« L’homologue et autres récits » en dialogue avec Olivier Moyano

« L'homologue et autres récits » en dialogue avec Olivier Moyano

Parfois dans notre entourage si proche, il y a une présence qui se manifeste pour venir perturber notre quotidien de la réalité tangible et nous enjouer ou nous jouer des tours, selon notre tempérament à appréhender cette situation. Tous les personnages de ce recueil de nouvelles en seront pour leur frais. Si l’autre est haïssable, dans ce cas mettez-vous à table en compagnie d’Olivier Moyano. A vos risques et périls et bon appétit littéraire. Mais ne venez pas me braire que je ne vous avais pas prévenu. Ce qui est dit est dit. A bon entendeur…

Si mes renseignements généreux sont exacts, Olivier Moyano vivrait dans le Médoc et selon les tribulations de sa profession, il serait psychologue de la protection judiciaire de la jeunesse à Bordeaux. Ce qui ne l’empêcherait pas d’écrire de la littérature, bien au contraire. Très inspiré par tout ce qui l’entoure, il aime croquer son prochain sans que celui-ci ne vienne lui manger dans la main. Il aime en littérature écrire l’épure de personnages qui se déboulent et s’adoubent parfois et même plus si affinités.

Prenez six nouvelles et expurgez deux femmes et quatre hommes, mélangez leurs peurs, leur affects, le danger des situations présentes où ils ébauchent une tranche de vie à partager avec une présence et disséquez les au scalpel littéraire selon le regard d’Olivier Moyano. J’espère enfin avoir aiguisé votre curiosité ou j’aurai tout faux.

Avec « Le micro  », plongez dans « le no man’s land des profondeurs de la folie des hommes » (page 19) et veillez à ce que le patient de l’hôpital psychiatrique règle parfaitement la tonalité de son récepteur sur « Le micro  » qui est sensé lui tancer le front et jacter avec lui d’un autre moi provenant d’un autre monde. Du point de vue du psychiatre et selon sa déontologie, il est en droit de se demander : « Faut-il adhérer au délire du malade, alors qu’on est censé le soigner en l’éloignant de ses fantasmagories ? Faut-il permettre que l’échec cuisant de l’administration de la preuve ait pour effet l’effondrement, comme un château de cartes, du système aliéné du patient ?  » (page 23). Questions impertinentes à son corps défendant dans un esprit qui part en vadrouille !

Dans cette autre nouvelle, un certain Alejandro, que l’on croira reconnaitre à un épisode futur dans la dernière nouvelles du recueil, quoique je ne sais plus, je risque de m’embrouiller, nous conte une étrange peur qui lui tenace les tripes.

« L’homologue » qui donne le titre au recueil, mais peut-on encore parler de nouvelle quand elle culmine à 94 pages ! L’écrivain Daniel Zimmermann directeur de la revue « Nouvelles nouvelles  » tempérait ses étudiants dans la certitude qu’une nouvelle qui dépasse 50 feuillets est un roman. Une nouvelle qui s’étire à l’infini comme pour divulguer son message connu d’avance peut lasser à la longue les lectrices et les lecteurs. C’est aussi mon impression, à suivre ce libraire qui s’abreuve des sciences en culte de son homologue et double. Durant de longues pages il disserte avec lui de soucis existentiels sur fond d’humanités sans trop se bouger le popotin pour les vivre en direct. C’est un peu un Woody Allen qui parle à longueur de films de cul et qui en plus se croit drôle, sans que jamais ses personnages ne baisent. On tourne autour du pot et on s’endort frustrés. Je reconnais à l’auteur tout un travail intellectuel et littéraire à bon escient, mais à trop étirer la corde lisse de son excellente idée de départ, je décroche. A force de persuasion, son libraire « vit une aventure magique dans laquelle l’homologue prend la place d’un Merlin qui enchante sa librairie ! » (page 98). A moins que pour se fondre dans le personnage, il faille comme lui approcher l’aura de plusieurs années de yoga et cette souplesse du corps et de l’esprit que je n’ai sans doute pas assez, pourtant je suis une Singette qui se respecte.

Autre cas, Anna est une jeune fille hospitalisée qui refuse de grossir et grandir, quitte à en mourir. Elle s’essaie au jeu du miroir avec l’autre personne qu’elle appelle « sa reliée ». Laquelle des deux influence l’autre pour sa survie ? Ce climat fantastique est explicite en seulement quelques page, magie de la nouvelle, on plonge d’un univers à l’autre. Du bel ouvrage !

« Un jour de plus » est aussi très réussie. La fin de parcours d’une jeune femme qui décide d’en finir avec la vie. On revit à plusieurs reprises, son éveil en famille et ses préparatifs. C’est très déstabilisant à la lecture, on se demande, on traque les détails qui diffèrent entre ses différents éveils au matin. Qu’est-ce qui plante le rouage pourtant bien rodé de son passage à l’acte et l’apparition d’une frangine qui lui chipe l’idée finalement de mettre fin à ses jours ?

Dans « Misère, oh maudite misère / la petite créature  », on retrouve Alejandro l’espagnol rescapé du franquisme en fuite en France qui nous narre son aventure extraordinaire et fantastique et sa rencontre avec un tout petit personnage d’un bleu indéfinissable qui lui a sauvé la vie dans les Pyrénées. Nouvelle courte, haletante, trépidante, on fait corps avec le personnage lors de toutes ses péripéties.

Je continue de penser que la nouvelle est le genre littéraire le plus difficile à appréhender dans l’écriture. A la fois synthétique et explicite, on mord sur tout le superflus pour accrocher la lectrice ou le lecteur jusqu’à la chute finale. Olivier Moyano s’en tire bien à part avec son « homologue » qui lui souffle dans les bronches à trop se perdre dans les méandres du dialogue il nous noie.
Alors va pour les autres récits fantastiques d’Olivier Moyano. Bonne lecture et à la revoyure, dès fois qu’un homologue vous propose de lire vos aventures à livre ouvert, soyez méfiants, on ne sait jamais ce qui pourra vous arriver.

L’homologue et autres récits d’Olivier Moyano, éditions Assyelle, 199 pages, octobre 2011, 15 euros