ARRESTATION D’UN PRENEUR D’OTAGES

ARRESTATION D'UN PRENEUR D'OTAGES

Peu avant Noël 1979 l’Equipe Légère d’Intervention de l’Escadron de Gendarmerie Mobile, dans lequel j’étais affecté depuis deux ans, fut réquisitionnée pour aller déloger un forcené. Il était un peu plus de 09h30 lorsque le Lieutenant F. , notre Commandant de Peloton, nous plaça en alerte immédiate alors que nous rentrions d’un footing de 8 kilomètres. Le temps de prendre notre douche, de sauter dans notre tenue 4S et de passer à l’armurerie, il ne s’était pas écoulé plus de trente minutes.

Rassemblés sur la place d’arme, près du mât des couleurs, Philippe briffa ses dix Gendarmes d’élite avant que chacun ne prenne place dans les deux vieilles estafettes Renault que nous possédions en plus des méhari kaki, du véhicule de commandement TP3 et des autocars bleus Cruiser.
Arrivés à la Gendarmerie du coin, nous fûmes conviés à nous réunir dans le bureau du Commandant de Compagnie qui nous donna les dernières précisions sur les lieux, plan à l’appui, en nous indiquant qu’un Huissier de Justice, devant procéder à l’expulsion d’un gérant de ferme, venait d’être pris en otage par un individu armé d’un fusil de chasse.
Non content de détenir un homme de Loi, Joseph R. menaçait de se supprimer après avoir tué sa femme et leurs trois enfants.

Nous allions pouvoir mettre en pratique, toutes nos connaissances dans le domaine de la maîtrise d’un individu dangereux. L’exercice est une chose, mais la réalité en est une autre. On a beau savoir tirer, pratiquer des sports de combat, nager, escalader, descendre en rappel, avoir une préparation commando, faire des stages au froid à moins 33° au camp Allemand de Münsingen près de Stuttgart ou à plus 42° sur l’Ile de la Réunion, s’être entraîné en Dordogne au Camp des Forces Spéciales de Saint-Astier, faire le meilleur temps au parcours du combattant de la Légion de Gendarmerie, être prêt à affronter psychologiquement l’idée de la mort, avoir répété plus de mille fois les mêmes gestes… une situation reste toujours exceptionnelle et unique car rien ne peut se passer sur le terrain comme on le prévoit auparavant.

Nous débarquâmes en silence des véhicules près des buissons qui longent le chemin de boue en cul de sac menant à cette ferme misérable, en avançant par petits bons et en obéissant aux gestes de notre Chef de Groupe. Nos casques vissés sur nos têtes et maintenus par une mentonnière, le temps était venu de baisser nos visières en forme de bulle avant d’entamer la progression vers l’objectif. Chacun de nous possédait un pistolet automatique MAC 50, notre arme de poing individuelle de dotation et deux chargeurs pleins. L’un avait un pistolet mitrailleur MAT 49, l’autre un fusil FRF1 avec lunette, certains possédaient des fusils MAS 49/56 dont un était équipé d’un tube lance-grenades pour envoyer des GLI à l’effet de souffle puissant.

Joseph R. s’était réfugié dans la cuisine du corps de ferme de plain-pied, là-même où selon les renseignements de nos collègues de la Brigade il détenait tous ses otages. Il avait fermé ses vieux volets de bois, ce qui nous avait permis de prendre position plus discrètement autour du bâtiment. Le Commandant de Compagnie de la Gendarmerie Départementale, Officier de Police Judiciaire, lui ordonna de se rendre à l’aide de son mégaphone. Il lui précisa que sans réponse de sa part, il allait être obligé de prévoir un assaut. Ce discours, sans concession et sans négociation, excita Joseph R. qui lui dit d’aller se faire foutre en précisant qu’ il préférait crever tout le monde et se flinguer plutôt que de se rendre et d’être expulsé. Le volet s’entrouvrit légèrement, le bout d’un fusil avança dans l’entrebâillement et une détonation terrible claqua dans le silence de cette fin de matinée glaciale qui semblait vouloir se prolonger indéfiniment. Dans la confusion, le Gendarme tireur d’élite avait pris place sur le toit de l’étable qui faisait face à la cuisine.

Il faudra plus de deux heures de palabres avant que Joseph puisse accepter l’idée de discuter avec un Gendarme de l’équipe désarmé, ne voulant plus parler avec les Gendarmes de sa Brigade locale.
Le lieutenant me demanda de tenter une action à mains nues, en me précisant que le reste de l’équipe interviendrait immédiatement derrière moi. Il m’envoya donc vers Joseph R., avec pour seules armes mes mains vides.

En arrivant sur le pas de la porte, une forte odeur de bouse de vache me monta dans les narines. En poussant la porte doucement, je découvrais une pièce sombre. Joseph R. me demanda d’avancer en levant les mains. Je ne vis même pas le canon de son fusil se poser sur mon ventre, il aurait pu appuyer sur la queue de détente et tout ce serait arrêté pour moi en une fraction de seconde. Je distinguais quelques traits du visage de cet homme robuste, pendant que ce silence me semblait long et étouffant alors qu‘il ne dura qu‘un très court instant, selon mes compagnons. Chacun s’observa et c’est au moment où la plus âgée des deux filles de Joseph parla à son père en patois que le regard de ce dernier changea. Dans un éclair fulgurant, mon poignet gauche sembla s’enrouler autour du canon de ce fusil terrible pour le chasser vers l’extérieur. Le mouvement violent surprit Joseph R. dont l’arme tomba lourdement à terre. Dans le même temps et avec un enchaînement devenu comme un réflexe, Joseph R. ramassa un coup de rangers dans le tibia, un uppercut à la pointe du menton avec un coup de coude en prime. Il tomba de tout son poids en grommelant je ne sais quoi et l’équipe pénétra dans la ferme en hurlant pour paralyser les réactions des uns et des autres. Menotté rapidement, Joseph R. était confié aux enquêteurs et notre mission s’arrêta là.
De retour à l’Escadron, c’est au bar que nous fêtions notre toute première intervention sans effusion de sang.
Belle victoire dans le respect de la vie de tous, mais personne ne pouvait savoir de quoi demain serait fait.