Le procureur s’en prend à Frédéric Beigbeder

Le procureur s'en prend à Frédéric Beigbeder

L’écrivain à succès Frédéric Beigbeder n’a pas choisi pour rien de faire un sort au système judiciaire, non pas à cause d’une injustice dont il aurait été victime, mais parce qu’il a été traité comme n’importe quel citoyen français.

"Dans Un roman français, tout part de l’interpellation en flagrant délit par la police de Frédéric Beigbeder, le 29 janvier 2008, pour usage de cocaïne sur la voie publique", écrit dans Le Monde Alain Beuve-Méry. "Placé en garde à vue, Frédéric Beigbeder finit la nuit au commissariat du 8e arrondissement de Paris, où il passe la journée qui suit. Il est alors transféré pour une seconde nuit au dépôt à la Cité car, affirme-t-il, Jean-Claude Marin souhaitait s’entretenir avec lui". L’ouvrage est le prétexte à une violente charge contre un magistrat qui a préféré partir en week-end au lieu de faire des heures supplémentaires pour les beaux yeux de l’écrivain.

Ce n’est qu’un prétexte, en effet, car il s’agit une fois de plus de se mettre en scène dans un ouvrage de fiction, de se représenter tel que l’on voudrait être admiré… Fantasme commun et privilège particulier du romancier, mais qui ne passe pas la rampe s’il lui manque le talent ! Toujours est-il que le livre fait parler de lui avant sa sortie le 18 août, à cause de la demande que lui a faite Olivier Nora, son éditeur, de reprendre quatre pages au chapitre 27, afin d’éviter tout nouveau problème judiciaire. Frédéric Beigbeder devait y étriller sévèrement le procureur pour son manque de diligence.

Cette affaire, qui a sans doute plus à voir avec une actualité littéraire plutôt grise alors qu’un radieux soleil illumine les visages des lecteurs à la plage, déplaît fortement à l’Avocat général près la cour d’appel de Paris, qui a rongé son frein pendant une semaine avant de préparer un réquisitoire en bonne et due forme. "Depuis quelques jours, j’avais envie de parler de Frédéric Beigbeder, de son nouveau livre, des pages consacrées au procureur de la République de Paris Jean-Claude Marin puis supprimées par l’éditeur, de la polémique qui, sans aucune exception, a cherché à ridiculiser le magistrat et à glorifier l’artiste interpellé une nuit en train de sniffer de la cocaïne", écrit Philippe Bilger dans son blog.

Il n’est pas anodin d’observer la réserve du magistrat dans une controverse où son supérieur hiérarchique est en cause, mais garder aussi en mémoire son indépendance d’esprit à l’égard de la hiérarchie. Philippe Bilger n’est pourtant pas magistrat du siège, et il pourrait lui en coûter de s’interposer dans une affaire intéressant exclusivement son supérieur. Mais il réagit ici par esprit de corps plus que par indépendance d’esprit. "Certes, rien de plus ordinaire que de préférer les voleurs aux gendarmes et l’épris de cocaïne à celui qui est chargé d’en faire sanctionner l’usage mais tout de même !", fulmine le procureur touché au vif et au cœur. "Je me demande s’il ne serait pas temps d’en finir avec cette subtile ou ostensible condescendance qui veut faire passer pour des imbéciles ceux qui prennent au sérieux les dérives de littérateurs choyés par les médias".

Car les propos de Frédéric Beigbeder que les lecteurs ne liront pas choquent Philippe Bilger dans l’honneur qu’il se fait de sa fonction : protéger les honnêtes gens contre les voyous qui sniffent de la coke sur le capot de belles bagnoles ! "Comment n’avait-il pas perçu, en somme, que se faire traîner dans la boue par un créateur comme FB devait non seulement être accepté mais salué ?", s’interroge le magistrat, outré par tant d’irrespect de la part d’un artiste en rupture de ban. "L’écrivain lui avait fait un honneur en le tournant en dérision et pourtant il avait regimbé". Voici comment poursuivre une minable affaire de stupéfiants qui s’est cependant soldée par une relaxe… Le carnet d’adresse du prévenu et l’odeur du scandale ont sans doute joué en faveur d’une certaine conception bourgeoise de l’ordre public.

Ainsi, d’une banale histoire de drogue, on refait le procès des Fleurs du Mal, pour un paquet de fric à la clé… Car les insanités couchées sur le papier par Frédéric Beigbeder n’ont peut-être pas toute la force des Châtiments, ni même de L’Insurrection qui vient ! L’Avocat général Philippe Bilger, en se mêlant aujourd’hui de littérature, ne se ferait-il pas complice d’un coup éditorial comme certains dirigeants de sociétés se commettent dans des délits d’initiés ? À coup sûr, la mayonnaise montée autour de quelques phrases assassines risque de donner au présumé délit de presse une valeur de symbole, et l’artiste, à qui la postérité donne toujours raison, d’être porté aux nues pour des affronts jamais publiés.

Mais le monde a changé. Les magistrats interviennent à présent dans le débat public, sans pour autant faire preuve de rigueur supplémentaire envers les véritables voyous, ceux qui mettent le corps social en coupe réglée, en bénéficiant trop souvent de réprimandes jamais suivies d’effet. Philippe Bilger, en prenant ainsi Frédéric Beigbeder au collet, aura donc bien mérité de la patrie.