre tous les jours sauf le mardi de 9h 30 à 12 h et de 14 h à 18 h, tel 02 98 95 45 20, 40, place Saint-Corentin.

Notes :
* « Dagmar » roman de Franck dit Bart aux éditions Kirographaires, mars 2012 : http://www.syblio.com/dagmar /
* in Programme de die Brücke / 1906 par Ernst Ludwig Kirchner
* Nicolas-Henri Zmelty Révélations du nu in Catalogue Die Brücke 1905 / 1914 Aux origines de l’expressionnisme, page 33 /
* « Dagmar » roman de Franck dit Bart aux éditions Kirographaires, mars 2012, (pages 85 / 86) / dédié entre autre à l’artiste Ernst Ludwig Kirchner : http://www.syblio.com/dagmar

Visuels :
Ernst Ludwig Kirchner ( 1880 / 1938) : L’artiste Marcella, 1910, huile sur toile, 101 x 76 cm, copyright Brücke-Museum, Berlin /
Max Pechstein (1881 / 1955) : Le maillot jaune et noir, 1909, huile sur toile, 68 x 78 cm, copyright Max Pechstein / Hambourg / Tökendorf, ADAGP, Paris 2012 /
Ernst Ludwig Kirchner (1880 / 1938) : Fränzy à l’arc avec un nu, 1910, aquarelle sur papier, 45 x 35 cm, copyright Brücke-Museum, Berlin