Didier Daeninckx défriche Missak Manouchian

Didier Daeninckx défriche Missak Manouchian

« Oui tous les partisans qui ont été fusillés le 21 février 1944 sont des êtres magnifiques… Missak Manouchian en tête… Un poète que les circonstances obligent à faire parler les armes au lien des mots ». (page 218). Ainsi s’exprime Dragère, journaliste à l’Huma mis en scène par Daeninckx dans un roman où l’histoire de « L’Affiche rouge » fiche le tromblon en points de suspension.

L’Arménie et ses dérivés en France, franchement, ce n’était pas du tout ma tasse de thé. Mais bon, le Bartos a beaucoup insisté. Et comme je ne peux pas lui résister quand il est enthousiaste…. Cela remonte il y a déjà quelques décennies, lorsque papi bossait à Alfortville. De ses contacts avec la grande communauté arménienne de la région parisienne, il en a gardé un souvenir très chaleureux. Il m’a aussi fait entendre la voix de Léo Ferré chantant « L’Affiche rouge » sur un texte d’Aragon. J’ai dit : d’accord je lis « Missak » de Didier Daeninckx et, sur la tête du Sphinx, je donnerai mon avis pour le Mague !

Le Didier nouveau est sorti en août, en avance sur le beaujolais, célèbre picrate ! Rien à voir avec la qualité littéraire du littérateur aguerri, si ce n’est une certaine consonance teintée de rouge qui tâche les idées reçues. Comme à son habitude, Daeninckx dégomme et creuse du côté des sans grades. C’est un raconteur d’histoires qui une fois encore s’acharne dans la bibliographie qu’il souligne à la fin du livre. Sauf que lui, il veut donner une autre couleur à tout ce qu’on est censé savoir sur cette affaire.

Il est de la verve des Franck et Vautrin dont j’ai déjà causé, qui dans leurs pages couchent à la revoyure des évènements majeurs, du côté des gens qui nous concernent et nous touchent. Je pense aussi aux terrassiers de la réalité couchée sur le papier, les Arthur Koestler, Victor Serge, Georges Orwell….

En janvier 1955, Louis Dragère, jeune journaliste enthousiaste à l’Huma est réquisitionné par la rédaction, onze ans après les évènements pour écrire un papier commémorant le groupe Manouchian et la plaque qui donnera son nom à une impasse à Paname. Lors de son enquête, chez Louis Aragon, il tombe par hasard sur l’original de la dernière lettre de Missak, adressée à Mélinée, sa tendre aimée. Trois petits points de suspension en guise de coupe, mais si lourds de sens : « Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal où qui nous ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus ». (page 50)

Censure au mont coco de la gamberge et relecture du fait historique pour sans doute redorer le blason de la faucille et du marteau et épurer du groupe Manouchian, comme au bon vieux temps des purges staliniennes, certains échappés de l’asile des idées qui auraient adhéré aux thèses trotskistes.

De cette découverte et ses multiples rencontres, le doute envahit Dragère qui digère ses déconvenues. Elevé au sucre d’orge du parti communiste, crédule, il sucre certaines vérités sur le mont de piété de sa religion jusque dans le cloaque du pacte germano soviétique. « Cette histoire de la reparution légale de l’Humanité demandée par Duclos aux dirigeants nazis ! » (page 212) pose question.

De même lorsqu’il apprend que 3 500 apatrides (dont Mélinée) se sont embarqués pour rejoindre l’Arménie soviétique. Il en est beaucoup qui ont éprouvé certaines âpres désillusions, que les journaux de l’époque n’ont jamais couvertes ! « Personne ne parle des Arméniens français qui sont partis construire le socialisme en Arménie. Personne. Pas plus Le Figaro que L’Humanité ! Silence dans l’oreille droite, silence dans l’oreille gauche. Ils n’existent plus que dans le cœur de leurs proches, de leurs amis ». (page 75)

L’histoire mouvementée des femmes et des hommes qui ont pris les armes pour défendre une certaine France des droits de l’humain et des Lumières, ces êtres pour la plupart très jeunes (autour de 20 ans) se rêvaient libres et sont morts pour leur idéal avec comme viatique : harceler les nazis, afin de fragiliser l’édifice montée de toute pièce aux pas de l’oie.

« Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir » (Aragon) autour de « Missak » Manouchian : 8 Polonais / 5 Italiens / 3 Hongrois / 2 Arméniens / 1 Espagnol / 1 Roumaine / et 3 Français. Selon la phraséologie des journaux collaborationnistes (Le Matin / Paris Soir, L’œuvre ou Aujourd’hui), les visages des fusillés pour l’exemple qui campaient sur « L’Affiche rouge », « l’armée du crime » en terme de propagande nazi, avaient des tronches peu recommandables, dignes des descriptions du parti du borgne actuel et de l’odeur qu’il insuffle à tous les bronzés. « Manouchian a un visage basané, les pommettes sont hautes, mais à la hauteur des lèvres, la joue est molle et basse, elle fait un pli comme en ont les dogue. (…) Tous sont des étrangers. Aucun n’est d’origine française. Leur tête est hideuse. Le sadisme juif s’y étale dans l’œil torve, les oreilles en chou-fleur, les lèvres épaisses et pendantes, la chevelure crépue et filasse ». (Page 43)

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant (Louis Aragon)

Pire encore, Missak se musclait le corps et l’esprit ! « Ce qui l’intéressait, c’était les livres. Il lisait les textes en arménien littéraire, mais aussi Romain Rolland, Victor Hugo, Balzac. Beaucoup de poètes Ronsard, Villon, Verlaine… (page 67). Pire peut-être, il écrivait de la poésie et sa manière de draguer était digne des plus monstrueux romantiques. « Au cours de la conversation, Mélinée lui a demandé s’il était marié. Manouchian a répondu qu’il allait bientôt se fiancer. Elle a cru que son cœur allait s’arrêter de battre. Il lui a proposé de lui montrer la photo de sa promise. Avant qu’elle ait eu le temps de répondre, il a sorti un petit miroir de courtoisie de sa poche et Mélinée s’y est vue ». (page 97). L’Ipod c’est trop nul et ringard, les p’tits jeunes !

Moins de vingt-cinq ans la moyenne d’âge du petit groupe de l’Association des jeunes écrivains autour de Missak le prolétaire. « On y discute des vertus comparés du surréalisme, du futurisme, de la tentation romanesque. Manouchian s’essaie à la traduction romanesque de poèmes de Baudelaire, livre les siens ». (page 160). La nouvelle star ou les Brainbox, c’est pas le top pour définir son enthousiasme aux arts du vivant !

Comme toujours chez Daeninckx, il creuse son sujet jusqu’à en extirper la personnalité bien réelle de ses personnages. Missak Manouchian, apatride orphelin depuis le génocide arménien perpétré en Turquie, est un jeune homme engagé pour libérer Paris de la vermine nazi et collabo. Il est à la tête d’un réseau FTP de la MOI (Main d’œuvre immigré) composé de 22 hommes qui seront fusillés et une femme qui elle sera décapitée. En moyenne, ils opéraient tous les deux jours des attentats, sabotages, poses de bombes et déraillements. Ils ont abattu le 28 septembre 1943 Julius Ritter général SS, responsable du STO en France et ami intime d’Hitler. Ils seront traqués par les Brigades spéciales enfiévrées formées de bons franchouillards à l’âme bien trempée dans les baignoires, le tri assidu des lettres de dénonciation des citoyens zélés, arrestations, tortures et livraisons aux allemands sur un plateau de leurs prisonniers.

Dans ce roman du Paname de la Seine en crue, on y rencontre Jacques Duclos en chef de la grande paroisse, un certain Charles Tillon (ancien chef des Francs-tireurs et partisans) dégommé au sens mystique par ses collègues cocos puisque « mis au ban du Parti pour activité fractionnelle » (page 123), le peintre Krikor Bedikian, Henri Krasucki très pudique, le feu snif Willy Ronis à moto, Charles Aznavour et ses parents pétris de générosité et tant d’autres aux inconnus présents qui ont toutes et tous un rôle à jouer.

Le crime de lèse trahison du groupe Manouchian incombe au moins à une personne. Ne contez pas sur moi pour vous narrer l’hypothèse crédible de Didier. En revanche, à « ceux qui nous ont vendu », les fouilles la merde et autres photographes sont toujours au premier rang des exécutions. Le goût du sang et de l’abomination, les mains pleines tâchées de leurs manchettes aux sévices des persécuteurs, Missak ne s’y était pas trompé jusqu’à son dernier souffle, il clamera : « Vous avez vendu votre conscience et votre âme à l’ennemi ». (page 282)

Didier Daeninckx grave la mémoire des vaincus avec l’encre de ses tripes et nous ouvre l’esprit à honorer ces étrangers, nos frangines et nos frangins de tous les temps qui ont osé prendre les armes pour allumer la mèche de la fraternelle liberté. Merci à elles et à eux, merci à lui le littérateur à visage découvert.

Missak de Didier Daeninckx, éditions Perrin, collection Singulier, 284 pages, août 2009, 16,90 euros

Didier Daeninckx signera son ouvrage au Salon du livre anarchiste de Merlieux le dimanche 27 septembre en compagnie fraternelle du cher compagnon Paco du Mague mais aussi de Gérard Mordillat, Siné et tant d’autres talents….
Tel : 03 23 80 17 09 / kropotkine02@ano-log.org

Le Forum Social Libertaire / Salon du Livre Anarchiste sera retransmis en direct sur Radio Libertaire (89,4 Mhz – Paris) et sur le net : http://www.federation-anarchiste.org/rl/

Didier Daeninckx signera également le 1er octobre au café-philo à Eaubonne / le 3 et 4 octobre au festival polar à Roissy en Brie et du 9 au 11 octobre, à l’occasion du Festival noir à Toulouse, à la librairie Renaissance.