Canal+ enregistre en direct son émission politique

Canal+ enregistre en direct son émission politique

La plus jolie speakerine du PAF a reçu Vincent Peillon dimanche en 2ème partie de Dimanche+, l’émission politique hebdomadaire de Canal+. La tête de liste socialiste aux élections européennes n’a pas paru très au fait sur la participation de Ségolène Royal au meeting de Rezé, près de Nantes, le 27 mai. Quand l’émission a-t-elle été enregistrée ?

L’émission dominicale animée à l’heure actuelle par Anne-Sophie Lapix sur Canal+ en clair et sans décodeur est très appréciée dans les foyers, car les femmes et les hommes politique s’invitent à la table des Français réunis en famille. Ils leur offrent à cette occasion des sujets de conversation d’un niveau plus élevé que ceux que soulèvent les sempiternelles histoires de famille, et les incitent à prendre leur part dans le débat public particulièrement insipide en ce moment. Pourtant, de nouvelles échéances électorales sont programmées le mois prochain, alors que tous les experts craignent ou prédisent un fort taux d’abstention.

Vincent Peillon, lui aussi engagé dans la bataille électorale, n’a pas paru très convaincant dimanche. Jusqu’à récemment l’un des plus ardents soutiens de Ségolène Royal au sein du Parti Socialiste, il a pris ses distances avec la candidate à la présidence de la République, sans avoir été payé de retour par Martine Aubry. Parachuté dans le Sud-Est, il doit se couper du terroir picard où il a été élu pour élaborer la politique européenne. Vincent Peillon n’en mène pas moins une campagne dynamique et très assidue dans le sud de la France, en multipliant les déplacements et les rencontres.

Est-ce pour cette raison qu’il ignorait que Ségolène Royal allait finalement participer à la réunion électorale programmée le 27 mai prochain dans la banlieue de Nantes ? Cette information, suite à une controverse qui s’est emparée de la classe politique la semaine dernière, a été apportée samedi par les proches de la présidente de région, Delphine Batho et Jean-Louis Bianco. Pendant les deux minutes et demi où la journaliste interrogeait Vincent Peillon sur les conséquences d’un nouvel exemple du flottement qui perdure au Parti Socialiste, le député européen est demeuré très flou : je conseille à tous les leaders socialistes de faire campagne avec les copains, a-t-il déclaré finalement.

Ce n’est pas la première fois que ce genre de bug se produit dans l’émission d’Anne-Sophie Lapix. Le lendemain de l’attentat contre l’hôtel Marriott à Islamabad le 20 septembre 2008, le ministre de la Défense Hervé Morin avait cité tous les faits sanglants attribués aux terroristes islamiques, sans faire une seule fois mention au cours de l’émission de celui qui a fait 53 morts et 266 blessés la veille au soir dans la capitale pakistanaise.

Le ministre de la Défense en était-il informé ? Non, si l’événement n’avait pas encore eu lieu au moment où son souci principal était de déminer la réforme des armées pour les téléspectateurs et citoyens français. Car dans cette restructuration des forces armées et de la carte militaire souhaitée par Nicolas Sarkozy, la question du terrorisme y prenait une place importante… Vincent Peillon le dimanche 17 mai 2009, comme Hervé Morin le 21 septembre 2008, n’étaient vraisemblablement pas sur le plateau de télévision de Canal+ au moment où les téléspectateurs les regardaient argumenter.

Les émissions politiques sont incontournables des programmes des stations de radio et des chaînes de télévision. Elles offrent au personnel politique la possibilité de s’exprimer, de faire le point sur les différentes options présentées par les uns et les autres, et de réagir à chaud sur l’actualité politique de la semaine. C’est pourquoi ces rendez-vous politiques sont diffusés en direct, afin de leur donner tout l’éclat de la spontanéité. Les journalistes cherchent à faire déraper leur interlocuteur, alors que celui-ci en profite pour faire une annonce qui sera reprise en boucle par les autres médias. Dimanche+ déroge à la règle, et voici pourquoi.

La chaîne cryptée est demeurée en marge du paysage audiovisuel français. Elle est toujours dans le divertissement, quel que soit le sujet proposé. La politique est traitée par Canal+ sous cet angle, et Dimanche+ n’échappe pas à la règle. Le ou les invités sont interrogés par Laurence Ferrari, puis par Anne-Sophie Lapix, deux jeunes journalistes au tempérament fougueux, mais encore assez fraîches pour être au fait de toutes les ficelles du métier de journaliste politique. Les autres médias font appel à un collège de journalistes chevronnés, qui passent littéralement l’homme ou la femme politique à la question.

L’équipe du journal Le MAGue a passé près d’un an à enquêter sur les émissions politiques des médias. Le secret de leur fabrication est bien gardé. La première fois qu’un de nos reporters s’est présenté pour présenter son sujet, Canal+ lui a répondu que la chaîne ne se prêtait pas aux enquêtes journalistiques. Chez les autres médias, l’accueil a été plus cordial, mais tout aussi distant. Pour autant, nous avons pu obtenir des stations de radios périphériques l’information selon laquelle certains des rendez-vous politiques hebdomadaires avaient été enregistrés, mais pour des raisons exceptionnelles. Dans le dossier de presse que Canal+ propose au sujet de Dimanche+, dans les interviews accordées par ses présentatrices successives, jamais n’a été indiqué le mode de diffusion de l’émission, à savoir si elle est enregistrée ou en direct.

Voici trente ans, la télévision privilégiait le direct, pour des raisons de spontanéité, de respect vis-à-vis du public. Les aléas du direct ont ainsi fait cent fois le sel d’une émission, et consacré le talent de celle ou de celui qui la présentait. Mais l’enregistrement, pratique et moins coûteux, a de plus en plus pris le pas sur le direct. La politique, avec tout ce que cela suppose de travestissement de la parole et du sens, est en train de franchir le pas.