LES ÎLES KERGUELEN

LES ÎLES KERGUELEN

Les Îles Kerguelen est une pièce étrange, légèrement envoûtante… Le metteur en scène Frédéric Ozier - inspiré par le texte éponyme d’Alexis Ragougneau [éditions de l’Amandier] - nous propose un drame réaliste et historique d’une poésie rude…

Et vogue la galère ! Avec Les Îles Kerguelen, nous sommes catapultés dans l’ambiance fiévreuse des grands navires de la fin du XVIIIe siècle parcourant inlassablement l’Océan, à la recherche de nouvelles terres fertiles. Yves de Kerguelen, le (triste) héros de cette histoire, est mandaté par le roi Louis XV pour découvrir le continent austral, objet de tous les phantasmes de la Cour.

Le premier mouvement de ce drame - qui se déroule dans un climat badin - suit le nouveau périple du navigateur français vers ces très hypothétiques terres australes. Les comédiens, aux maquillages étudiés, twistent drôlement sur le Roland, version soft – du moins au début – de l’Hollandais Volant.
Ils portent des costumes chamarrés, parfois nimbés d’astucieuses lumières expressionnistes.

Les personnages des Îles Kerguelen, s’agitant sur le navire dans une humeur bon enfant, semblent tout droit sortir d’une commedia dell’arte. Il y a là Louison, jeune maîtresse du capitaine, déguisée en mousse ; Bienboire, maître d’équipage porté par la boisson ; Ducheyron, officier sanguin à la fois rude et ambigu ; Brugnières, grand collectionneur de papillons et naturaliste maniéré.

La mise en scène très habile de Frédéric Ozier – et sans temps mort – se concentre donc sur la réunion improbable de cet équipage loufoque. Le conflit sourde entre désir et raison comme une épée de Damoclès jaillie du tumulte des flots : irrésolution de Bienboire, rivalité amoureuse dressant Ducheyron contre de Kerguelen, folie cannibalesque du frêle Brugnières… Par intemittence, le personnage de l’officier Le Boisguehenneuc et celui du vieux roi Louis XV expriment - sous la forme de monologues - une réflexion perçante sur la solitude, le mirage des richesses et ses vanités.

Mais le désarroi de Kerguelen – reflet du sentiment général d’impuissance de tout l’équipage - n’est-il pas davantage lié à un combat envers lui-même qu’à un banal conflit à bord ? Plus l’on avance dans cette pièce aux tiroirs diversifiés, plus les interprétations paraissent ouvertes…

Le moribond Louis XV, délirant sur les prairies lointaines et les parfums des terres australes n’est-il pas un double de Kerguelen, préfigurant la chute prochaine de l’orgueilleux capitaine du Roland ?

Les Îles Kerguelen est une pièce sur l’égarement et la folie des grandeurs. De Kerguelen, comme le roi, peut-il renoncer à son rêve ?
En affirmant sur le Roland que « le continent austral n’est qu’une île désolée », Ducheyron achève mentalement son supérieur.

Mis en prison pour avoir failli à sa mission, le « fou » de Kerguelen apprend la mort de Louis XV, qui tout au long de ce drame incarne le spectre libidineux qui hante Les Îles Kerguelen.

Les Îles Kerguelen, ou la solitude des conquérants et des nantis… Ces flots tumultueux – suggérés par un habile univers sonore – qui semblent dévorer les bouffons orgueilleux.

Les Îles Kerguelen est une pièce inspirée et tonique, somptueusement mise en scène, avec de redoutables comédiens.

Une des curiosités théâtrales de cette rentrée automnale…

durée : 1 h 40

Les Îles Kerguelen d’Alexis Ragougneau

Mise en scène : Frédéric Ozier / acte 6

Du 24 septembre au 25 octobre 2009

Du mardi au samedi 20 h 30 – dimanche 16 h 30
relâche exceptionnelle le vendredi 9 octobre
supplémentaire : samedi 3 octobre à 17 h

Théâtre de la Tempête

Cartoucherie – Route du Champ-de-Manœuvre 75012 Paris