Faustine et la mémoire photographique

Faustine et la mémoire photographique

Faustine Audureau est une artiste originale qui fait tellement corps avec son art qu’elle est devenue son principal objet d’étude. Cette ravissante brune aux jambes interminables et à la plastique élégante pratique l’autoportrait depuis de nombreuses années et le résultat est tout à fait pertinent et remarquable.
Ses mots ne manquent pas non plus d’intérêt comme vous allez pouvoir vous en rendre compte par vous même.
Rencontre avec la diabolique Faustine pour qui on vendrait bien son âme..

1) Mais qui êtes-vous donc à part une très jolie fille longiligne de moins de trente ans qui passe une partie de sa vie à se prendre en photo de fort belle manière ?

Eh bien, une très jolie fille longiligne de moins de trente ans qui passe une partie de sa vie à se prendre en photo de fort belle manière ! Sans blague, une partie de ma vie ? Non, pas du tout. Très jolie fille longiligne ? Ne vous fiez pas à ces autoportraits : vous ne me reconnaîtriez pas dans la rue…Il y a quelques années, alors que j’avais envoyé une photo au concours Elite, j’ai finalement dû expliquer au responsable qu’avec mon mètre 69 et mes 22 ans je n’avais rien d’un mannequin, juste l’envie de voir ce que valait ma photo…

Qui suis-je ? une névrosée, boulimique, stressée, hyperactive et touche à tout ! En vrac, je suis une fille unique, célibataire aimant les chats, le chocolat et le coca cola, vivant encore chez mes parents (syndrome de Tanguy ?), avec pour actif des « Fiches de Monsieur Cinéma », une participation à l’ouvrage « Nos films de toujours » (Éditions Larousse), une maîtrise d’Arts Plastiques (traitant de ce que les nouvelles technologies pourraient apporter aux bibliothèques des arts), la co-réalisation du court-métrage « La chasse est ouverte » et membre du collectif d’artistes Art in’motion.
En fait, je suis surtout bavarde, très bavarde…

2) Je suis très sensible chez vous à la capacité que vous avez de créer ou recréer un univers fantasmatique dans vos autoportraits. Votre monde est un théâtre, une scène ouverte dirait-on ?

Une scène oui, mais ouverte, je ne crois pas. C’est un peu comme si l’on regardait par la fenêtre des voisins, on peut apprécier leur intérieur, rêver de manger à leur table, de s’installer sur leur sofa, mais en réalité on n’y est pas forcément convié. Mon message ambigu n’a probablement jamais été perçu, mais à travers ces autoportraits je dis : « Vous m’observez, je suis dénudée ou peut-être aguicheuse, mais si vous regardiez attentivement vous verriez que je suis enfermée seule dans cette photo… seule à pouvoir jouer dans cette univers et avec ce corps. Et même si en regardant cette photo vous êtes sur le point de croire que vous pourriez y pénétrer, vous n’y êtes pas invité ! Qui peut entrer dans cette surface plane et lisse qu’est la photographie ? Je suis à l’intérieur, vous êtes à l’extérieur ! »

3) Comprenez-vous que la grande majorité des gens, malheureusement, se sentent agressés par les autoportraits, par le travail sur l’intimité ou le corps ?

Évidemment ! J’ai même eu le droit à des réactions assez violente de la part d’amies de mes parents. Pourtant, lorsque l’on a une pratique artistique, l’autoportrait est une chose courante. J’irais jusqu’à conseiller de faire des autoportraits… Pour moi, c’est la meilleure thérapie. Je préfère que mes amies fassent des autoportraits plutôt qu’elles me demandent de les photographier. Car vouloir être photographié c’est comme réclamer l’assentiment (« regarde moi, aime moi »). C’est difficile à vivre pour les deux parties. Celui qui est photographié ne recevra jamais suffisamment et le photographe ne comprend pas forcément la charge qui lui incombe ou en joue (je connaissais un photographe qui ne pouvait pas s’empêchait de vouloir coucher avec ses modèles… et c’est d’ailleurs pour ça qu’il imposait aux pauvres filles qui voulaient un book qu’elles viennent le voir seules). Je comprends que les gens se sentent agressés par le travail sur le corps ou l’intimité, car c’est comme l’écho de leurs propres peurs. Et bien souvent, incapables de prendre du recul, ils se sentent agressés sans même savoir pourquoi (l’art contemporain se joue d’eux ! ). Personnellement je ne me suis jamais sentie mal à l’aise devant le travail d’Orlan ou de Joël-Peter Witkin. Si chacun apprenait à se regarder en face, l‘art contemporain effraierait moins.

4) Est-ce que ces photos vous aident à vous aimer mieux, à vous accepter, à vous trouver jolie ?

À me trouver jolie ? Non ! J’aime la transformation, la déformation, le travestissement. Mon but n’a jamais été d’être jolie et lorsque je vois ces photos je repense à tout le maquillage que je portais… Évidemment, c’est aussi assumer ce corps et m’accepter telle que je suis, une femme « qui chaque fois n’est ni tout à fait la même ni tout à fais une autre… »…

5) Dans « Faustine », il y a Faust… c’est pour cela que vous êtes à la recherche de votre face cachée ?

Bof, je ne crois pas. Par contre, c’est sans doute pour cela que je me prends un peu pour une sorcière et que j’ai un goût pour les monstres et les personnages sombres. Petite j’étais fan de Gargamel et avec ma meilleure amie, Lucie (Lucie Fer), nous avions créées un club des sorcières. Parfois je joue avec les miroirs afin que le spectateur, déstabilisé, voit deux facettes de mon corps. Mon but est avant tout de montrer que lorsqu’une partie de mon corps fait quelque chose, une autre peut faire autre chose, comme si elles faisaient partie de deux corps différents.

6) Votre démarche artistique est un peu (beaucoup ?) un regard sur votre propre enfance et sur les transformations du corps depuis cet Eldorado. Parlez-moi de votre enfance ?

Il y a des gens qui photographient leurs familles, leurs amis, moi je mets en scène les objets et les lieux que j’aime, ça me permet de les garder en mémoire, de faire vivre des souvenirs en rapport avec ces objets… Ces photos sont aussi ma mémoire. Je repense à cette imperméable de ma grand-mère, dont le col était bordé d’un large morceau de fourrure. Avant de le donner, j’ai fait des photos avec… comme une photo de magazine, on y voit une fille maquillée outrageusement. Mais lorsque je regarde cette photo, je m’imagine me jetant au cou de ma grand-mère, enfouissant ma tête dans la fourrure, en criant « mon loulou » !
En réalité, si je fais ces autoportraits, c’est probablement à cause d’une agression que j’ai subie lorsque j’avais une douzaine d’années. Un âge, où ne maîtrisant ni séduction, ni sexualité, il peut être dangereux de faire confiance aux adultes. N’ayant pas réalisé la gravité de ce qui m’était arrivé, je me suis réfugiée dans cet Eldorado perdu. Dans les souvenirs d’une enfance douce et heureuse, dans un environnement protégé, bourgeois, entouré d’amour et de beaux objets. À travers ces photos, je plonge dans cet univers où mon corps et la séduction qu’il exerce n’appartiendrait qu’à moi.

7) Vous travaillez essentiellement sur la féminité… la masculinité, le corps de l’homme ne vous intéressent pas comme objet d’étude ?

Tout d’abord, je n’associe pas obligatoirement la féminité avec le corps de la femme et la masculinité avec le corps de l’homme. Je m’intéresse aux objets de ma féminité (talons hauts, ongles peints…), mais ils me sont propres. L’artiste Cindy Sherman dit qu’à travers ses autoportraits, elle étudie, de façon critique, les différents archétypes de la femme. Mon approche est totalement inverse… je ne critique rien du tout, je ne montre que ce qui me concerne. Pour en revenir à la question, la féminité tout comme la masculinité m’intéresse. Ainsi que l’androgynie. Par contre, je préfère photographier les femmes que les hommes. Ceci tout simplement, parce que je suis une femme (je ne suis pas encore dans la phase de photographier un homme en guise d’autoportrait) et parce que c’est le corps que je connais le mieux. Alors c’est vrai, pour l’instant, le corps masculin ne m’intéresse pas comme sujet d’étude. De toute façon à chaque fois que j’ai voulu photographier un de mes amis, il a refusé par peur de ce que j’allais faire de son corps.

8) Que pensez-vous des mégalos et des narcissiques ?

Heureusement qu’ils sont là pour qu’on puisse les critiquer ! Si le mégalomane a une ambition excessive, je choisis le narcissique, car par rapport à mes photos, c’est la question qui revient le plus souvent. D’après le dictionnaire, le narcissique est un homme qui « s’admire comme Narcisse dans la mythologie ». Erreur ! Comment Narcisse aurait-il pu se contempler satisfait de son image alors, qu’il ne s’était jamais vu dans un miroir. Si cette contemplation (concentration de l’esprit sur des sujets intellectuels) est celle que l’esprit fait sur lui-même, et si le fait de rechercher qui l’on est et comment s’améliorer, est une forme de narcissisme, alors oui je suis narcissique !

9) Quel rapport avez-vous avec votre propre nudité, vous sentez-vous exhibitionniste ?

Je pense que pour la notion d’exhibitionnisme tout est une question de point de vue. La nudité peut par exemple être une force face à la personne qui ne la supporte pas. Au départ, pour moi, exhiber sa tête ou sa poitrine ça revient au même. On ne peut pas dire que je fais partie d’une famille de nudistes, mais disons qu’on a oublié de m’apprendre que la nudité était taboue. Elle n’est devenue un problème qu’à partir du moment où j’ai compris qu’elle l’était pour un certain nombre de personnes, qui avaient trop tendance à l’associer à la sexualité. Mes photos sont plutôt « soft » , mais il y en a une grande partie que je n’arrive pas à montrer. Ceci justement parce que je n’ai pas le même point de vue que le « regardeur » sur la nudité. Je ne fais pas ces photos pour qu’il se rince l’œil. J’ai suffisamment le droit à des propositions malhonnêtes. En réalité, je crois qu’à travers mon corps, c’est mon « esprit » que j’exhibe. Toutefois, je rêverais d’une photo comme celle de Madonna faisant du stop, nue, sur une autoroute. Mais de toute façon cette photo a déjà été faite.

10) Il y a une danseuse dans presque chacune de vos photos… vous semblez remarquablement maîtriser le langage corporel ?

Ha, bon ? Non, je ne crois pas. En danse, j’ai toujours été raide comme un piquet. C’est juste qu’à travers l’autoportrait, cela fait des années que je m’observe et donc que je sais ce que je peux photographier.

11) La mise en abyme est un procédé technique que vous aimez utiliser… Quelle est votre recherche voir au-delà du miroir pour trouver vos propres réponses existentielles ?

D’après l’artiste Louise Bourgeois « Le miroir n’est pas un symbole de vanité, le miroir est le courage de se regarder en face ». Lorsque j’avais 14-15 ans, des problèmes de santé m’ont éloignés plusieurs mois de l’école et de mes amis. J’étais trop souvent seule. Et un jour en me regardant dans la glace je me suis dit que ce reflet allait devenir mon ami. C’est comme ça que j’ai commencé à m’épier, à m’observer, comme si ce reflet était quelqu’un d’autre. Il suffit de faire un peu attention et bientôt toutes les surfaces réfléchissantes deviennent le terrain de jeu des apparitions.

12) Cette petite fille rêveuse avec son nounours lorsqu’elle regarde sa grande sœur avec ses longues jambes et sa poitrine bien ferme, que se dit-elle dans le fond ?

Piiiiououououf ! Elle se dit qu’elle aurait préféré ne jamais avoir ce corps là. En même temps, je peux difficilement m’en passer maintenant que je m’y suis habituée. Et un esprit sans corps, ça n’est pas viable. C’est étrange lorsque pendant toute votre enfance seuls vos proches ont fait attention à vous et que soudain la séduction est en marche, vous suscitez un intérêt, qui, vous le savez, ne sera que de courte durée. Voilà ce que se disent toutes ces femmes en moi car même si à l’intérieur on est pareil, le regard extérieur est différent. Elles se disent « vivement que je sois une petite vieille… » !

13) Vous aimez les lieux, les étoffes, les ambiances, les murs qui ont vécu… autant que le corps, ils sont mémoire ?

J’aime ces lieux et ces objets qui évoquent pour moi des souvenirs. Mais curieusement je ne suis pas certaine que mon corps soit « mémoire » . Il me semble que depuis dix ans j’exprime toujours exactement la même chose, c’est bien pour quoi je commence à stagner.

14) Votre plaisir dans l’existence, c’est jouer les caméléons, avoir plusieurs vies ?

Plusieurs vies, non ! Être caméléon, oui ! J’adore que les gens qui ne m’ont vu qu’une seule fois, ne me reconnaissent pas la seconde fois qu‘ils me voient. J’aime aussi qu’ils ne connaissent pas toutes les cordes que j’ai à mon arc (je cloisonne et ils s’arrêtent au seul rôle que je leur montre). Mais ça me joue souvent des tours.

15) Quelle est la littérature qui vous nourrit, les cinéastes et les peintres qui vous parlent ?

Ils sont nombreux ! D’abord toutes celles qui on fait des autoportraits : Vigée-Lebrun, Artemisia, Cindy Sherman, Frida Kahlo, Claude Cahun…J’aime aussi les personnages qui vont jusqu’au bout, par entêtement, comme Lorenzaccio, Abel Tiffauge ou Jean-Baptiste Grenouille. Ensuite, Virginia Woolf pour « Orlando » et « Une chambre à soi », Helmut Newton pour ses femmes fatales, Charles Matton pour « La lumière des étoiles mortes », Michel Powell pour « Le voyeur », Jacques Demi pour « Peau d’Âne », Jan Kounen pour « Le dernier chaperon rouge »… Les coïncidences de Lelouch, Mapplethorpe, Molinier, Bellmer, Cecil Beaton, en paire ennemies : Lee Miller et Leni Riefensthal… Et surtout Tim Burton, Pedro Almodovar, Peter Greenaway et David Lynch.

16) Que pensez-vous de toutes mes questions ?

Pourquoi sont-elles si enjôleuses, me prendriez-vous pour une idiote ?
Non, je rigole, mais vous l’avez bien cherché…Et même si je réponds par la négative, elles sont suffisamment pertinentes pour me permettre de dévoiler une part de ma personnalité.

17) Votre autre passion c’est le cinéma, vous avez dû adorer Amélie Poulain qui est une sorte de petite sœur pour vous.

Vais-je me faire lyncher si je réponds que je n’ai pas adoré Amélie Poulain ? Vous n’êtes pas le seul à me comparer à ce personnage et ce n’était pas mal joué car j’aime les couleurs de ce film, ses acteurs… et j’ai adoré « Délicatessen » de Jeunet et Caro. Mais du coup, j’aime beaucoup moins « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain ». En plus, c’est le genre de personnage qui n’a pas besoin de grande sœur. Je suis beaucoup plus proche de Miette de « La Cité des enfants perdus » (toujours de Jeunet et Caro). J’adore la scène où elle passe de la petite fille à la vieille dame. Bon, j’avoue, j’adorerais être l’héroïne d’un film de Jeunet et Caro.

18) Quelle trace aimeriez-vous laisser dans l’imaginaire collectif ?

Aucune. Je préfèrerais disparaître. Un de mes profs disait, il y a deux sortes d’artistes, ceux qui transforment le monde. Eh bien, je fais partie de la deuxième catégorie, celle de ceux qui ne s’occupent que de leur maison !

19) Quel est votre projet artistique le plus fou ?

Depuis quelques années, je rêve de poser dans l’intérieur de particuliers célèbres, de collectionneurs, d’architectes, afin d’en faire un livre (qui ne serait pas amusé de voir la cuisine de Fanny Ardant, la salle de bain de Claude Berry ou la chambre à coucher de Jeanne Moreau). Mais je ne suis pas certaine que ceux-là apprécieraient mon intrusion dans leur intimité.

20) Par quoi avez-vous envie de terminer cette E-terview ?

Ne vous fiez pas aux apparences ! Et pour ceux qui voudraient mieux connaître mon travail vous pouvez vous rendre sur (mon site en construction) http//foostine.free.fr
Merci pour vos questions.

La belle sur le net

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