De Niro’s Game - rentrée 2008

De Niro's Game - rentrée 2008

Un premier roman pétillant qui se déploie dans l’univers carcéral d’une pensée unique axée sur la fuite. Fuir Beyrouth ravagée par les bombes, fuir à tout prix l’enfer du Liban des années 1980 …

Enfermé d’un un seul schéma intellectuel, Bassam compte les bombes qui pleuvent sur sa ville – plus de dix mille – comme d’autres les moutons pour s’endormir ; mais lui ne dort pas : la nuit est son domaine. Bassam est ivre de colère et sombre dans le nihilisme avec son ami d’enfance, son "frère" Georges, avec qui ils siphonnent les réservoirs des vieille Américaines pour remplir celui de leur moto et caracoler dans les rues désertes. Voyous sans foi ni loi, les deux compères écument la nuit en rêvant de partir. Bassam se voit déjà à Rome tandis que Georges n’a d’yeux que pour les filles aux tenus légères. Mais elles ne dépasseront pas cet ultime stade de la provocation, muselées par la tradition, prisonnières de la famille et dans l’impossibilité de se déplacer facilement à cause des couvre-feux …
Georges, qui finit par se laisser prendre aux sirènes du chef de la milice et devient responsable d’un casino clandestin. Cela donnera des idées aux deux amis : détourner le butin à leur propre compte.

Dans une langue pimentée et onirique, Rawi Hage parvient à dépeindre l’absurdité de cette période où les gens vivaient comme des rats en se terrant au moindre bombardement, où les petites filles mourraient dans les bras de leur mère après avoir reçu des éclats, où les bombes ravageaient les appartements et emportaient avec elles leurs occupants – dont le père de Bassam, puis sa mère –, où les adolescents portaient des cheveux longs et des revolvers à la ceinture, où la peur, cette lèpre rampante et invisible, sciait en deux les visages, tannait les peaux et détruisaient l’essence même de l’envie raisonnable ouvrant à la volée les deux battants de la folie pure, cristallisée dans l’inconscience, laissant les gens cribler de balles une voiture pour une simple place de parking ; où les chefs de guerre n’étaient rien d’autre que des malfrats, des mafieux qui rackettaient, enlevaient, tuaient … Avec des clés volontairement grossières, Hage nous montre Samir Geagea et Bachir Gemayel, entre autres salopards, dans leur quotidien construit sur la haine et affichant un discours faussement nationaliste ; allant jusqu’à s’allier avec Israël pour précipiter la chute des Palestiniens, en sacrifiant Beyrout-Ouest, puis le pays tout entier.
La guerre est ici présente dans sa plus simple expression, permettant aux uns et aux autres de se comporter comme des animaux sans foi ni loi, raison du plus fort qui peut se retourner très facilement contre soi, comme l’apprendra Bassam, trahit à son tour par Georges, avant de parvenir à fuir pour Paris, où l’histoire le rattrapera puisque le Mossad qui a retourné Georges le suit de près, de très prés …

Mené à un train d’enfer, ce roman que l’on devine aussi porteur d’une certaine vérité, est un témoignage fort de ce que la guerre parvient à faire, à tous les niveaux de la conscience humaine, dans sa manière insidieuse de saper les fondements de la société des hommes. A méditer.

Rawi Hage, De Niro’s Game, traduit de l’anglais (Canada) par Sophie Voillot, Denoël & D’Ailleurs, septembre 2008, 269 p. – 20,00 €