Guy Georges La traque

Guy Georges La traque

Dans son livre, Patricia Tourancheau, journaliste à Libération, nous révèle les dessous inédits de la Traque de Guy Georges, un des plus célèbres tueurs en série français, surnommé le "tueur de l’Est parisien". Devenue emblématique, cette affaire reste taboue à la Crim’. Arrêté en 1998, Guy Georges a été jugé en 2001 et condamné à la perpétuité, pour le meurtre de sept jeunes femmes.

L’Interview :

Thierry de Fages : Vous avez assisté au procès de Guy Georges, interrogé les experts et rencontré plusieurs familles de victimes. Lors de la rédaction de votre livre Guy Georges La Traque, aviez-vous l’impression que tout n’avait peut-être pas été dévoilé sur le « tueur de l’Est parisien » ?

Patricia Tourancheau : Il restait pas mal d’éléments à sortir et surtout à mettre en perspective, à resituer à l’intérieur même de la brigade criminelle, au sein de groupes distincts de policiers qui travaillaient chacun sur des crimes différents qu’ils ne reliaient pas forcément. Les familles connaissaient l’essentiel à savoir le loupé de septembre 1995 lorsque Guy Georges a été extrait de prison par les enquêteurs en charge de deux assassinats de filles dans des parkings et que son ADN prélevé n’a pas été comparé à l’empreinte génétique baptisée "SK" pour serial killer laissée par le meurtrier de femmes dans des appartements qui n’était autre que celle de Guy Georges. Le juge Gilbert Thiel a fait son mea culpa et informé les familles que les deux victimes suivantes fin 97 auraient pu être évitées. Mais La Traque revient en détail sur toutes ces erreurs, humaines pour la plupart, et sur toutes les fausses pistes explorées en vain.

L’enfance de Guy Georges, au parcours chaotique, fait l’objet de nombreuses pages. Diriez-vous que cette « fêlure originelle » explique en partie la violence des crimes ultérieurs de celui qui, enfant, se surnommait « Joe le trappeur » ?

Patricia Tourancheau : Sans faire de la psychologie de bazar, il me paraît évident que la faille de Guy Georges se situe dans son abandon tout bébé par sa mère, dans son changement d’identité à presque 6 ans où il perd son nom de Rampillon, et dans son enfance au sein d’une famille nourricière certes affectueuse mais rigide et trop nombreuse pour l’épanouissement de la ribambelle de gosses de la Ddass qui y ont été placés. Le petit Guy Georges alors se réfugie dans les bois et traque le gibier en braconneur. Il s’identifie à Joe le trappeur et, bien plus tard, s’identifiera à Joe the killer selon son expression, "seul dans la jungle" parisienne lors des nuits où il part "en chasse" derrière de jolies femmes.

L’on songe notamment - après lecture de votre livre - à l’hostilité qu’il éprouve pour ses sœurs quand il est hébergé chez Jeanne Morin…

Patricia Tourancheau : Lorsque les fils de sa famille d’accueil ont été partis, Guy Georges se retrouve seul vers l’âge de 10 ans avec plein de filles. Il étouffe à la maison. Il déteste Christiane qui fait sa chef et lui pique son rôle de mec. A l’âge de 16 ans, Guy Georges va essayer d’étrangler Christiane avec une barre de fer par "haine" dira-t-il. Mais il ne parvient pas à expliquer pourquoi deux années auparavant, il a agressé sa soeur de lait Roselyne de dix ans son aînée qu’il aimait beaucoup.

Sa personnalité apparaît sous des dehors ambivalents. Les nombreux témoignages de proches de Guy Georges, recueillis dans votre enquête, le décrivent comme un type posé plutôt sympathique et convivial, pas violent pour un sou, à mille lieux de l’image du tueur sanguinaire que l’on connaît…

Patricia Tourancheau : C’est souvent le cas chez les tueurs en série, Docteur Jekyll et Mister Hyde en un seul homme. Mais Guy Georges est particulièrement sympathique au regard de ses amis, de ses proches. Il apparaît cool et non violent, a pas mal de petites amies, peut dormir à côté d’une copine sans la toucher, défend les filles, Joe c’est un bon pote.

Vous évoquez d’ailleurs dans Guy Georges La Traque un ami psychiatre proche de lui qui n’a jamais pressenti sa dangerosité…

Patricia Tourancheau : Pas plus ce psychiatre des hôpitaux qui côtoie Guy Georges dans les squats et le milieu marginal que tous les psychiatres l’ayant suivi depuis ses plus jeunes années n’ont perçu sa dangerosité. Il se masque et trompe son monde. Il explique à ses amis qu’il a fait de la prison pour des vols à main armée, soutient les braqueurs et crache sur les pointeurs, les violeurs. Les autres le croient.

Vous décrivez de façon très détaillée cette traque de sept années des hommes de la brigade criminelle. Le premier crime de Guy Georges – celui de Pascale Escarfail – apparaît par le mode opératoire et le choix de la victime comme une préfiguration de tous les autres…

Patricia Tourancheau : L’assassinat de Pascale Escarfail, c’est le crime originel de Guy Georges, la matrice des suivants. Jusqu’au bout de la traque, cet assassinat restera à part des autres. Et les enquêteurs ayant exploré moult pistes vaines auront le sentiment que son meurtrier la connaissait, que c’était un familier de la victime qu’ils auraient raté. Ce n’est qu’après le septième assassinat de Guy Georges, celui d’Estelle Magd fin 97... Près de sept ans plus tard, l’officier Sidney, qui bute sur l’homicide de Pascale Escarfail depuis tant d’années, voit les photos de la scène de crime d’Estele Magd, et tilte : "C’est du copié-collé", m’a-t-il dit, "même style de jolies filles, mêmes positions, mêmes blessures à la gorge, même découpe des sous-vêtements", etc.

A l’époque cette première affaire fait l’objet d’innombrables pistes, dont cette très étrange histoire du meurtre de cette étudiante dijonnaise, retrouvée morte dans une baignoire dans le château des grands-parents de Pascale Escarfail…

Patricia Tourancheau : Le meurtre sexuel de Sylvie Bâton dans la propriété de la famille Escarfail à Avallon (Yonne) présentait en effet des similitudes étranges avec celui à Paris de Pascale Escarfail. Les policiers de la Crim’ avaient même trouvé un lien plausible en la personne d’un installateur de téléphone d’une société de sous-traitance de l’Yonne ayant pu installer celui de Pascale Escarfail rue Delambre à Paris. Finalement, l’empreinte génétique du meurtrier de Sylvie Bâton a permis d’identifier il y a trois ans un tueur en série allemand.

« Guy Georges banalise sa négritude », écrivez-vous [page 294] dans Guy Georges La Traque. Y a t-il, selon vous, de la part de Guy Georges une dimension raciale dans tous ces crimes ?

Patricia Tourancheau : Je ne crois pas. Il se sent exclu, rejeté par la société, mais pas à cause de la couleur de sa peau. Plutôt en raison de son abandon à la Ddass, de son placement en foyer à 16 ans puis de son enfermement en prison à 17 ans.

En 1994, Guy Georges se met en scène, arme au poing, sur des photos truquées pour un reportage destiné à Paris Match… La mise en scène rappelle curieusement les prestations photographiques cabotines d’un certain Mesrine…

Patricia Tourancheau : Vous avez raison. Sauf que Guy Georges pose de façon provocatrice en tant que squatteur et marginal, rebelle. Jamais comme bandit, encore moins comme meurtrier, ou ennemi public revendiqué. Contrairement à Mesrine, Guy Georges déteste les médias, et lorsque que la presse relate ses "exploits", il s’arrête immédiatement de tuer.

Vous évoquez longuement le travail des enquêteurs. Il semble que certains d’entre eux aient été profondément marqués par cette affaire. D’ailleurs les premières pages de La Traque débutent par une vision presque théâtrale, celle d’une masse de policiers agglutinés à proximité de l’escalier du 36 pour voir « la bête »…

Patricia Tourancheau : Presque tous les policiers qui on traqué ce tueur se massent en effet le long de l’escalier monumental du 36 quai des Orfèvres après son arrestation pour "voir monter la bête" selon certains mais plus simplement par curiosité pour regarder le visage de ce type qui finalement ne ressemble pas à Barbe-Bleue. Les policiers font une sorte de haie d’honneur pour ce grand criminel. Certains ne se sont jamais remis de leur échec, et en son tombés malades.

Dans cette affaire, la police et la justice ont été très critiquées. Les familles des victimes mettent souvent l’accent sur le fait que si les institutions avaient correctement fait leur travail, l’assassinat de deux jeunes femmes [Magali Sirotti et Estelle Magd] aurait été évité.

Patricia Tourancheau : Il est certain que si un fichier national des empreintes génétiques avait existé, les deux dernières jeunes femmes n’auraient pas été violées et égorgées par Guy Georges. Et peut-être d’autres avant auraient été épargnées puisque Guy Georges aurait été fiché pour ses agressions précédentes.

Lors du procès, les experts psychiatres décrivent un tueur en série organisé, un psychopathe pervers narcissique, responsable de ses actes. Ce type de personnalité se retrouve t-il souvent chez les tueurs en série ?

Patricia Tourancheau : Oui. Mais avec des variantes. Il est intéressant de noter que Guy Georges évoque sa mère l’ayant abandonné je m’en fiche, je ne la connais pas, c’est une étrangère avec les mêmes mots qu’il emploie pour parler de son indifférence à l’égard de ses victimes. Je ne ressentais rien, a-t-il dit aux experts psychiatres, parce que je ne les connaissais pas, c’étaient des étrangères. Un indice pour comprendre qu’il s’agit de matricides déplacés.

Votre livre a t-il suscité des réactions qui vous ont étonné ?

Patricia Tourancheau : Les réactions sont nombreuses et positives.

Vous avez fait des démarches pour rencontrer Guy Georges. Ont-elles abouti à ce jour ?

Patricia Tourancheau : Non. Guy Georges ne souhaitait pas répondre à mes questions par écrit et préférait que je le rencontre au parloir de la centrale pénitentiaire d’Ensisheim pour me répondre de vive voix. Mais l’Administration pénitentiaire a refusé de me donner l’autorisation. Et mes courriers suivants à Guy Georges ne lui sont pas parvenus. C’est dommage.

Patricia Tourancheau, Guy Georges La Traque, éditions Fayard, 400 pages, 2010

Patricia Tourancheau dédicacera au Salon du Livre son livre Guy Georges La Traque le vendredi 18 mars (de 21 h à 22 h) au Stand Librairie Arthème Fayard (PO4)

www.editions-fayard.fr