Le Vendée Globe est la Formule 1 de la Mer
Les skippers du Vendée Globe vont à nouveau connaître les bonheurs et surtout les affres de la course au large, en s’élançant dès dimanche en direction des 3 caps mythiques pour un tour du monde en 3 mois, seuls, sans escale et sans assistance.
Tout au long du parcours, quelque 24.000 milles nautiques, soit 43.000 kilomètres, les marins sont sans cesse à la limite de leur potentiel physique. Les bateaux sont de véritables bolides, faits pour prendre le vent de face, de travers ou de l’arrière avec le maximum de couple. Ils sont réglés pendant des mois au millimètre par une équipe de 3 à 7 personnes, où chacun possède une spécialité différente. Il vaut mieux utiliser un voilier à 70% de ses performances qu’à 100% avec un bateau moins puissant, pour aller à la même vitesse, explique Alain Gautier : sur un Vendée Globe en solitaire, c’est important car c’est un gage de performance et de fiabilité. Vainqueur en 1993, il est aujourd’hui consultant technique auprès de l’organisation de la course.
L’épreuve consiste à faire le tour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance. Elle a été lancée par Philippe Jeantot en 1989, et à cause de son caractère extrême, de multiples fortunes de mer et de vicissitudes terribles éprouvées par les concurrents, elle a longtemps prêté le flanc à la critique et aux controverses, au point qu’il a été envisagé de l’annuler. Au cours de l’édition de 1992, Bertrand de Broc s’est recousu la langue face à un miroir et avec les conseils du médecin de la course.
Le 7 janvier 1997, Gerry Roufs disparaît alors qu’il était en 2ème position ; des moyens de recherches importants sont mis en œuvre. Des cargos sont déroutés, les concurrents les plus proches se lancent à sa poursuite, mais la tempête qui fait rage les contraint à cesser leurs recherches. Un satellite d’observation canadien est mis à contribution, sans résultat. La coque de son voilier est retrouvée la quille en l’air le 16 juillet, par hasard… Les recherches ont été longtemps suivies par les médias, qui ont mis le doigt sur les conséquences de cette course au large, et leur démesure. Depuis, un accent particulier est mis sur la sécurité. Est-ce qu’on n’est pas allé trop loin ? Nous le saurons dans trois mois, déclare Alain Gautier, fataliste. C’est pourquoi les marins ont un certain nombre de points de passage à respecter. En plus des 3 grands caps, Bonne-Espérance, Horn et Leeuwin, de nouveaux jalons ont été précisés cette année.
Depuis la 1ère édition, en 1989, bien des progrès ont été réalisés. Titouan Lamazou avait bouclé son tour du monde en 109 jours. Vincent Riou, le vainqueur de la dernière édition, a pulvérisé le record en 87 jours. Jamais le plateau n’a été aussi relevé, disent certains. C’est d’ailleurs la première fois d’ailleurs que 2 anciens vainqueurs reprennent le départ. Vincent Riou l’a remporté en 2005, et Michel Desjoyeaux en 2001. 14 concurrents qui s’alignent cette année y ont déjà participé, et 7 sont déjà montés sur le podium. Ce coup-ci, tout le gratin de la voile est au rendez-vous, et les Français sont en nombre, avec 17 participants. La compétition s’est largement internationalisée, mais seules 2 navigatrices britanniques sont au départ.
Les 60 pieds open mesurent 18,28 mètres de long, sont construits en fibre de carbone, ont les dernières nouveautés technologiques à bord. Ces monocoques sont conçus pour être le plus léger possible et suffisamment solides pour résister aux pires conditions que la mer peut leur imposer. Les voiliers doivent aussi prouver leur capacité à se remettre à l’endroit en cas de chavirage. Cela fait partie des dernières règles de sécurité en vigueur. Le mât est haut de 26 mètres, et peut supporter jusqu’à 500 m² de voilure. En solitaire, on n’envoie que 270 m² de toile au près et 380 m² au portant. En effet, il faut encore pouvoir se rendre à l’avant ou en tête de mât par gros temps lorsque l’enrouleur ou une drisse est coincé… voire plus grave !
Au cours du Vendée Globe 2000, Yves Parlier a effectué une réparation de son bateau en s’abritant dans une crique. Les photographes de presse ont pu l’approcher à quelques mètres, mais n’ont pas pu monter à bord du voilier : le règlement de la course exigeait qu’il se débrouillât seul pour aller à terre, sans dépasser la limite des plus hautes marées pour rester en lice. En cas de naufrage, un concurrent peut accueillir à son bord une personne en difficulté sans être disqualifié. Lors de la 3ème édition, Pete Goss a sauvé Raphaël Dinelli en le prenant à son bord. Il a dû ensuite se dérouter pour le déposer dans le port le plus proche.
Il n’y a que peu de confort à bord, et le skipper passe la plupart de son temps dans des crash seats situés sous un auvent qui sépare le cockpit ouvert de la table à cartes. Là, se trouve le système nerveux du bateau, avec tout l’électronique, l’informatique pour aider à la navigation, pour vérifier les performances et communiquer. Le bateau évoluant au contact de 2 univers liquides aux densités différentes, l’air et l’eau, il est soumis à des perturbations incessantes. À pleine vitesse, on a l’impression d’être à l’intérieur d’une lessiveuse… Difficile de prendre un peu de repos, d’autant plus que les sens demeurent en alerte, à l’affût d’une saute de vent ou d’une avarie. Un grand nombre de déchets naviguent entre deux eaux sur l’océan : espars, icebergs ou containers perdus par des cargos et qui dérivent au gré des courants. Il arrive aussi que des bateaux soient entrés en collision avec une baleine.
Aux Sables-d’Olonne, tout le monde est sur le pont, prêt à en découdre, mais sans jamais plus se voir jusqu’au printemps prochain… Chaque navigateur a la possibilité d’emprunter la route qu’il juge la meilleure, et l’étendue de l’océan est immense. Le routage est interdit : les concurrents ne peuvent pas bénéficier de l’aide d’une personne à terre qui étudie la météo pour leur fournir la route à suivre, comme c’est le cas lors d’autres courses. Ils doivent se débrouiller avec les bulletins météorologiques fournis par les autorités locales et l’organisation de l’épreuve. Cette formule extrême de la course au large est réservée aux puristes !
Trois mois de mer, de vent, de peine et de courage
Pour faire un tour du monde à fond et sans en voir
Ni ses beautés, ni ses passions… C’est un pouvoir
Qui prend les gens au cœur, parfois dès l’amarrage.
Ils vont courir les mers dans l’ombre et sous l’orage
À bord de grands châteaux de toile, où leur savoir
Ne peut rien contre un grain qui bat dans un lavoir
Des reins ; les flots vont leur faire un tir de barrage.
Où sont ces soirs sans fin, passés sur les pontons
À faire un monde et ses couleurs sur tous les tons ?
Ils n’ont plus dans les yeux que la peur et des larmes.
Les doigts font de gros cals tout durs et qui font mal
D’avoir souffert ce long calvaire et tant d’alarmes,
Mais vivre ainsi, c’est fort et pour eux, c’est normal.