Dans le décor réussi, superbement agencé (avec la belle trouvaille de bibliothèques coulissantes), efficace et fort bien reconstitué d’une maison d’édition du 6 ème arrondissement parisien réalisé par Charlie Mangel, Séverine Chapuis (Maaike Jansen), une belle femme aux superbes jambes interminables qui portent avec élégance des cuissardes très sexy, dirige de mains de maître Les éditions de la Plaine.

Elle mène son équipe avec grande autorité qui masque mal son immense tendresse pour ce personnel hétéroclite et attachant qu’elle considère comme sa famille. Son directeur financier et compagnon, Patrice (Patrick Guillemin) est un homme lâche qui ne couche avec sa secrétaire que deux fois par semaine mais n’est pas infidèle le reste du temps, selon ses propres termes.
Il y a aussi Gaëtan (Jean Franco), Grand lecteur précieux, travailleur et fiable, véritable bras droit de la patronne dont le dévouement excessif, les manières et les tics sont d’une grande drôlerie.
Célia (Zoé Bruneau) campe une secrétaire dévouée mais tiraillée entre son amour pour son métier et celui contrarié qu’elle a pour son amant fuyant et faible.
Il y a aussi Guillaume (Arthur Fenwick), le coursier, un petit jeune décontracté et désinvolte qui fait son boulot tant bien que mal en roller quand il arrive à se réveiller après une soirée bien arrosée avec ses potes.

La vie paisible de cette maison d’Edition est chamboulée par l’arrivée impromptue de Jean-Pierre Dupuis, l’ex mari de Séverine qui l’a abandonné il y a 25 ans pour une blonde 90/60/90, Victoria (Elisa Servier) et qui avait disparu de la circulation depuis tout ce temps.

Jean-Pierre (Roland Giraud), la soixantaine, qui est désormais l’ombre de lui-même vit sans "RMI ni RSA" en banlieue et n’est plus le brillant golden boy que Séverine a connu dans son passé. Il vient quémander un poste chez son ex pour sortir de sa situation précaire.

Pour se venger de lui et aussi un peu par compassion, Séverine Dupuis va transformer, par souci de discrétion, Jean-Pierre en Auguste Pichare (avec un "e") et en faire le technicien de surface de sa boîte. L’arrivée de ce chien dans un jeu de quille va profondément bouleverser les forces en présence et permettre bien des situations drolatiques, cocasses qui vont nous accompagner avec jubilation pendant 1 heure et demie, qui en paraîtront la moitié.

"Le Technicien" a été écrit sur mesure pour le couple Roland Giraud/Maaike Jansen, à la ville et à la scène. Ils excellent tous deux dans ces rôles de dominants / dominés qui s’intervertissent au gré des retournements de situations comiques. On est dans l’étude de mœurs d’un milieu bourgeois, qui, lui aussi, peut connaître la crise ou le désamour.
Les dialogues sont formidables, le fond et la forme sont plaisants.
Giraud dans l’ex salaud devenu larbin chez son ex femme trouve un emploi qui correspond à sa nature de comédien passant sans cesse de prince déchu à l’employé triomphant, chantre de la lutte des classes.

A travers maintes péripéties, c’est le couple tout entier qui est disséqué avec intelligence et modernité dans cette pièce, avec ses trahisons, ses incompréhensions, ses luttes de pouvoir, ses amours qui se ratent pour mieux se retrouver, même de la plus improbable manière qui soit.
Le rôle de l’argent lui aussi est parfaitement campé, l’argent et le confort matériel qui peuvent empêcher l’autre de se réaliser, l’argent qui pervertit toutes les relations humaines.

"Le Technicien" est une pièce bien plus profonde qu’elle n’y paraît de prime abord : elle balaie large de manière subtile et implacable.
"Le Technicien" s’inscrit véritablement dans une tradition très française du théâtre comique. Elle est ancrée dans une réalité sociale, économique, comportementale qui est typiquement une exception française.

Il fallait tout le talent, l’expérience, le sérieux, le professionnalisme et le grand sens comique de Roland Giraud pour mener à bien un projet aussi faussement simple et véritablement subtile.

Un bon auteur, un duo vedette remarquable, des seconds rôles aux petits oignons, le tout dans un théâtre à l’ancienne qui a un charme fou et une belle élégance. N’hésitez pas, allez prendre de bonnes bouffées de rire (et de sens) avec ce "technicien" atypique à la technique plus que parfaite.

http://www.theatrepalaisroyal.com/

une interview vidéo exclusive de Roland Giraud à propos de la pièce et de sa femme...