De Gaulle / Pétain : la confrontation. Interview d’Alain Houpillart

De Gaulle / Pétain : la confrontation. Interview d'Alain Houpillart

Rencontre avec Alain Houpillart auteur de la pièce "De Gaulle / Pétain : La confrontation" actuellement au théâtre des mathurins.

Le pari de la "confrontation" est un face à face entre
de Gaulle et Pétain mené dans une certaine parité de traitement et non pas un nouveau procès de Pétain ... ?

Alain Houpillart : Le procès de Pétain a déjà été fait. Un tel parti pris aurait été trop facile. Les événements accablent l’homme qui a serré la main d’Hitler à Montoire. La pièce n’est pas non plus une hagiographie de de Gaulle dans le style d’un son et lumière appelé à marquer une commémoration. L’homme du 18 juin a su construire lui-même sa légende. Beaucoup d’entre-nous la connaissent. L’idée d’une confrontation du vainqueur et du vaincu, un classique de l’Histoire, m’intéressait. Une telle approche permet d’entendre et de mesurer deux témoignages. Soixante ans après les faits, il est temps de les écouter, avec une certaine distance, sans empathie, afin de mieux comprendre la complexité des enjeux de l’époque. C’est peut-être cela que vous appelez la parité de traitement. Le dialogue, supposé, est bordé par des faits avérés. Pour cette raison, la mise en scène ne pouvait pas présenter, en final, un retournement " théâtral" de situation. Les deux protagonistes campent sur leur position. Il y a toutefois un bref suspens lorsque Pétain confesse avoir compris, dans sa cellule, pourquoi Daladier, Blum, Reynaud lui en ont tant voulu. Mais le regret est vite effacé. L’homme est trop orgueilleux, trop enfermé.

Peut-être que de Gaulle attendait une telle repentance pour envoyer Pétain finir ses jours dans sa maison de Provence ? Ce dénouement n’aura pas lieu. De Gaulle dénoncera ainsi, encore une fois, "l’armistice infâme". On sait que le chef de la France Libre en avait voulu aux magistrats de ne pas avoir retenu l’armistice comme chef d’accusation.

Comment la préparation des acteurs s’est-elle déroulée ?

Alain Houpillart : Concernant le casting, nous nous sommes très vite orientés vers une évocation des deux personnages plutôt que vers une ressemblance. Nous avons eu de longues réunions de travail sur table au cours desquelles j’ai détricoté le texte, replacé les propos dans leur contexte, commenté l’intérêt d’une hésitation ou d’une exclamation, justifié des répliques ou des sarcasmes. Les acteurs ont lu plusieurs témoignages et étudié les films d’actualité afin de s’imprégner du gestuel des deux protagonistes.

De Gaulle et Pétain ont des aspects lumineux mais aussi d’autres plus obscurs. Cela semble vous avoir particulièrement séduit ?

Alain Houpillart : Les relations entre ces deux hommes et notamment leur opposition constituent un véritable cadeau pour un dramaturge. Je ne suis pas un historien et ne bénéficie aucunement d’une connaissance encyclopédique de cette époque même si j’avais déjà écrit une autre rencontre imaginaire entre Chanel et Hemingway qui se déroulait au Ritz en 1944. Dans les deux cas, j’ai effectué un travail de recherche à partir de journaux, de films et de toute une littérature. Cette prospection m’a permis de recouper des informations connues et moins connues de la petite et de la grande histoire. Une telle quête apporte bien sûr des parts d’ombre et de lumière sur les deux personnages. Je les ai parfois retenues. La pièce loue l’héroïsme mais évoque également des manigances. J’ai pu constater que le public a souvent une mémoire sélective et retient plus volontiers les qualités de son " préféré ". Les deux protagonistes fendent aussi l’armure. De Gaulle, joué par Olivier Till, capitaine au début de la première guerre mondiale, raconte avec une émotion contenue la sortie des soldats qu’il entrainait en dehors des tranchées. Plus tard, il rappelle la solitude qu’il a connue à Londres.

Le fait est que Jacques Le Carpentier incarne avec un grand talent le rôle de Philippe Pétain et que celui-ci l possède un sens de la dialectique. Cette pièce peut présenter un danger : rendre le maréchal plus sympathique qu’il ne l’a été dans la réalité ?

Alain Houpillart : En présence d’un général de Gaulle hautain, plutôt réservé, il le fut à Londres lorsqu’il recevait des jeunes résistants ou en 1944 face à des maquisards, Pétain peut en effet gagner, par moment, la sympathie du public grâce à son grand âge, ses conditions de vie de prisonnier et son ironie. Il se moque des cigarettes américaines du libérateur de la France et amuse ainsi le public. Quelques journalistes ont été marqués par l’aspect bonhomme du personnage. Il faut tout de même revenir au texte qui dénonce impitoyablement le régime de Vichy. Les allusions professées par Pétain ne sont pas très flatteuses pour lui-même. Son jugement exclusivement négatif sur la Résistance
est le signe d’un entêtement de vieillard qui n’a finalement rien compris. Ses accusations sur les positions de son ancien disciple à l’égard de Thorez ou de Staline sont, avec le recul, infondées voire ridicules.

Qu’avez-vous appris sur ces deux hommes en préparant cette pièce ?

Alain Houpillart : Les deux personnages ne sont pas le contraire de l’autre : deux hommes du Nord de la France, officiers épris d’ordre, méfiants vis à vis des politiques. Ce sont aussi des êtres solitaires, orgueilleux, secrets voire impénétrables, qui savent trouver les mots justes pour parler aux Français. Ils apprécient les acclamations, et l’enthousiasme des foules. A la veille de la première guerre mondiale, pour Pétain, et de la seconde pour de Gaulle, tous les deux considèrent ne pas avoir été reconnus à leur juste valeur. Une différence toutefois essentielle, de Gaulle a démontré, dans son parcours politique, un attachement à la République.
Le public suit cette confrontation avec beaucoup d’attention et de passion.

Vous devez avoir eu des retours suite aux premières représentations ?

Alain Houpillart : Chaque soir, le public ovationne longuement les deux acteurs. Ce n’est pourtant pas une pièce comique à la mode d’aujourd’hui. La rencontre n’a rien de glamour. La pièce suscite, à la fin du spectacle, des débats en famille ou entre amis. Des spectateurs m’écrivent pour signaler des informations peu connues sur des faits qui ne sont pas évoqués dans la pièce. Les Français aiment l’histoire. Ils en redemandent.