Alberto Moravia

Alberto Moravia

Vingt ans après sa mort, Alberto Moravia (1907-1990) séduit toujours par la modernité de ses œuvres romanesques. René de Ceccatty consacre à cet écrivain à la fois rebelle, très rationnel et des plus humanistes une biographie fleuve. René de Ceccatty, qui a traduit en français une partie importante de son œuvre, a souvent rencontré dans les années 80 l’auteur d’Agostino

Relatant minutieusement l’œuvre d’Alberto Moravia – romans, essais, articles, nouvelles -, René de Ceccatty avec beaucoup d’intelligence évoque tout simplement la vie du plus célèbre romancier italien du XXe siècle. Dans cette biographie aussi talentueuse que copieuse – de près de 700 pages -, l’on découvre tout ce qui permet d’appréhender l’univers moravien : l’enfance marquée par la maladie, l’antifascisme, l’engagement politique et social, la fringale des voyages, l’amitié avec Pasolini, la passion des femmes, les influences profondes de l’écrivain (Dostoïevski et Joyce)…

D’emblée, cette fine et érudite biographie nous ramène à une évidence : la boulimie intellectuelle de l’homme Moravia et la profusion de ses centres d’intérêt : poésie, cinéma, théâtre, art… Moravia nous apparaît comme ce grand bourgeois universaliste épris d’art, de littérature et de sciences humaines, toujours tourné vers l’avenir – il détestait évoquer le passé ! -, autant journaliste que romancier. Un homme qui peut sembler provocant, peut-être trop précis mais sans méchanceté ni fausse modestie.

En fait, durant près d’un demi-siècle, le parcours personnel de Moravia épouse l’histoire de l’Italie. A la fois romancier et grand reporter, il aborde tous les problèmes intellectuels et sociaux de son époque, se rendant fréquemment aux Etats-Unis, au Japon, en Chine, en Russie, en Amérique latine et surtout en Afrique. Quant à ses romans, Moravia a une prédilection pour les milieux bourgeois – qu’il connaît bien -, décrivant sur un ton descriptif tantôt amusé, tantôt légèrement mélancolique leur fonctionnement psychologique et leurs futiles turpitudes.

Sans doute, l’énorme succès populaire des romans de Moravia réside pour une part à cette langue simple, sans fioritures, à la fois divertissante et observatrice, typiquement moravienne en son élégante sobriété. L’œuvre romanesque, prolifique, aborde pratiquement tous les sujets : la famille (Les Indifférents) l’enfance (Agostino, La Désobéissance) ; le couple (L’amour conjugal, Le Mépris), les tourments de l’artiste (L’Ennui,Le Mépris ), la guerre et ses lâchetés (Le Conformiste)… Les personnages, fréquemment, se trouvent plongés dans un environnement matérialiste narcissique et futile [les bobos du Mépris], favorable au désir et à la haine, à l’espoir et à la désillusion, d’où la grande modernité moravienne.

Le Moravia de René de Ceccatty, propulsant l’auteur dans toute sa complexité, nous aide à mieux cerner cet homme caméléon, dont l’écriture durant un demi-siècle s’accompagne de voyages et de femmes léopards. Le biographe, à propos d’un passage de L’Ennui, note justement une des problématiques existentielles du romancier :

« […] Moravia exprime parfaitement cette angoisse fondatrice, le sentiment du néant, qui rend le monde sensible et insaisissable, vain et irréel, échappant à toute emprise, toute pratique et donc pouvant être décrit. Il s’agit de l’angoisse typique du créateur, qui se coupe du monde pour ne plus agir et le comprendre. Mais elle provoque une souffrance paralysante […]

Moravia, comme Proust, Mauriac, Zola, Mishima ou Hesse est bien l’un de ces écrivains « initiés » qui face à l’obscurité et la complexité des choses offre une foudroyante intuition d’un monde, du Monde. En quelque sorte un de ces apprentis sorciers de la Connaissance, un de ces romanciers philosophes, que l’on peut compter chaque siècle sur les doigts d’une main !


Alberto Moravia, René de Ceccatty, 2010, éditions Flammarion, collection « Grandes Biographies », 678 pages. Prix : 25 euros

A lire : Vita di Moravia, Alain Elkann, réédité en 2007 chez Flammarion, un passionnant livre d’entretiens avec l’auteur de La Désobéissance

A signaler :
Alberto Moravia, l’anticonformiste
DU 3 AU 21 MARS 2010
Un événement co-organisé par les éditions Flammarion, la Cinémathèque française et l’Institut culturel italien.

A la Cinémathèque française :

Samedi 6 mars à 17 h
Lecture « Claudia Cardinale », un dialogue avec Alberto Moravia
(Traduit de l’italien par René de Ceccatty)
Avec Claudia Cardinale dans son propre rôle et René de Ceccatty dans celui d’Alberto Moravia.
Avec la complicité d’Alfredo Arias pour la mise en espace.

Dimanche 7 mars à 14 h 30
Projection + table ronde « Le cinéma selon Moravia »
À la suite de la projection du film Le Conformiste de Bernardo Bertolucci (1970), rencontre avec Claudia Cardinale, René de Ceccatty, Cédric Kahn, Alain Elkann, Simone Casini.
Une Table ronde animée par Serge Toubiana.

Dimanche 7 mars à 18 h
Les rendez-vous de la librairie
Signatures par René de Ceccatty de sa biographie d’Alberto Moravia (Flammarion, janvier 2010) et par Alain Elkann de son livre d’entretiens avec l’écrivain, Vita di Moravia (Flammarion, 2007).

Dimanche 7 mars à 19 h
Présentation par Cédric Kahn de son film, L’Ennui.

Du 3 au 21 mars
Rétrospective
Ouverture de la rétrospective le mercredi 3 mars à 20 h avec Le Mépris de Jean-Luc Godard

www.cinematheque.fr

Alberto Moravia, l’anticonformiste à l’Institut culturel Italien

Jeudi 4 mars à 19 h 30 – Table ronde
Moravia écrivain

Avec Simone Casini, professeur de l’Université de Florence, responsable de l’édition des œuvres de Moravia chez Bompiani, René De Ceccatty, écrivain, auteur de la biographie Alberto Moravia, Antonio Debenedetti, écrivain et critique littéraire, Alain Elkann, écrivain, Jean-Noël Schifano, écrivain, Sandro Veronesi, écrivain.

Istituto Italiano di Cultura
73, rue de Grenelle 75007 Paris
Entrée gratuite sur réservation : 01 44 39 49 39
www.iicparigi.esteri.it