Fils de roi – Portraits d’Egypte

Fils de roi – Portraits d'Egypte

A compter du 11 décembre 2008, la galerie Camera obscura (268 boulevard Raspail), à Paris, exposera des photographies de Denis Dailleux. Et pour ceux qui ne peuvent s’y rendre, ce très bel album publié chez Gallimard vous offrira un voyage nostalgique dans une Egypte inconnue ...

Plutôt que de se contenter de publier des photographies avec une légende, l’idée de croiser le regard du photographe avec celui d’un écrivain épris d’Egypte depuis plus de vingt ans offre au lecteur une alternative passionnée. Subjective mais terriblement émouvante, à contre-courant des clichés culturels et touristiques qui polluent la singularité de ce pays extraordinaire, la prose d’Alain Blottière est portée par une poésie toute orientale. Lentes descriptions, fines analyses des travers de l’Egypte moderne, le texte s’impose comme une introduction aux sublimes tableaux clairs-obscurs qui vont suivre. Des photographies qui sont comme des déclarations : d’amour envers ce peuple incroyablement libre et fier jusque dans sa plus incroyable pauvreté, d’innocence pour les doutes qui l’assaillent à chaque fois qu’il appuie sur l’obturateur et saisit l’image dans sa plus grande nudité.

Pour aimer l’Egypte il faut tout d’abord oublier sa morale impossible inspirée du rigorisme wahhabite et sa nouvelle bourgeoisie qui n’est rien d’autre qu’un troupeau conformiste, hypocrite et borné, vivant le Coran en fond sonore. Il faut oublier les homosexuels raflés dans les bars, les sidéens enchaînés à leur lit d’hôpital, la jeune fille non voilée injuriée chaque jour dans le métro … Oui, pour y parvenir il faut chercher ailleurs. Comme en Inde, il faut aller vers les pauvres, par exemple les célèbres chiffonniers du Caire qui savent déceler les trésors dans ce que l’Egypte jette …
Car c’est bien chez les pauvres que vous trouverez les plus généreux ! Le peuple égyptien est un peuple pauvre, et c’est justement pour cette raison – et à cette condition – qu’il est un peuple digne, un peuple drôle et émouvant, un peuple de princes véritables. Voici l’une des bonnes raisons d’aimer l’Egypte, pays à cet égard unique au monde, mystérieusement …

C’est, en effet, en Egypte que des enfants de cinq ans à la politesse princière courent dans les ruelles putrides. L’allure, le port, la dignité malgré la crasse émanent de ces portraits que Denis Dailleux nous rapportent de ses voyages. Placés plus haut que l’objectif – comme si leur allure requérait un piédestal – ces enfants-rois semblent régner et condescendent, l’espace d’un instant, à poser sur nous leur regard.
Ces fils de sont les descendants d’une histoire immobile, en équilibre durant trois ou quatre mille ans et qui, depuis un siècle ou deux, s’ébranle à rebours vers un chaos dont nul ne devine l’ampleur …
Cet album est un palimpseste qui, par ses images d’une rare poésie, donne naissance à la nostalgie, ce si fertile sentiment humain. Oui, l’Egypte est peuplée de fantômes qui rodent dans les ombres des grandes demeures épuisées, derniers vestiges des vieilles familles ruinées par Nasser. Ils cohabitent avec les vivants éphémères dans des cimetières où les tombes sont comme des maisons. La Cité des morts est un vaste motel où rodent les âmes perdues qui n’ont pas encore quitté leur corps.

Oui, Denis Dailleux est bien le digne photographe de l’Egypte qui vaut d’être aimée, fille de l’Histoire des hommes elle est fragile et menacée, certainement mourante quoiqu’elle en dise, et vouée à l’oubli si un artiste ne parvient pas à l’emprisonner dans son écrin d’une rare délicatesse. Par ses photos il nous fait oublier la pollution du Caire qui nous exaspère, l’obsession sécuritaire de Louxor ou l’une des mille autres offenses contemporaines qui nous insupportent ; car ici tout n’est qu’émotion et l’on chavire avec ravissement dans ces paysages impossibles et ces passants si rayonnants. Une fois refermée la dernière page l’on est tombé amoureux de l’Egypte.

Denis Dailleux, Fils de roi – Portraits d’Egypte, préface d’Alain Blottière, relié plein papier, couverture cartonée, 245 x 255, 80 photographies couleur, Gallimard, novembre 2008, 128 p. – 29,00 €