Algérie : Etudiantes le jour, catins la nuit

Algérie : Etudiantes le jour, catins la nuit

La prostitution, ce fléau qui date depuis la nuit des temps, n’est pas
un phénomène nouveau en Algérie. Si dans notre société conservatrice
l’on a tendance à passer sous silence tout ce qui a trait au sexe et
encore plus au commerce du sexe, ce vieux métier reste à ce jour la
voie la plus classique qu’empruntent des jeunes femmes, le plus
souvent issues de milieux défavorisés, pour subvenir à leurs besoins
élémentaires.

Mais si la prostitution était autrefois de l’apanage d’une tranche
défavorisée de la société, elle est aujourd’hui l’œuvre de jeunes
étudiantes qui, après avoir quitté leur ville natale en vue d’étudier,
se retrouvent, une fois installées dans les cités universitaires, en
train de faire commerce de leurs charmes en guise d’une nouvelle forme
de rétribution. Cadeaux, dîners bien arrosés et sorties nocturnes dans
les endroits les plus huppés de la capitale. Plutôt une forme de
para-prostitution que défendent plusieurs jeunes « catins instruites »
qui proclament leur liberté dans un élan de révolte contre la société.

A l’abri de tout contrôle, livrées à elles-mêmes, elles s’adonnent au
jeu fatal de la séduction, ignorant toute conséquence fâcheuse de leur
acte. Vendant leurs corps en échange de « cadeaux », des sorties
dispendieuses, des dîners bien arrosés ou des bijoux fastueux, ces
dernières parviennent à mener un mode de vie agréable au sein de la
cité universitaire, menant une vie parallèle. Balançant entre le
statut de la jeune universitaire studieuse la jour et celui de la
catin le soir, quelques-unes se livrent ici, racontant leurs
aventures, par des bribes de mots confus, sur un ton hésitant, tantôt
avec une pointe de regret, tantôt de façon effrontée. Comment en
sont-elles arrivées là ? Zoom sur un phénomène qui a envahi les lycées
et universités d’Alger.

« Mon corps est mien. J’en dispose librement »
« En changeant de bled, on change de vie. » C’est ainsi que Faty entame
le récit de sa vie, évoquant comment elle rêvait de décrocher son bac
haut la main pour fuir son contexte rigoriste et sa famille hyper
conservatrice. « En décrochant ce diplôme, je savais que les années de
la fac allaient me permettre de vivre ma liberté tant rêvée »,
raconte-t-elle. En effet, une fois le bac décroché, elle embarque vite
vers la capitale, le lieu de rêve, où elle entame une nouvelle
existence. Cette jeune brune, au corps élancé, au sourire ravageur,
n’a pas manqué d’affirmer que son corps lui appartient, qu’elle ne
regrette en aucun cas sa conduite et qu’elle se plaît bien dans sa vie
de « femme émancipée ». Mais est-ce là réellement un signe
d’émancipation ?
Pour son amie d’enfance, Rania, chacun se fraye le chemin qui lui
convient dans la vie. Les deux copines, l’une, à défaut de pouvoir
devenir journaliste, a opté pour des études de gestion, et l’autre
pour une formation dans le paramédical. Faire les choses à moitié,
c’est un peu leur lot quotidien. La médecine, un peu trop difficile,
laisse donc place au paramédical. Et la para-prostitution (troquer son
corps contre des cadeaux) moins risquée, plus mondaine et plus
accessible, remplace la prostitution assumée.
Aujourd’hui, elles sont nombreuses, les étudiantes, à opter pour cette
nouvelle formule de prostitution qui n’est souvent pas considérée
comme telle par ces dernières.

Les cadeaux en guise de rétribution
Accompagner un homme qui leur plaît, sortir en boîte, consentir à
partager un dîner bien arrosé avec ses copains, faire preuve
d’ouverture d’esprit en se permettant des intimités avec lui ou ses
« potes » en contrepartie de cadeaux, telles sont les nouvelles libertés
que s’accordent quelques jeunettes. « Je n’accepte jamais l’argent en
contrepartie de mes fréquentations nocturnes. Par contre, les cadeaux
sont les bienvenus. Je suis jeune, c’est mon droit de vivre comme bon
me semble », n’a pas hésité de lancer Lyna, qui depuis qu’elle est
arrivée à la fac d’Alger l’an dernier se permet des libertés dont elle
n’aurait jamais rêvé. « Enfin, je peux respirer », dit-elle. Questionnée
sur ce qui l’a poussée à prendre ce chemin, Lyna affirme que la bourse
qu’elle encaisse n’est pas suffisante pour lui permettre de maintenir
le mode de vie luxueux qu’elle mène. Cette vie parallèle lui permet au
moins de mener une vie agréable. Ces compagnons d’un soir, elle les
choisit soigneusement, par crainte de tomber sur des aliénés ou des
débauchés. « Je ne couche jamais dès le premier soir. Et puis, certains
hommes, bourrés jusqu’aux as, ne rêvent que d’une femme belle et jeune
qui leur permet, l’espace d’une soirée, de fuir leur vie morne. Moi,
je leur offre le bonheur, et eux ils m’offrent l’argent », souligne,
d’un ton enjoué, cette jeune femme au corps élancé et au sourire
charmeur.

« Juste une sortie payée. Où est le mal ? »
Linda et Ahlem sont deux copines dans la même chambre, à la cité
universitaire du vieux Kouba. Ces deux noctambules d’Alger, venues de
l’ouest du pays, au charme ravageur, ont accepté, sous le couvert de
l’anonymat, de nous livrer leurs aventures. Ces deux jeunes filles,
âgées respectivement de 24 et 26 ans, l’une blonde aux yeux bleus,
l’autre brune au teint bronzé ont véritablement de quoi charmer. Elles
jouent sur ça d’ailleurs. Se savant séduisantes, les deux nanas
multiplient depuis deux ans les aventures amoureuses sans lendemain.
Leurs amants d’une nuit, des mecs friqués, les entourent d’attention
et de cadeaux de luxe. Leur tâche ? Se montrer très douces, voire
soumises aux caprices de leurs bienfaiteurs, si elles désirent garder
leur « gagne-luxe », car c’en est un. A ce propos, Lynda, la plus jeune,
affirme être bien mieux entretenue par ses compagnons que son amie,
qui se montre encore réservée, refusant d’aller loin dans ces
aventures, de peur de tomber enceinte. Lynda, quant à elle, est déjà
expérimentée dans le domaine, puisqu’en l’espace de deux ans, elle dit
avoir avorté à deux reprises.

Une virée aux alentours des cités universitaires
En effet, le phénomène de la « para-prostitution » en milieu estudiantin
prend de l’ampleur. Il suffit juste de faire un tour, vers 19h, aux
cités universitaires qui se trouvent aux alentours de la capitale pour
considérer l’ampleur du phénomène. Pour preuve. Un peu plus loin dans
quelques localités, près des parkings, à l’abri des regards curieux se
manigancent quelques trocs des corps. Des étudiantes, désireuses de se
faire de l’argent facile, souvent originaires de l’intérieur du pays,
se pomponnent et sortent, se placent devant le parking ou esquissent
quelques pas, nonchalamment, sur l’avenue. Elles montent dans un
véhicule, ressortent d’un autre.

Des travailleuses de sexe occasionnelles
Selon la sociologue F. Rabhi, cette course à l’objet ne serait au fond
qu’un dommage collatéral de nouveaux désirs de consommation : « Les
étudiantes qui se prostituent ne sont pas forcément dans la misère ni
dans la satisfaction des besoins primaires. Pour elles, se faire
offrir des fringues à la mode pour avoir un look qui les valorise, ou
sortir aux frais d’un client, c’est tout aussi essentiel. A leurs
yeux, c’est une forme d’accomplissement de soi. » Un soi que l’on
pomponne quitte à se déguiser à ses propres yeux. Mounia, Dalal et les
autres ne se considèrent pas comme des prostituées, des travailleuses
du sexe occasionnelles. Parce qu’elles ne font pas l’amour dans le
sens technique de la chose. Prostitution à temps partiel, prostitution
amateur, para-prostitution ?

Pour leur part, les psychologues expliquent ce phénomène de
para-prostitution par le fait que, dans bien des cas, les cadeaux en
nature démonétisent le rapport entre ces filles et leurs clients.
Puisqu’il n’y a pas argent, il n’y a pas prostitution, selon elles.
Enfin, il importe de noter que quelques filles avancent aujourd’hui un
autre argument, mettant en avant la dimension esthétique. C’est normal
que l’homme paye, puisque c’est pour lui qu’elles se font belles,
qu’elles vont au hammam, qu’elles s’épilent. Une sorte de récompense
pour leurs efforts.
D. S