Contrebande et Contrefaçon : la Piste mène en Russie

Contrebande et Contrefaçon : la Piste mène en Russie

Diane de Selliers et son équipe éditoriale sont en colère. Selon le conseiller du ministre de l’Intérieur de Russie, Anatoli Koulikov, La contrebande, la contrefaçon et les délits fiscaux sont devenus les principales branches de l’économie de l’ombre russe, et c’est ce qu’il a déclaré le 25 septembre dernier devant les députés de la Douma. Outre les produits de consommation courante, la drogue, les armes et les produits pharmaceutiques alimentent le flux de contrebande en Russie. Aucun secteur n’est épargné.

En 2006, à la Foire internationale du Livre de Francfort, la maison d’édition spécialisée dans le livre d’art a remarqué 4 ouvrages présentés par ses confrères russes de Slovo, d’une équivalence étrange avec les siens… Nous nous sommes procurés leur catalogue, puis nous avons recherché des exemplaires sur Internet et sur des réseaux de vente, explique Joséphine Barbereau, responsable éditoriale des Éditions Diane de Selliers, pour nous rendre compte d’une odieuse contrefaçon.


La Divine Comédie de Dante, illustrée par Botticelli, le Faust de Gœthe, par Delacroix, Le Decameron de Boccace, par lui-même et les peintres de son époque, les Métamorphoses d’Ovide, par la peinture baroque, circulent sur le marché russe du livre d’art depuis plusieurs années, identiques en tout point aux livres diffusés par l’éditeur français, vraisemblablement de façon frauduleuse. On peut même se les procurer en France, puisque nous y sommes parvenus, poursuit Joséphine Barbereau.


Chaque livre des Éditions Diane de Selliers rassemble plus de 300 peintures et représente des années de recherche, de réflexion, de sélection iconographique pour mettre en résonance l’œuvre littéraire et les peintures. En cela, il constitue un véritable travail d’auteur. Et un manque à gagner important. Difficile d’en savoir le montant exact, d’ailleurs… L’éditeur estime que 5.000 exemplaires de chaque ouvrage ont été vendus. Mijo Thomas, présidente du groupe Art au Syndicat national de l’Édition, est stupéfaite : je condamne avec la plus extrême vigueur ces pratiques illégales qui contreviennent à la loi sur le droit d’auteur.


En plus de l’équipe éditoriale de Diane de Selliers, beaucoup de gens se sont impliqués dans la réalisation de ces ouvrages, privant les musées, les agences photographiques et les propriétaires des œuvres de leurs droits habituels. La contrefaçon est d’autant plus grossière que sur certaines images, on peut encore voir les surpiqûres et les fils des livres des Éditions Diane de Selliers qui ont été décousus pour être scannés. La mise en page des ouvrages, les œuvres, le rythme, les cadrages et les agrandissements des peintures qui accompagnent les textes cités ont été intégralement et strictement copiés.


Les photos nous appartiennent, car nous avons obtenu l’autorisation spéciale du musée de Berlin et du Vatican pour reproduire les tableaux, nous signale Joséphine Barbereau. Le préjudice de l’éditeur est alors aux prises avec la raison d’État. Son concurrent Slovo a pignon sur rue à Moscou, et travaille en bonne intelligence avec le Kremlin. Une conciliation a été proposée, mais Slovo s’est d’abord fait tirer l’oreille pour répondre. Puis l’éditeur russe nie l’évidence… Une plainte a été déposée le 6 août 2008, et il faut encore attendre le 6 novembre pour ouvrir une instruction. Les choses traînent en longueur, et puisque Slovo ne possède pas de représentation commerciale en France, il devient très difficile d’agir contre l’éditeur indélicat.


Les Éditions Diane de Selliers tentent d’associer les propriétaires des œuvres reproduites à leur action en justice, mais se heurtent souvent à la gêne et l’indifférence de ses partenaires. Slovo est un concurrent de poids, l’équivalent de Gallimard en France, et il pourrait devenir difficile de répondre à des offres à venir dès lors qu’on s’oppose à lui. Diane de Selliers dénonce une attitude désinvolte face au plagiat, dans la mesure où les intervenants d’un secteur d’activité bien particulier, où tout le monde se connaît et se fréquente, répugnent à crier au scandale. Diane de Selliers a commencé sa carrière chez Tchou, puis elle a travaillé pour Hatier et l’éditeur belge Duculot. Mais face à ce problème, ses confrères n’ont que leur compassion à lui offrir…


En Russie, le manque à gagner provoqué par les délits fiscaux s’est chiffré à 2,6 milliards d’euros l’année dernière, l’État ayant récupéré à peu près la moitié de cette somme. Bien que la contrefaçon et la piraterie soient des phénomènes par nature difficiles à quantifier, l’OCDE estime que le seul commerce international des marchandises contrefaites s’élève à 200 milliards de dollars en 2005, et concourt à 5% des échanges dans le monde. Les pays centres de production de contrefaçon sont eux-mêmes victimes de cette activité frauduleuse : 90% des saisies opérées par l’administration chinoise en 2004 concernaient des marques chinoises contrefaites par des ressortissants chinois.


Tout récemment, un trafic russe de cigarettes contrefaites à partir de la marque chinoise Jin Ling a fait l’objet d’une enquête exceptionnelle de la part de membres de l’International Consortium of Investigative Journalists. L’entreprise qui se trouve derrière ce marché noir en rapide extension, la Fabrique de Tabac balte, a son siège social dans l’enclave russe de Kaliningrad, et dispose de liens avec 2 des plus grandes sociétés mondiales de production de tabac. Comme les éditions Slovo, elle possède des liens avec le pouvoir en place, tout comme avec les plus puissants acteurs économiques…


Comment un petit éditeur, comme Diane de Selliers, peut-il espérer lutter contre une concurrence aussi déloyale ? Comment doit-on aborder un travail de création, d’innovation, en mettant en œuvre les moyens pour le réaliser, si ses concurrents parmi les mieux lotis s’en exonèrent sans plus de frais ? Bien entendu, pendant que la procédure se met en route, le trafic se poursuit.

 

 


Comment se prémunir d’un produit contrefait ?
On a du mal à vendre et que veux-tu qu’on fasse
Si les pouvoirs publics ne font surtout pas face,
Car leurs discours ne sont jamais suivis d’effet !


Il faut bien vivre avec, car permettre un forfait
Convainc les gens qui sont tapis sous la surface
De choisir plutôt l’ombre au tact de la postface,
La pieuvre est noire et tout le monde est satisfait.


Le fruit de leurs méfaits se cachait sous la plinthe,
Hélas, on ne sait plus s’il vaut mieux porter plainte
Ou se remettre à l’œuvre et plaire au mauvais sort.


Il faut du goût pour faire à son tour des affaires,
Des efforts, de la chance et beaucoup de ressort,
Mais il faut suivre, en mieux, les rabais tarifaires !

 


Découvrir les beaux livres de Diane de Selliers sur leur site.