Pierre Attrait le cinéaste des mots en images !

 Pierre Attrait le cinéaste des mots en images !

Pierre Attrait vit entre Paname et le Médoc. C’est un auteur singulier qui a plus d’un tour dans sa palette des mots et des couleurs et de la mise en scène de son drame médocain des années 1920. Son livre-film est illustré par l’auteur et deux photographes qui mirent leurs optiques dans des documents d’époque et des collages. On vibre à travers ses personnages et on suit Henri qui s’en revient de la guerre tout cassé dans sa tête. Un secret joue au bilboquet avec son esprit au point qu’il ne supporte plus la vue d’un fusil. Sa femme et ses deux enfants ne le reconnaissent plus. Encore un nouvel auteur qui promet, découvert par Delphine Montalant la toujours bien nommée éditrice à juste titre !

Pierre Attrait est un homme agréable à l’allure d’un sage qui a brinqueballé sa stature aimante des arts et des scènes à divers recoins de la planète. Il exerce son regard et fige le tempo dans ses dessins instantanés, ses aquarelles. Contrairement à de nombreux romans actuels bâclant de l’aile, Pierre est un homme jamais pressé par l’écriture et qui aime caresser le temps et s’en nourrir. Il est de ces auteurs besogneux des mots qui cherchent et trouvent la virtuosité d’enlacer et prêter la parole à ces gens de peu que l’histoire a oubliés ou a cloué le bec aux monuments aux morts. Il est autant Trauner pour les décors que Carné pour la mise en scène des images, que l’ami Prévert à la verve haute et au franc parler dans les bouches de ses personnages. Il est le metteur en scène de son livre-film.

« En rencontrant Delphine Montalant, ce scénario qui aujourd’hui, n’est en aucun cas un film par défaut est devenu un livre-film qui garde en lui toutes les strates de sa gestation. Ainsi se mêlent intimement formes scénaristiques et théâtrales, texte romanesque. Les didascalies étant comme autant de portes ouvertes sur la représentation mentale. Les illustrations suggèrent, participent de l’écriture  » (in Préface). C’est d’autant plus vrai que Pierre est autant historien que raconteur d’histoires. Pour son présent ouvrage, il a plongé la tête la première dans la littérature du Médoc profond et a su nous restituer les expressions de l’époque. Les pierres, les natures tant humaines que vivantes des ports en gabares de Gironde nous content la mémoire vive d’un pays presque illusoire tant il ressemble à une île en pétoire !

J’ai rencontré Pierre pour la première fois au Port de Saint-Vivien où se situe une action de son livre, à l’occasion de la présentation de son œuvre dans une cabane de pêcheur toute neuve, bâtie avec amour, peut-chère ! Il est aussi comédien. Il lisait, clamait de la voix la vie de ses personnages. Il dédicaçait ensuite avec un stylo, un pinceau trempé préalablement dans un godet qui venait se rafraichir les idées sur sa palette pour nous aquarelliser le cœur et les tripes, tant ses couleurs nous chaviraient l’estuaire des sentiments.
Il y a dans le regard enfantin de ses personnages quelque chose de « La Mémoire de mon père » de Pagnol. Même si l’accent chantant de l’arrière-pays marseillais diffère de celui de la Pointe du Médoc. Les relations humaines se ressemblent quand même ! Henri le héros revenu intact de la guerre et des « sentiers de la gloire », du moins dans ses entrailles, se rejoue son film en secret, ce qui le coupe de la réalité familiale et amicale d’autrefois, du temps de paix.

Réplique de la République des campagnes, la vie de château du Médoc interprète l’ascenseur pour l’échafaud de la lutte des classes en planque derrière les hauts murs de protection. J’ai pensé aussi au « Journal d’une femme de chambre  » de Mirbeau tourné par un Buñuel inspiré.

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Lire Pierre Attrait, forcément, il vous vient des images qui se mélangent avec les mots et dépassent même le simple fait des illustrations parfaitement cadrées et insérées à bon escient. Les photos et les dessins sont en noir et blanc. Seule la couverture est en couleur de la main de son auteur et comme tâchée de sang.
Hors champ, en fin de livre vous avez même droit de titiller vos papilles gustatives avec trois recettes concoctées à l’époque par des personnages du livre. Tous vos sens sont en éveil et aucun ne manque à l’appel de l’imaginaire. L’appétit vient en lisant, pas vrai ?
Le format judicieux du livre (23 x 23) a été pensé avec brio, afin de ne pas écraser les illustrations par le texte.
Tout est original dans ce livre qui ne ressemble à aucun autre. De sa genèse à sa réalisation, à la rencontre de l’auteur avec son éditrice Delphine Montalant sur le marché de MontalivetPierre aime humer les livres provenant de la Bouquinerie de Delphine et Eric Holder.

Pierre m’inspire des questions à lui poser lors de notre prochaine rencontre. Patientez, je vous promets un auteur hors du commun.
En attendant, arrêtez de vous gaver des livres insipides de la rentrée littéraire ventés par des critiques qui ne lisent que les grosses productions et les produits d’appel, prenant les lectrices et les lecteurs pour des andouilles, sous prétexte que les médias ont à la bonne tel ou telle auteur(e). Les marchands de pages vous entubent et connaissent la musique où selon le bon mot de ce cher Boris Vian, un tube est un morceau creux.

Avec le livre-film de Pierre Attrait, en y prêtant l’oreille, on entendrait presque le clap du : moteur / action / on tourne « Le Retour d’Henri  » sur les écrans des pages de ce fameux « Livre-film où le lecteur devient lecteur-spectateur  » (in la Préface). Sacré concept littéraire novateur ! Bonne toile dans le texte à toutes et à tous….

A suivre… l’interview de Pierre Attrait

Le Retour d’Henri (Médoc 1919-1920), livre-film de Pierre Attrait, photographies de Anaïk Frantz et Michou Strauch, éditions Delphine Montalant, format 23 x 23, 107 pages, juin 2011, 20 euros