Algérie : près de 5.600 affaires de légalisation de mariage devant le tribunal

Le mariage par la seule Fatiha sévit toujours malgré l’instruction du ministère des Affaires religieuses faisant obligation aux imams de ne prononcer la fatiha que pour les unions déjà officialisées par un acte administratif dûment établi et présenté par les deux époux lors de la cérémonie. Aujourd’hui, le mariage par la seule fatiha sans aucune forme de légalisation de l’union auprès des administrations civiles officielles est un phénomène qui prend une ampleur inquiétante en Algérie, notamment dans les villes de l’intérieur.

En effet, nombreuses sont les familles algériennes qui font, de nos jours, appel à des imams qui ne respectent pas la consigne de la transcription du contrat de mariage dans l’état civile dictée par le nouveau code de la famille.

Des statistiques recueillies auprès du tribunal d’Alger révèlent d’ailleurs que le nombre d’affaires liées à la légalisation de mariages par la Fatiha a atteint 5.600 affaires. Ces chiffres restent, selon les dires de bon nombre d’avocats, en deçà de la réalité.

Mme Ibouchoukane, avocate près la cours d’Alger, estime qu’aujourd’hui pour « légaliser leur union, certains couples se contentent, en toute inconscience des dangers encourus, d’une simple lecture de la Fatiha par un taleb en présence de quelques témoins, au lieu de s’adresser aux institutions de l’Etat pour officialiser leur mariage ». Il est à noter également, souligne Mme Ibouchoukane, que les motifs des procès entamés sont souvent la légalisation du mariage ou la reconnaissance de la paternité lorsque le géniteur nie son implication. Elle ajoute que « ce type de procès atterrit souvent devant le juge du statut personnel qui tranche au bout de trois mois ».

Aujourd’hui, le mariage par l’unique Fatiha, pratique conforme aux préceptes de l’Islam longtemps reconnue, acceptée et assumée par la société, est devenue dangereuse vu les risques qu’elle engendre.

Le mariage par la Fatiha

ne protège pas les droits

de la femme

A ce propos, Mme Ibouchoukane atteste que « la société algérienne en mutation connaît beaucoup de changements, tant au niveau économique que social. La transcription du mariage auprès d’institutions officielles n’est que la conséquence de situations difficiles face auxquelles nombreuses femmes ont été confrontées ».

Le mariage, un acte de consentement mutuel pour fonder un foyer basé sur l’amour et le respect, est régi par les articles 4 et 18 du code de la famille qui stipulent la nécessité de sceller cette union sacrée entre deux êtres majeurs et consentants devant un notaire ou un officier de l’état civil.

Cette disposition légale n’a malheureusement pas dissuadé beaucoup de jeunes de se limiter au strict minimum pour officialiser religieusement leur union et ce, par la lecture d’une Fatiha par un taleb. Ce qui représente, selon les préceptes de l’Islam, une légalisation du mariage.

Sur un autre chapitre, un autre avocat déclare que le mariage par la Fatiha ne protège aucunement les droits de la femme. Ainsi, bien que les hommes de loi ne cessent de mettre en garde contre une pratique en vogue qui ne préserve à aucun titre les droits civiles de la femme, nombreuses sont celles qui négligent le fait de transcrire l’acte auprès des institutions officielles, se contentant de la lecture de la fatiha. « Une femme mariée par la Fatiha n’a aucun droit sur un mari qui peut rompre l’union par la même fatiha sans jamais rien risquer. La femme ainsi livrée à elle-même perd tout ses droits et est, par conséquent, livrée à un véritable parcours du combattant devant les tribunaux pour faire reconnaître son mariage », déclare l’avocat.

Le mariage est, continue-t-il, prouvé par un extrait des registres de l’état civil. S’il n’est pas transcrit, il peut être prouvé par une ordonnance du parquet conformément à l’article 22 du code de la famille.

S’exprimant sur la fréquence des plaintes de femmes liées à la reconnaissance du mariage, Mme Ibouchoukane affirme que le service de l’état civil de la commune de Gué de Constantine accueille chaque semaine des dizaines de victimes. Elle atteste, par ailleurs, que les tribunaux relevant de la cour d’Alger, à l’exemple du tribunal d’Hussein Dey, reçoivent chaque semaine des affaires liées à la reconnaissance du mariage par la fatiha.

Fréquence de mariages non

officiels : comment l’expliquer ?

L’existence de mariages non officiels s’explique par plusieurs facteurs. Par le passé, les gens se mariaient en se contentant de réciter la Fatiha, sans avoir recours aux institutions officielles. Leur entourage savait qu’ils étaient liés par les liens du mariage et cela ne posait aucun problème à ce niveau, explique en substance M. Wahab A., avocat.

D’autres raisons expliquent ces mariages non déclarés comme la polygamie, les couples dont un membre bénéficie d’une pension de survivant qui lui serait automatiquement retirée en cas de remariage et d’autres motifs.

De son côté, M. Boudjemaâ Ghechir, président de la Ligue algérienne des droits de l’Homme, impute l’augmentation du nombre des mariages par l’unique Fatiha en premier lieu au refus des imams de respecter l’instruction du ministère des Affaires religieuses leurs faisant obligation de ne prononcer la Fatiha que pour les unions déjà officialisées par un acte administratif. L’article 8 du code de la famille qui interdit au mari de prendre une deuxième épouse sans le consentement de sa première conjointe en est aussi incriminable. « Les hommes impliqués dans des cas de mariage par la Fatiha sont pour la majorité déjà mariés et puisque l’article 8 du code de la famille empêche l’homme de prendre une seconde épouse sans l’accord préalable de la première, ces derniers recourent au mariage par la Fatiha, périlleux pour la femme », ajoute-t-il.

A son tour, maître Fatma-Zohra Benbrahem soutient les déclarations du président de la Ligue algérienne des droits de l’homme en attestant que l’article 8 du code de la famille est directement incriminé dans l’augmentation du nombre de mariage par la Fatiha et doit être revu. Par ailleurs, l’avocate indique que les affaires liées à la reconnaissance des mariages contractés par la Fatiha sont traitées dans un délai n’excédant pas les trois mois.

En effet, l’absence d’un acte de mariage officiel prive les familles en question du livret de famille. Aussi, à présent, la délivrance de bon nombre de pièces administratives est conditionnée par la présentation de ce document. De plus, continue-t-il, « la non-officialisation d’un mariage pose aussi problème sur le plan successoral en raison de l’impossibilité d’établir la filiation des descendants parce que, aux yeux de la loi, ils sont illégitimes ». Autre inconvénient, l’impossibilité pour une femme d’obtenir les différents droits en cas de séparation comme la pension alimentaire, le reliquat du Sadaq (dot), la pension due pour la période de viduité (Idda) et le don de consolation (Moutaa) évalué en fonction de la durée du mariage et de la situation financière de l’époux.

De sévères sanctions contre les imams

Cheikh Abdelhamid, imam à la mosquée de Gué de Constantine, assure que « la Fatiha n’est prononcée dans les mosquées de la wilaya que pour les unions scellées auprès d’un notaire ou d’un officier de l’état civil. Aucun imam ne doit transgresser l’instruction ministérielle sinon il s’exposera à de sévères sanctions administrative qui vont même jusqu’à la suspension », souteint-il.

Malgré les peines répressives prononcées par le ministère des Affaires religieuses, certains imams continuent à transgresser la loi. Le pire, insiste M. Abdelhamid, est que les familles algériennes font même appel à des individus qui n’ont même pas le statut de l’imam, ce qui complique la tâche de la légalisation du mariage auprès du tribunal.

Que disent les sociologues ?

Pour Mme Saïfi, sociologue, les conditions économiques et sociales, le coût excessif des dots et la crise de logement ont conduit au recul de l’âge du mariage mais seraient aussi responsables de l’augmentation du taux des unions par la Fatiha aussi bien dans les villes que les zones rurales. "Beaucoup y voient d’ailleurs un moyen accepté par la société et la religion pour réparer des situations sociales parfois incommodantes", souligne-t-elle.

Elle ajoute également que dans certaines circonstances, le mariage par la fatiha n’est qu’une astuce pour cacher un concubinage ou une sorte de "zawadj el moutaâ". La sociologue ne manque pas de dire aussi qu’une femme mariée par la Fatiha perd tous ses droits légaux et est, de ce fait, à la merci de son mari.