La Grève est devenue un Sport national

La Grève est devenue un Sport national

De nombreux mouvements sociaux vont émailler cette semaine, en succédant à la grève des pilotes de ligne. Les cheminots leur emboîteront le pas mercredi pour protester contre une réforme de leur statut, puis ce sera au tour des enseignants le lendemain, et des employés des postes, de faire entendre leur mécontentement samedi. Les perturbations attendues sont en rapport avec celles de l’automne dernier, mais au-delà de la défense du service public et d’une meilleure capacité des agents publics à se mobiliser, les revendications demeurent catégorielles.

Les difficultés économiques, impossibles à masquer par un montage astucieux des outils statistiques depuis l’effondrement des marchés financiers, offrent un motif légitime de mécontentement aux salariés, ainsi qu’à leurs collègues qui viennent de perdre leur emploi en septembre… Pour la CGT et son Secrétaire général, les employés du service public forment le fer de lance de la contestation sociale, grâce à l’ancrage traditionnel des syndicats dans la fonction et les transports publics, et la relative impunité à laquelle s’exposent leurs militants syndicaux, par rapport à ceux du secteur marchand.


Dimanche, Bernard Thibault a très justement appelé le gouvernement à se préoccuper de la situation sociale, au lieu de se satisfaire de voir la France échapper à la récession. L’objectif apparaît clairement défini de façon générale, et pourrait bien susciter chez les employés du privé un soutien sans faille et même une grande reconnaissance envers l’engagement altruiste des grévistes.


Les pilotes de ligne ont réussi à mettre la compagnie nationale dans une situation délicate ce week-end, Air France a prévu pour lundi d’annuler 30 à 35% de ses vols long-courriers et 50% de ses moyen-courriers, comme la veille ! Il est d’ailleurs de tradition de la part des personnels du secteur aérien à cesser le travail dès que s’annoncent des pointes de trafic. Côté rail, celui de la SNCF risque lui d’être affecté par 2 grèves des agents de conduite, qui s’opposent au projet de réorganisation des conditions de travail des conducteurs du fret et ont déjà observé une grève bien suivie le 6 novembre.


Jeudi, ce sont les enseignants qui descendront dans la rue. La quasi-totalité des syndicats de la maternelle à l’université, secteurs public et privé, y compris l’enseignement professionnel et agricole, appellent à la grève et à manifester ce jour-là partout en France pour dénoncer la dégradation des conditions de travail, les milliers de suppressions de postes au budget 2009 et, pour certains, la réforme du lycée. Enfin, samedi, 5 fédérations syndicales des Postes appellent les agents à une journée de mobilisation, contre la privatisation de La Poste. Ils rejettent le projet de Jean-Paul Bailly, P-DG de La Poste, de transformer l’entreprise publique en une société anonyme dès le 1er janvier 2010, avant d’ouvrir son capital un an plus tard.


Mais les usagers, comme à chaque fois que se reproduit un tel mouvement de grèves, se retrouvent avec des difficultés plus grandes encore pour se rendre au travail, trouver un moyen de s’occuper de leur progéniture, etc. Quant aux entreprises, elles accusent généralement le coup avec philosophie, mais prévoir les ruptures logistiques et l’acheminement hasardeux du courrier suppose toujours un surcroît de travail pour les services concernés.

Les agents publics cultivent l’équivoque avec le public


Les grèves des services publics coûtent au contribuable. Le 19 novembre 2007, la ministre de l’Économie Christine Lagarde a estimé que le mouvement social contre les régimes spéciaux coûtait à l’économie française de 300 à 350 millions d’euros par journée. Il faut bien sûr compter avec le manque à gagner et l’immobilisation des matériels, mais en plus, il n’est pas rare que les pouvoirs publics fassent appel de façon subreptice à des opérateurs privés pour pallier à l’urgence de certaines tâches qui ne souffrent pas d’interruption. C’est ainsi que La Poste a développé un réseau de tri parallèle sous-traité à des professionnels du secteur marchand depuis 1995. Le désengagement de l’État de ses missions de service public, pour idéologique qu’il apparaisse, a trouvé dans un fonctionnement erratique sa justification pratique.


La filialisation de la SNCF connaît une logique identique, tout en permettant au groupe d’afficher une situation financière plus favorable qu’elle ne l’est en réalité. Le partage entre l’exploitation et le réseau ferré (RFF) en est l’illustration la plus criante : après les différents accidents de caténaires durant l’été, la SNCF a entrepris la vérification de 15.000 Km de câbles électriques. Résultat, ce ne sont pas moins de 10 points où le caténaire était sur le point de lâcher ! Les relations qui président à la réalisation d’une tâche qui incombait en totalité à l’entreprise publique sont criantes d’une sous-traitance indigne, puisque les Chemins de Fer conservent au 1er semestre 2008 une créance de 2,45 millions d’euros sur le maître d’œuvre, qui a obligation d’employer des cheminots pour effectuer les travaux commandés. Outre l’entretien du réseau ferré, la SNCF possède un parc immobilier important, de véhicules de transport routiers, etc. Dans le périmètre du groupe gravitent 735 sociétés d’objet divers.


Pour les services et les entreprises publics, en dépit d’une intervention globale dans le tissu économique et d’un amalgame bien pratique, il n’est pas concevable d’entendre d’autres revendications que catégorielles de la part de leurs agents. Ainsi, les pilotes de ligne protestent-ils contre le déplafonnement de leur âge limite d’activité en vol à 65 ans, inscrit dans un amendement parlementaire au budget de la Sécurité sociale pour 2009, qui doit être examiné lundi au Sénat. Les cheminots font valoir le risque d’une remise en cause du statut et des conditions de travail des conducteurs du fret. Les conditions de l’activité syndicale et du déclenchement d’un conflit social sont soumises au texte de la Charte d’Amiens, qui date de 1906, et qui se défend d’adopter un point de vue politique. Cette ambiguïté demeure aujourd’hui, mais elle rencontre de plus en plus d’incompréhension de la part du public.

 

 


La grève a longtemps fait peur aux patrons féroces
Et s’est inscrite en creux dans les progrès sociaux,
Car les gens ont fait face aux rendez-vous martiaux
Que les pouvoirs en place ont donnés à ces rosses !


Nos travaux sont stressants, mais ne sont plus atroces
De nos jours, les chefs ont toujours des trucs spéciaux,
Mais ces conflits n’ont plus leurs bons droits initiaux,
Les gueux vont bras croiser au pied de nos carrosses.


Les plus à plaindre, au fond, sont bien ces voyageurs,
Nos ronds-de-cuir ont tout, sauf l’air de partageurs :
Chaque arrêt de travail les garde hors d’un chômage !


La lutte est plus commode ainsi, dès qu’au final,
Elle a perdu sa cause au terme, et c’est dommage,
La grève au temps moderne est un sport national !