Lettre de rupture tranquille

Lettre de rupture tranquille

« Cher peuple,
Cher troupeau capricieux d’anonymes bêlants. Chère foule inconstante d’obscurs soldats zélés. Chère cohue, chère meute, chère populace. Cher « toi plus moi, plus tout ceux qui le veulent » comme l’aurait dit Molière dans la langue de Grégoire. Chère masse difforme, grossière, insaisissable, je t’aime.

Je t’aime comme au premier jour. Rappelle-toi lorsque, le cœur battant, je confiait à Arlette Chabot combien je te désirais en secret, et pas seulement en me rasant. Rappelle-toi mes mots doux susurrés à ton oreille gourmande. « Ensemble, tout devient possible », et la façon dont je t’ai laissé emplir ce slogan de tes envies les plus exaltées, de tes fantasmes les plus fous. Rappelle-toi enfin ce fameux soir de printemps, où par le truchement de tes suffrages, tu t’es offert à moi en échange d’un concert gratuit de Mireille Mathieu et d’Enrico Macias.

Ce même soir pourtant, durant lequel je sentis poindre en toi les prémices d’une profonde déception. T’avais-je réellement promis de fêter notre union à la soirée mousse du Macumba Club, pour que tu me reproches à ce point ma virée au Fouquet’s avec quelques potes ? Avions-nous projeté une escapade amoureuse en bateau-mouche, pour que tu me tiennes tant rigueur de ce séjour sur ce yacht, loin de toi ? Sans doute. J’ai « le cœur assez bavard » comme le chante si bien notre ami commun Johnny. Et pour te promettre la lune, mon ami Guaino m’avait même prêté sa plume.

Depuis rien n’est plus pareil entre nous. Il y eut les blessures. Les insultes du salon de l’agriculture lorsque tu refusas mon contact charnel. La colère et la jalousie lorsque tu me reprochais de ne plus faire attention à toi. Sache que si j’ai eu le tort de te tromper parfois, c’est uniquement avec quelques grandes fortunes françaises, et tu sais parfaitement qu’il est peu question de sentiments avec ces gens là.

Bien sûr toi et moi n’avons rien en commun, si ce n’est l’ambition. Moi de conserver ma place, et toi de gagner au Loto. Bien sûr, si je suis un séducteur habile et audacieux, je reste un piètre amant, incapable et navrant. Mais si tu m’abandonnes, je serai perdu. Vois-tu, je ne sais rien faire. Je n’ai pas tes compétences pour vider les poubelles ou construire des routes. Regarde, j’ai remis mon joli casque pour aller à nouveau à ta rencontre dans les usines. En plus, j’ai gardé le même discours, celui que tu aimais tant, sur les patrons voyous et les parachutes dorés.

Car même si tu me dis que tu as besoin de changement. Que tu as l’intention de me quitter. Partir te faire trahir par un autre que moi.

Il y a quelqu’un qui m’a dit, que tu m’aimais encore…

Nicolas Sarkozy. »

par Guillaume Meurice, le 28 février 2012