M. le Président, et la Légion d’honneur du général Alexandre Dumas ?

Le président de la République se rendra en Haïti le 17 février 2010. Ce sera le premier chef d’État français à accomplir ce voyage, que j’ai longtemps appelé de mes vœux et qui aura été décidé à cause d’un cataclysme sans précédent. Il aura fallu plus de 200 000 morts pour briser 200 ans de formidable indifférence. La France a un très lourd passif en Haïti. Elle a déporté dans ce pays et mis en esclavage, dans les conditions les plus ignobles, 1 million d’Africains qui finirent par se révolter et imposer l’abolition de l’esclavage que les révolutionnaires français avaient refusé jusqu’en 1794.

En 1802, devant l’impossibilité de rétablir l’esclavage, la France a tenté d’exterminer la population haïtienne au dessus de douze ans. Elle a exigé ensuite, bien que vaincue, une indemnité évaluée par les Haïtiens à 21 milliards de dollars. Ils ont mis plus d’un siècle à payer. La France a participé enfin, en 2004, à l’enlèvement d’un président démocratiquement élu. Elle héberge, depuis 24 ans, un tyran connu sous le pseudonyme de Baby Doc, alors que tant d’Haïtiens ont été expulsés de France. Alors, que dira Nicolas Sarkozy aux Haïtiens en débarquant chez eux ? Il ne leur parlera sans doute pas du « rôle positif » de la colonisation. Il ne leur dira pas non plus qu’ils ne sont pas encore entrés dans l’histoire. Je doute également qu’il vienne leur donner des leçons sur les droits de l’homme quand on sait que la déclaration des droits de l’homme de 1789, qui ne concernait pas les esclaves des colonies, n’a été rendue universelle que par la révolte de ces mêmes esclaves. Il ne leur dira pas non plus, comme le fit Jacques Chirac en mars 2000 à la Guadeloupe, qu’ « Haïti n’a jamais été, à proprement parler une colonie française ».

Et comment le président de la République française, en arrivant à Port-au-Prince, expliquerait-t-il au président Préval que la France refuse au général franco-haïtien Alexandre Dumas, depuis plus de deux cents ans, son admission dans l’ordre national de la Légion d’honneur, au motif que sa couleur de peau ne serait pas conforme à l’identité française ? Le bon sens voudrait que les premiers mots d’un président de la République française digne de ce nom, en foulant la terre haïtienne, soient les suivants :

« Haïti et la France partagent la même langue et ont une longue histoire commune. Cette histoire n’a pas toujours été une belle histoire. J’en suis parfaitement conscient. C’est pourquoi je crois le moment venu de rendre symboliquement hommage à un homme qui, né esclave sur cette terre, est le symbole de tant d’Haïtiens qui, par leur soif de liberté, ont donné leur part de gloire à la France. Je ne suis pas venu pour effacer ou nier le passé. Et pour que vous en soyez convaincus, je voudrais, au nom de l’écrivain français le plus dans le monde, qui se considérait comme haïtien, rendre hommage au général Alexandre Dumas, son père, héros de la liberté et de la révolution française, et vous dire ici, sur cette terre d’Haïti, meurtrie pas les blessures de l’histoire autant que par les caprices de la nature, que j’ai décidé, au nom de la France, de réintégrer, en souvenir de cette visite historique, le général Alexandre Dumas, dans l’ordre national de la Légion d’honneur. »

Voilà les mots que les Haïtiens aimeraient entendre. Sans ces mots-là en préambule, ce sera certainement difficile parler de la reconstruction d’Haïti.

Pétition en ligne pour le général Dumas :

http://www.claude-ribbe.com/index.php?option=com_petitions&view=petition&id=47&Itemid=74