Amour, alcool et autres humeurs d’Eric Holder

Amour, alcool et autres humeurs d'Eric Holder

Eric Holder, la belle œuvre ! L’amour et l’alcool coulent à flot par vagues dans son dernier roman « Bella Ciao ». Quels rapports se vivent entre l’auteur et le narrateur ? C’est encore du Eric Holder dans ton son humaine splendeur !

Le Mague : Peux-tu en quelques mots donner un résumé de ton nouveau roman « Bella Ciao » à nos lectrices et lecteurs ?

Eric Holder : C’est un homme, un ivrogne après trente ans de bons et loyaux services dûs à la bouteille, sa femme le jette. Il va tâcher de gagner à nouveau sa confiance et celle de ses enfants. Là-dessus, comme il est parti à vide, c’est-à-dire tout nu sur la plage pour se suicider, il revient à la terre avec un nouveau métier, celui d’ouvrier agricole, le plus basique. C’est un livre aussi sur le travail physique.

Le Mague : Lors des levées de drapeau rouge, comme un signal fort entre le héros et la reconquête de sa belle, y aurait-il un message marxiste dans ton livre vis-à-vis de notre époque un peu passive ?

Eric Holder : Oui, mais ce serait le fait de cette femme Myléna. C’est elle qui a une conscience politique. Le narrateur est dénué de conscience politique. Il tombe à nouveau amoureux de cette femme qui a elle un message politique fort.

Le Mague : Après le drapeau rouge, il y a aussi le vin rouge que ton héros ingurgite à la gîte de son couple et son combat contre l’alcool qui lui colle à la peau. Comment perçois-tu la picole selon ton narrateur ?

Eric Holder : Le narrateur est un ivrogne. Ce n’est pas mon cas. Pour ma part je suis dipsomane qui boit avec excès par accès. Ca donne la distance de temps en temps pour écrire sur les ivrognes.

Le Mague : Existe-t-il certaines similitudes entre le narrateur et l’auteur ou tout est n’est que fiction ?

Eric Holder : J’ai un credo pour ça, c’est prendre l’autocar de la réalité et le train de la fiction. Ca veut dire que tout colle. Si tout colle dans le roman, ça veut dire que tout est vrai de façon rapportée.

Le Mague : Selon toi quel serait le thème principal de ton nouveau roman ?

Eric Holder : L’alcool et l’amour. L’amour ça sent en dessous. L’alcool ça sent au-dessus.

Le Mague : Quelles sont les difficultés que tu as vécues pour écrire ce roman très personnel ?

Eric Holder : C’est dans la peau, c’est dans les os. C’est d’avoir travaillé à la vigne six mois durant, c’est ça. Ca parait rien, mais c’est très éprouvant.

Le Mague : Plus fort que la baine tu meurs ! Cet été en Gironde, une poignée de touristes a été victime des courants marins. Par quelle force de l’amour de la vie, ton héros pourtant mort-vivant ressuscite face à l’océan ?

Eric Holder : Ca c’est le cadeau de la mort. A un moment il y a écrit, on dirait une entraîneuse à côté du bar et c’est vraiment ça la mort. Quand tu la croises, elle te fait de l’œil. On lit ça dans Cueco d’ailleurs, que sa grand-mère a vu sa maison brûler par les allemands. Elle engueulait les allemands et la mort s’est éloignée. C’est comme ça la mort.

Le Mague : Un certain Franck, patron de ton héros est une grande gueule d’exploiteur. Ces relations conflictuelles de travail, sont-elle fréquentes dans le Médoc ?

Eric Holder : Certainement de ce que je peux entendre d’autres ouvriers, mes copains, c’est vraiment comme ça. La vache ! Ce n’est pas exploiteur. Il faudrait un terme pour inventer l’humiliation de la part de quelqu’un qui aime humilier. C’est souvent le cas en Médoc. Ils ont été humiliés eux-mêmes. Comment peuvent-ils humilier à leur tour ? L’époque ne veut plus trop ça. Mais à côté, ils ont un trésor de générosité et de tendresse. Les deux, ils sont sauvages finalement. C’est cruel et c’est sauvage.

Le Mague : Finalement, ton héros préfère-t-il le travail d’ouvrier agricole ou d’écrivain en train de batailler avec ses écrits ?

Eric Holder : Les deux mon neveu. C’est quand même formidable d’avoir à faire aux deux. Et le spectre, c’est le bonheur. Ecrivain comme disait Giono, ça commence le cul sur une chaise et puis c’est bien agréable d’aller au charbon. Parce que dans le bouquin, il n’y a pas que la vigne, il y a aussi les carassons. Quand tu tailles des piquets toute la journée, quatre heures sans pisser, sans boire !

Le Mague : Comme je l’ai souligné dans mon papier concernant « Bella Ciao », le chapitre qui m’a le plus émue concerne la lettre du père à sa fille Lise. Elle est en total opposée de celle de Kafka à son père. Dans quel climat intérieur étais-tu lorsque tu l’as-tu écrite ?

Eric Holder : Vouloir écrire une lettre à ma fille. Lola, quand elle m’a téléphoné, elle m’a dit : je suis extrêmement émue papa. Mais c’est une fiction.

Le Mague : Tu peux me parler des différentes adaptations au cinéma de certaines de tes œuvres littéraires ?

Eric Holder : J’en ai vu une : « Mademoiselle Chambon ». C’est formidable. Stéphane Brizé a tout démoli, tout nettoyé, tout remis à plat, tout reconstruit et il est arrivé à procurer des moments d’émotion que j’aurai aimé prodiguer moi-même de façon différente avec un art de cinéma. C’est un vrai cinéaste, ce n’est pas un réalisateur. L’autre qui va sortir mi-décembre sous le titre de « L’homme de chevet », ça promet d’être noir et or. Ca été tourné en Colombie. J’ai l’impression de maison vide. Mes romans seraient des maisons vides, que des personnes ont meublé merveilleusement l’un et l’autre. L’un j’ai vu le film, l’autre j’ai lu le scénario. Ca promet !

Le Mague : Nous ouvrons la période de promotion et d’information concernant la sortie en librairie de « Bella Ciao », peux-tu indiquer si tu le sais où et quand tes fidèles lectrices et lecteurs pourront t’approcher, t’écouter ou te voir en vrai ?

Eric Holder : Le 26 septembre à Saint-Médard en Jalles au centre culturel et le 24 octobre au Lutétia à Paris.

Le Mague : Jean Vautrin, un autre fameux écrivain girondin écrit concernant son labeur d’auteur : « Il faut l’endurance pour tenir un roman. Se présenter chaque matin devant son établi. Traverser sans crainte des cavernes vides. Ne pas céder à ses quintes de cœur. Ne pas se décourager si la vie devient furtive sur la page à peine noircie de quelques pattes de mouche et d’un petit dessin d’impatience. Imaginer une histoire, les yeux défaillants de doute, c’est courir après des empreintes de pas qui s’évanouissent aux abords d’un horizon prématuré ». Et pour toi, ça consiste en quoi ton métier d’écrivain au jour le jour ?

Eric Holder : C’est un être délicat qui écrit cela. Parce que l’établi je prends. Pardon pour l’histoire de labeur, c’est parfois des journées à la poursuite d’une phrase et puis le lendemain c’est la surprise de voir une demi page. Un cadeau !

Le Mague : Si tu as quelque chose à rajouter, c’est avec joie, je suis toute ouie.

Eric Holder : Ecrire, on sait tous le faire à 97 %, que sais-je ? A part ces 3 % environ, on sait tous écrire. Et la différence c’est un grand mystère.

Bella Ciao d’Eric Holder, Editions du Seuil, août 2009, 147 pages, prix 16 euros