"Le Géant" : plongeon dans la fiction finnoise

"Le Géant" : plongeon dans la fiction finnoise

Troisième roman de la Finlandaise Riikka Ala-Harja — née en 1967 à Kangasala — Le Géant (2007) s’avère une oeuvre de taille réaliste, légèrement surréaliste, ironiquement tordue. Nous suivons les pérégrinations farfelues d’un Gulliver et d’une sirène, entre Kajaani et New York. Le Géant ? un fruit — des plus savoureux — de la littérature nordique…

Au premier abord, le style de Rikka Ala-Harja peut rebuter : phrases courtes des plus banales, humour potache, expressions passe-partout. En outre, la forme narrative peut agacer : passage fréquent du je au neutre, phrases au registre enfantin. En fait, derrière ce style volontairement désinvolte se cache une redoutable efficacité entièrement au service d’une histoire réaliste, délicieusement alambiquée sur le fond, dont l’unique incursion dans le domaine fantastique réside dans l’évocation — presque biblique&nbsp&mdash de la taille surélevée du principal personnage : Taneli, lycéen complexé de 16 ans, haut de 2, 27 m.

Avec un humour tendre et acide, l’auteure nous conte les tribulations de cet adolescent, qui s’amourache de sa professeure Mona, 24 ans, petite femme nerveuse, passionnée de théâtre, aspirant à la célébrité. Ces deux tourtereaux décident de s’éloigner quelques mois du pays aux mille lacs — magnifique mais ennuyeux —, cherchant à concrétiser tous leurs désirs dans un New York glauque et arty.

Dans ce roman loufoque, l’auteure nous relate la trépidante — et furtive — virée de Taneli le Géant et Mona la théâtreuse, deux enfants aux rêveries soixante-huitardes, fonçant à l’aveuglette à la recherche du désir ou de son contraire, aspirés gloutonnement par une furieuse folie d’identité. Avec ses courtes phrases savamment minimalistes, Ala-Harja attaque à l’aide de mots futés, et la sauce prend. Elle fait rire avec des thèmes récurrents : l’art, la différence, la maturité, la sexualité. Le Géant s’avère un permanent rodéo de dialogues cocasses, abritant parfois des espaces calmes où les personnages se laissent aller à des confidences comme ici :

Mes enfants si grands sont plus près que moi de Dieu… Tout est si structuré et planifié, même la Passion […] Le vendredi saint est d’ailleurs le moment idéal pour se sentir accablé (p. 96), se lamente le pasteur — et père de Taneli —, incarnant dans Le Géant un homme de religion désabusé.

Confrontés à la fois aux caprices du monde adulte (séminaires et stages de professionnels du spectacle) et à leurs sentiments instables d’adolescents, Taneli et Mona cabriolent sur une route à deux voies — parsemée de personnages burlesques — colorée par l’espoir et obscurcie par le doute. Avec Le Géant, Ala-Harja offre de puissants effets comiques, oscillant constamment entre réalisme absurde et commedia dell’arte — ce qui n’est guère étonnant de la part d’une romancière qui situe son engagement artistique à 20% dans l’art contemporain, à 30% dans le théâtre et à 50% dans la littérature.

Ici le désenchantement s’accompagne d’hédonisme et par une forme d’acceptation de l’échec, comme dans les romans de René Fallet. Après tout les personnages de ce curieux roman finnois, ne sont-ils pas aussi cocasses et frénétiquement cinématographiques que ceux de Paris au mois d’août et de Comment fais-tu l’amour Cerise ?

Avec un brin de perversité, l’auteure plante ses personnages principaux dans des situations embarrassantes — partage d’un lit à l’hôtel ou tournage d’un film X — scrutant, tel l’écrivain naturaliste un peu barge, l’évolution des sentiments et des tempéraments dans leur contexte socioculturel.

Une bonne part de la truculence du roman Le Géant se nourrit d’observations fines, désacralisant à la fois rapports personnels et sociaux.
Les stages et séminaires de théâtre en offrent une amusante illustration. Tel le perroquet savant d’une Theatrical Star Academy, la romancière fait ânonner à son personnage Mona le monologue suivant :

L’art ne naît jamais dans un grenier obscur […] Sortez dans la rue, jetez votre dévolu sur une personne et bâtissez un personnage en vous servant d’elle !

Les élèves acquiescent et se précipitent illico dehors (p.33).

Derrière une écriture anodine et joyeuse — en fait très travaillée — Le Géant nous fait pénétrer dans un univers d’écrivain. Et Riikka Ala-Harja apparaît comme l’une des valeurs montantes de la littérature finlandaise des années 2000.

Le Géant, de Riikka Ala-Harja, roman traduit du finnois par Christian et Paula Nabais, éditions Gaïa, collection Catalogue général, 304 pages, 2009. Prix : 21 €, sortie en librairie le 11 février 2009.

Du même auteur aux éditions Gaïa :

Tom Tom Tom (2003)

Reposer sous la Mer (2004)