Le Havre fraternel à la Kaurismäki !

Le Havre fraternel à la Kaurismäki !

Le Havre fraye sur nos écrans comme un personnage que l’on aime avec ses petites gens qui se solidarisent un vent social pour protéger un enfant africain débarqué passager clandestin. André Wilms en cireur de chaussures est criant de vérité. On accroche sur les quais des brumes, Marcel Carné déambule et souffle un certain réalisme poétique à la Aki Kaurismäki, le finnois inspiré.

A Paco

Après la trilogie des perdants et son pendant de pessimisme, Aki Kaurismäki radine sa dégaine et pose sa caméra pleine d’espoir au Havre. Dans un décor architectural des années 70 où certains modèles de bagnoles ne dépareillent pas cette époque, Aki plante le décor aux basques de Marcel Marx (André Wilms). Revisitez votre répertoire de la comédie : « La vie est un long fleuve tranquille  », (1988) filmé par un franchouillard phraseur de clip au ton grossier avec ses gros souliers qui se jouait de la dualité de la lutte des classes entre deux familles, l’une richarde, l’autre torgnole : les Quesnoy et les Groseille. André Wilms y interprétait le bourgeois. Heureusement que du côté de la comédie italienne, je ne connais rien de mieux dans un registre de l’humour noir et mordant très réussi que « Affreux sales et méchants  »

André Wilms reprend du service et le personnage de « La vie de bohème  » vingt ans après chez Aki comme chez le père Dumas, celui qui était abonné au stylo a lâché sa prose et promène son regard au ras du sol pour capter les godasses dont le cuir nourrit de son cirage et lui offre bectance. « Celui qui voulait être poète est devenu cireur de chaussures, façon ironique peut-être de dire qu’il faut en cirer des pompes pour arriver ! Lui est plutôt un raté. Mais qui se relève avec dignité, en sauvant un môme. Il le fait sans se poser de questions. On est dans le conte de fées  ». (André Wilms)

A propos de contes qui font les bons amis justement : « J’ai toujours préféré la version du conte où le Petit Chaperon rouge mange le loup et non le contraire, mais dans la vraie vie, je préfère les loups aux hommes pâles de Wall Street  ». (Aki Kaurismäki)

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Un conte de fées avec ses méchants dont un délateur à la verve pendue au téléphone, digne d’un collabo franchouillard sous l’occupation interprété avec brio par un Jean-Pierre Léaud vieillissant. Il y a aussi le commissaire de police Monet (parfait Jean-Pierre Darroussin) énigmatique chef des cognes au grand cœur ! Laïka, le chien obligé chez Kaurismäki. Les bonnes fées du quartier, Yvette (Evelyne Didi) la boulangère, Claire (Elina Salo) la tenancière du bar et ses clients qui font la pluie et le beau temps à la Prévert, l’épicier (François Monnié), Chang (Quoc-Dung Nguyen) le complice chinois de Marcel, en fait d’origine vietnamienne et encore d’autres personnages secondaires qui ont tous une sacré importance dans les interactions avec la fiction du film. Et puis, le soleil pâle du film, Kati Outinen, une habituée du ciné de Aki qui joue Arletty, la compagne de Marcel. Je ne vais pas vous faire le coup de la gueule d’atmosphère, quoique Kati avec ses grands yeux bleus et son fabuleux accent tire la palme. Seulement l’écume des jours lui fourbit les armes d’une méchante maladie panique qui va l’immobiliser à l’hosto sous le regard attendri du docteur Becker (l’admirable Pierre Etaix).

Durant ce lapse de temps, Marcel, le grand enfant tel que le décrit Arletty, va vivre sa vie singulière et simple de sa cahutte à la rue où les pieds marchent pour la plupart dans des chaussures de sport qu’insupporte le cirage. En fuite d’un container et réfugié sous le pilier dans la mer, c’est là que Marcel découvre Idrissa (excellent Blondin Miguel), un gamin d’une dizaine d’années aux yeux perdus qui cherche à rejoindre sa famille à Londres. Qu’à cela ne tienne, Marcel recueille le môme, ils discutent, ils s’apprécient, le môme apprend vite. Marcel se rend à Calais au quartier des réfugiés puis au centre de rétention pour y rencontrer le grand père d’Idrissa joué par le magnifique homme à la barbe fleurie que l’on retrouve dans le rôle et la voix du sage du dessin animé Kirikou et la sorcière.

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La bande son y tient une place importante. Les complaintes de Damia accompagnent Marcel en quête d’avenir et de liberté de mouvement pour le jeune Idrissa. Il y a aussi l’incontournable havrais, Little Bob alias Roberto Piazza, qui joue son rôle de chanteur rock du côté de vive la sociale en toute solidarité de concert avec le gamin et Marcel. « Le Havre est le Memphis français et Little Bob – connu aussi sous le nom de Roberto Piazza – est l’Elvis de ce royaume tant que Johnny Hallyday reste à Paris – et même si ce n’était pas le cas, ce serait un duel sympathique ». (Aki Kaurismäki)

Alors comment qualifier ce film ? Fable sociale ? Conte moderne au Havre  ? Film humaniste ? Le retour du réalisme poétique si cher au tandem Carné / Prévert  ? « J’ai étudié quelques films de Marcel Carné, mais je n’ai pas réussi à lui voler beaucoup. Pour cela j’aurais dû passer du conte semi réaliste au vrai mélodrame  ». (Aki Kaurismäki) Si vous avez déjà vu et ce film ou quand vous le verrez pour la première fois, je vous laisse apprécier la vision du cinéma pleine d’espoir pour un autre futur qu’il entrevoie. « Je ne sais pas si le cinéma peut changer les choses, mais il doit toujours essayer  ». (Aki Kaurismäki)

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Le Havre, écrit et réalisé par Aki Kaurismäki, couleur, 1 heure 33, Prix de la Critique Internationale au festival de Cannes 2011, sortie sur les écrans le 21 décembre 2011