Un spectacle gratuit mais pas pour rien !

Un spectacle gratuit mais pas pour rien !

Des manifestations culturelles gratuites sur une grande échelle géographique entre les deux rives de la Gironde, ça existe ! Eric Bernard a créé l’évènement des Grandes Traversées. Il nous parle de ses frontières ténues et nous conjugue le rôle de tous les possibles de l’artiste vivant, joyeux, qui embrasse l’univers de la planète terre.

Le Mague : Comme est-ce possible de proposer des manifestations culturelles et dansées gratuites aux jours d’aujourd’hui ?

Eric Bernard : D’abord pourquoi c’est gratuit ? Pour deux raisons, il ne faut pas de barrière à la rencontre. Deuxièmement, on ne sait pas qui va venir. On ne sait rien. Il ne fallait pas tabler sur des hypothétiques rentrées qui auraient pu mettre le projet en difficulté. On a mis ça de côté et on s’est dit que l’argent public qui a été levé, c’est important, c’est mon boulot, même s’il n’est pas à part égale des deux côtés de la Gironde. Ce qui est tout à fait normal. La ville de Royan est une ville plus riche que Talais. On va rien demander à la ville de Talais ni à Saint-Vivien, ce serait ridicule. Parce que si ces communes donnaient de l’argent, elles ne donneraient pas d’argent à la vie des associations locales. Ce serait immonde et terrifiant. Donc la gratuité. Je ne suis pas sûr que si on continue, tout continue à être gratuit. Parce qu’il faut mettre quand même une certaine valeur autour de l’objet. Mais il n’empêche que si cette édition continue sur la Pointe du Médoc et à Royan, il y aura quand même toujours des manifestations gratuites et de très grands rassemblements pour fédérer et créer une communauté. C’est aussi un appel communicant. Un appel symbolique fort.

Le Mague : Quels seront les futurs proches moments cruciaux et festifs des grandes Traversées qui vont marquer le Médoc et la Charente Maritime ?

Eric Bernard : C’est une très bonne question, il va me falloir cinq heures pour y répondre ! Plus que jamais, je ne veux pas que les grandes Traversées soient un empilage de spectacles. Je ne veux pas que les grandes Traversées soient un festival. Je veux que les grandes Traversées soient une utopie et un objet organique. C’est-à-dire, si on contraint notre vision à je vais à un spectacle, on a qu’une version très parcellaire de ce qu’est l’artiste et de ce qu’est le projet. Le projet est une globalité. Le projet des grandes Traversées, c’est avant, pendant et après. Bien entendu on aura des moments où on aura une œuvre plutôt qu’une autre, mais ce n’est qu’un moment. La compréhension de notre projet ne se comprend que si on essaie de se pencher sur l’intégralité de son programme. La vision spectaculaire, la représentation n’est pour moi qu’une forme publicitaire de ce qu’est l’artiste.

Le Mague : Mais alors, qu’est-ce qu’un artiste selon toi ?

Eric Bernard : L’artiste, il est né artiste pour moi et il est dans une position critique créative et il est créatif tout le temps. Jared Gradinguer, il a sa sensibilité tout le temps. Quand il dort, sous sa douche, quand il se lave les dents, quand il mange, quand il est sur scène, quand il est avec les autres. Tout le temps. Donc ce que l’on va voir, ça peut communiquer comme on le veut. Ca peut être vécu et établi comme on le veut. Ce n’est que parcellaire. L’image grand public, c’est Batman. Il existe, il n’existe pas. Il existe dès que la lumière est dans le ciel. Le symbole de Batman c’est le ciel. A partir du moment où dans la nuit il y a ce symbole là, tout le monde est Batman. C’est l’inconscient. Ce qui est important c’est ce qui globalement va se passer et qui va être moteur d’une transformation. Ce qui fait que les chasseurs que j’ai rencontrés à Saint Vivien vont dire : - A tout compte fait, c’est un pote à nous aussi. Le député maire de Royan va dire : - Ma ville est une grande ville pour retrouver une place leader dans l’art corporel. Ce qui est important, c’est que l’association des commerçants de Pontaillac (qui n’est pas la station balnéaire la plus prestigieuse du monde) te dise : - C’est important, ça me concerne et que ces gens te disent : - Oui c’est important, je comprends ce dispositif et la jeune création. Et si ça concerne Berlin et New York, pourquoi ça ne concernerait pas moi au premier fait ? Ce qui est important, c’est que ceux qui sont en train d’envoyer des mails de Göteborg et Paris se disent qu’à Soulac il y a gens formidables, il y a une ville formidable. Tout ça fait qu’à un moment donné ça n’existe que là et là il y un éclairage sur le territoire. La terre est ronde, il n’y a pas de coins mais il y a du polycentrisme. Il y a des moments où ce que nous faisons est important par ce qu’on a décidé collectivement que le centre du monde est là. Et le centre du monde c’est un cœur qui met en mouvement. C’est ça que l’on veut faire. Pour moi tout compte.

Le Mague : Tu peux me donner des exemples concrets ?

Eric Bernard : L’atelier de danse monté par Tatiana et Tamara Saphir est aussi important que le final sur la plage de Pontaillac où peut-être on sera cinq ou six mille personnes en train de danser. Erna Omarsdottir (mille excuses de la Singette pour son clavier qui n’accepte avec les accents !) qui viendra danser à la plage du Chay, c’est aussi formidable qu’Angela Schubot qui est l’émergence de l’émergence de l’émergence berlinoise qui va faire vingt minutes son spectacle à Saint-Vivien ! Qui aurait pu penser un jour qu’Angela viendrait faire cela ? Tout est important. Mark Jenkins est notre futur invité. Il est arrivé quinze jours avant. L’an prochain, on va retravailler avec lui qui est un non danseur, un non chorégraphe, il va nous proposer une autre technologie qui nous fera partir de Berlin pour l’Amérique du Nord et Londres avec des gens encore plus jeunes, plus introspectifs. Quand il va installer ses ours sur la route nationale du Verdon, quand il va installer ses œuvres dans Royan ! Ca va être un évènement ! Il y aura aussi des moments très isolés. Knut Berger, dans le projet « Housing », ce ne sera qu’une personne à la fois et ces personnes vont terminer dans son lit. Celui qui va passer un quart d’heure dans le lit de Knut Berger va autant s’en souvenir que du rassemblement possible à Pontaillac. Ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a 180 places de stages, elles sont toutes prises Il y a 2000 places dans les salles fermées, on est déjà à un plus d’un tiers. Donc tu vois, je ne réponds pas aux questions mais j’y réponds quand même.

Le Mague : Le dernier mot de la joie de vivre à proposer des évènements de très grande qualité ?

Eric Bernard : J’ai envie de dire qu’on est tous moteur de notre transformation. J’ai envie de dire, pas de crise, mais la crise il faut l’incarner. La crise, ce qui va, ce qui ne va pas, ce n’est pas conceptuel. Aujourd’hui, la crise est formalisée autour d’individus. La bulle financière elle existe parce que certains appuient sur le bouton ou ont décidé d’appuyer sur le bouton. Donc, si on veut que tout change, c’est une responsabilité collective. C’est-à-dire qu’on doit être moteur des transformations. Très modestement, moi ce que je veux faire dans le projet c’est de donner des outils de la transformation. On me disait l’autre jour au Conseil Général : vous briguez des mandats. Je ne brigue aucun mandat et ça m’est complètement égal. Simplement on donne des outils de réflexion, de politique, de sens, de contenu non banalisés et non démagogiques. On donne des grands outils de liberté. Ces outils là, ils sont pour tout le monde. Il faut que le public s’en empare. Là comme ailleurs mais différemment qu’ailleurs. Les grandes Traversées c’est un outil de démocratie. C’est un outil de liberté. C’est un outil de tous les possibles. Et ça il faut que le public s’en empare. Que ce soit un des petits moyens faibles, mais quand même, d’être maître de son destin. C’est ça que je veux faire.

Ici la première partie de l’interview d’Eric Bernard.