Edward II, métamorphose de l’homophobie

 Edward II, métamorphose de l'homophobie

Derek Jarman, militant de la cause gay, a adapté une tragédie composée par un contemporain de Shakespeare. Ce film baroque (1991), dans l’Angleterre des années 90 qui cassait de l’homosexuel par ses flics, nous prouve encore une fois de plus, que par l’art et l’histoire, le cinéma d’un homme érudit et enthousiaste peut faire survenir des messages politiques audibles et visibles par toutes et tous. Un film enragé, enthousiaste poétique et esthétique !

Christophe Marlowe a écrit Edward II. Il en est mort poignardé à l’âge de 29 ans !

La langue élisabéthaine n’est pas vaine dans ce film. Derek Jaman ((1942 / 1994) a su s’inspirer de ses moindres sonorités pour tourner un film indépendant avec un budget dérisoire. Il voulait tout d’abord la vie de château pour poser ses caméras en décors naturels. A l’annonce de l’impossibilité de réaliser tous ses rêves, au lieu de s’emporter comme un effarouché sévère, il dira tout simplement à ses producteurs : « C’est génial, on va le faire autrement ». Cette marque d’esprit prouve qu’il avait la capacité de rebondir selon les situations.

Militant de l’association Outrage de la cause gay et bi des années 70 / 90, il survient à une période où en Angleterre, la communauté gay subissait une forte discrimination. Avec l’épidémie du VIH et les premières victimes du sida, les pouvoirs en place prenaient un certain plaisir à demander à ses forces de l’ordre d’aller se détendre la matraque à embraser des têtes d’homos. Les journaux de chiotte titraient : « L’épidémie gay nous menace tous ». Un directeur de la police accusa même les gays de « patauger dans leurs propres fosses d’aisance ».
En 1986, il découvrit sa séropositive qu’il annonça publiquement comme une expression de son combat politique pour la reconnaissance des bi et des gays. Il a donné un visage humain au sida. Il prouvait qu’il acceptait le diagnostic et qu’il criait haut et fort son refus d’être une victime et sa volonté de vivre, créer, se battre et surtout qu’il n’allait pas mourir dès demain, comme certains journaux le prédisaient.

Au moment où il tourna son film, sa santé était en dent de scie. Avec son énergie formidable et son exubérance incroyable, doté d’une classe folle, il ne s’apitoyait jamais sur son sort et refusait qu’une personne le fasse.
Fi des châteaux, il tournera son film dans de grands cubes. Quatre grands cubes adossés à quatre murs blancs. Le texte composait les lumières artificielles, et il laissait la liberté aux comédiens de se porter en avant. La musique tenait une grande place. Tantôt traditionnelle, tantôt aux confins du punk ! Annie Lennox vocalise dans une scène devant les deux héros amoureux qui dansent en pyjama en s’étreignant. La reine en tailleur rivalise avec son roi en débardeur assis sur son trône. Le mélange des genres, des époques, fonde un film à essence baroque et poétique. On a même droit à une manif de flics qui tabassent et tuent l’amant du roi.

Quelques mots sur la tragédie. Edward II (Steven Waddington magnifique) est follement amoureux de son giton Gaveston (Andrew Tiernan). Il le comble de présent et de son amour. La cour le jalouse et la reine Isabelle frustrée (Tilda Swinton, venimeuse et vampire à souhait) en prend ombrage. Un peu faiblard vis-à-vis des pressions, Edward II accepte de bannir Gaveston. Mortimer, (Nigel Terry parfait dans son rôle uniforme), chef des armées rencarde Gaveston pour son retour dans le but de l’assassiner, et semer la guerre civile et abattre le roi, dans une scène de torture au fer rouge. Plus raffiné les angliches, tu meures ma quiche !

Fruit du radicalisme politique, Derek, le révolutionnaire culturel passionné est un véritable créateur stylisé. Erudit, enthousiaste, drôle dans l’intimité, il conjuguait tous les possibles pour les réaliser et transformer tous les coups durs subis en actes positifs. Même sa séropositivité, il l’a considérait comme positive dans l’élaboration de ses combats.

Il était un cinéaste exceptionnel, si moderne, provocateur à souhait et visionnaire. Sacré Derek Jarman, tu nous as attisé le regard esthétique au respect de tes pairs, les hommes qui aiment les hommes et veulent les aimer librement sans concession avec la société anglaise qui avait déjà massacré les esprits forts. Clin d’œil non feint avec un autre sacré gaillard, monsieur Oscar Wilde. Un film hélas toujours d’actualité par-delà la Manche et les continents.

Merdre de merdre aux préjugés de la sacrosainte reproduction de l’ordre social au nom du père, du fils et du saint d’esprit. Amen, la croix et les clous qui touchent du bois, mes chéris !

Edward II de Derek Jarman, couleurs, 86 minutes, 1991, anglais, sous titres en français, distribué par Carlotta Films, 19,99 euros

Suppléments : Edward selon Derek (24 minutes)