Rôles de leur vie pour Karine Viard et Agnès Jaoui

Rôles de leur vie pour Karine Viard et Agnès Jaoui

Il est consternant, ces derniers temps, de voir le public français se précipiter vers les comédies rigolardes pas drôles sans fond comme le premier film de Yann Moix ou alors le dernier des double Zéro Eric et Ramzy et ignorer le reste de la production de qualité. Le véritable Cinéma français va pourtant très bien surtout lorsqu’on assiste à la projection, malheureusement quasi déserte un Dimanche Après-Midi à Paris, du film de François Favrat « Le rôle de sa vie ».

Premier indicateur dans cette œuvre, il n’y a pas François Berléand, le squatteur à barbe du Cinéma Français, et c’est bon signe. Pas de trace non plus de Jean-Pierre Bacri en Guest star sinon l’effet aurait été cassé, et il convenait là de laisser toute la lumière à Agnès.
Bon y’a bien Francis Huster qui joue la star imbuvable et méprisante de passage, mais ça ne suffit pas à gâcher le plaisir du spectateur.

« Le rôle de sa vie » est un drame moderne qui traite de l’Ecriture, du Cinéma, de l’ombre et de la lumière, du célébrité Business, des carrés VIP, de l’accès à la notoriété, de l’amitié entre deux femmes, de l’amour, de la haine, de la méchanceté ordinaire, de la jalousie, de l’admiration, des faux-semblants et de bien autres choses également. Des sujets, certes, pas bien originaux mais qui sont à la base de tous les jeux TV, de toutes les émissions de Real TV et de beaucoup de livres d’analyses sociologiques et médiatiques. Ce qui diffère ici, c’est le traitement de ce thème à travers le destin ordinaire et extraordinaire d’une inconnue et d’une connue qui se rencontrent, s’utilisent mutuellement s’apprécient, et finissent par se détester.
Ce qui diffère chez François Favrat, c’est l’attention portée au scénario, le découpage de rythme, l’importance du second, du troisième et du quatrième rôle et l’extrême intelligence du propos entre dénonciation pertinente, parodie subtile et véritable œuvre de création nouvelle qui marque la patte d’un amoureux du cinéma, comme d’un artiste accompli.

« Le rôle de sa vie » est un film dont on est pas rassasié la première fois, qui se lit entre les images par seconde, composé de trouvailles formidables, comme ce dispositif vidéo installé par un artiste contemporain qui renvoie pour la première fois l’image du personnage joué par Karine Viard et qui lui fait prendre conscience qu’elle peut, elle aussi, devenir un personnage qu’on regarde, qui peut faire partie du système ou avoir son quart d’heure de célébrité. (cet écran d’images offre de plus une genèse temporelle des évènements, on peut y voir les sujets pris, il y a 1 seconde, une semaine, un an…)
Comme par hasard, les captures images de ce dispositif serviront de couverture pour le livre que Karine Viard publiera à la fin du film.

Et puis il y a cette confrontation entre Karine Viard et Agnès Jaoui, écrite au millimètre pour les deux comédiennes, tour de force captivant de ces deux femmes miroir, complémentaires et opposées que la vie rapproche le temps d’une folle équipée artistique, pleine d’émotion, d’humiliation, de douleur et de bonheur.

Un tableau moderne percutant, des instantanés qui en disent long sur la fosse aux lions de la Reconnaissance. Un film qui est tout à fait dans la lignée « Du Goût des autres » ou de « Rien sur Robert », un cinéma d’auteur typiquement français mené de mains de maître, une réussite totale qui se lit dans tous les sens, qui s’analyse, qui se confronte et qui se discute.

Un film qu’on va revoir, un DVD qu’on achète et qu’on offre à ses amis cinéphiles les plus chers. Tout cela donne envie de rencontrer François Favrat et de lui poser quelques questions (à suivre)

« Le Rôle de sa vie », François Favrat, avec Agnès Jaoui et Karine Viard.

« Le Rôle de sa vie », François Favrat, avec Agnès Jaoui et Karine Viard.