Pour Jacques Thomet les FARC n’ont pas l’Intention de libérer Ingrid Betancourt

Pour Jacques Thomet les FARC n'ont pas l'Intention de libérer Ingrid Betancourt

Correspondant de l’Agence France-Presse à Bogota jusqu’en 2004, Jacques Thomet n’en suit pas moins depuis sa Franche-Comté natale tous les méandres du processus de libération des otages en Colombie. La France s’est toujours sentie impliquée pour accélérer celle d’Ingrid Betancourt, et Jacques Thomet exerce une veille de tout premier ordre sur son blog après avoir été sur tous les fronts au moment où la candidate franco-colombienne à l’élection présidentielle a été enlevée. Son premier livre, Ingrid Betancourt : Histoire de Cœur ou Raison d’État jetait un regard original sur une première tentative d’exfiltration avortée qui lui a valu d’être censuré par les télévisions françaises. Si l’enregistrement de l’une d’elles a rejoint la poubelle, ce fut sur intervention de Matignon… Un nouvel ouvrage est en préparation. La visite de Rafael Correa, président en exercice de l’Équateur, est-elle propice à relancer les négociations ? Jacques Thomet nous dresse un état des lieux exclusif :

Le MAGue : D’après vous, que vient chercher le président équatorien à Paris et qu’a demandé Nicolas Sarkozy à Rafael Correa ?

Jacques Thomet : La France espère en Rafael Correa de la même manière qu’elle a mis beaucoup d’espoir en la médiation d’Hugo Chavez. La visite du président équatorien fait suite à celle de Bernard Kouchner en Amérique latine en avril. La libération d’Ingrid Betancourt, on le sait bien, est une priorité de Nicolas Sarkozy, et le chef de l’État français ne peut faire autrement que de favoriser un dialogue entre ceux de la région. En ce qui concerne Rafael Correa, la mort de Raul Reyes pose un gros problème. Le président équatorien recherche l’appui de la France car il est attaqué en permanence par la Colombie, qui le considère partie prenante dans le soutien à la guérilla. Lors de l’attaque d’un camp de base des FARC à l’intérieur du territoire équatorien, l’armée colombienne a pu démontrer la mansuétude des autorités de leur voisin envers la guérilla, d’une part, et récupérer l’ordinateur de l’un de leurs chefs. Interpol doit valider jeudi les 3 disques durs de l’ordinateur de Raul Reyes. De nombreuses informations sont diffusées qui mettent en cause les autorités équatoriennes et vénézuéliennes, telles que l’aide financière des FARC à la campagne présidentielle de Rafael Correa en novembre 2006. José Luis Zapatero lui a renouvelé sa confiance à Madrid lundi et Rafael Correa vient chercher la même chose à Paris, dans la mesure où le scandale risque d’être important en Équateur.

Le MAGue : La destruction d’une base militaire des FARC à l’est de l’Équateur par l’armée colombienne le 1er mars dernier a-t-elle vraiment discrédité Rafael Correa ?

Jacques Thomet : Le soutien équatorien aux FARC est avéré, il a déjà été démontré par des témoignages de guérilleros repentis notamment. Il faut se représenter une frontière commune longue de 400 Km recouverte de jungle. Pour accéder à tel ou tel endroit, il n’y a pas d’autre possibilité que de remonter les rivières, ce qu j’ai fait moi-même pour rencontrer Raul Reyes en 2004. L’un des documents reprend la requête des FARC aux autorités équatoriennes de retirer les militaires qui ne manifestent pas de sympathie pour la guérilla. En réalité, il y a beaucoup d’affaires d’espionnage dans la région et toutes les informations ne remontent pas au président. Bogota, juste avant le lancement de l’attaque du camp le 1er mars, a donné un coup de téléphone secret à l’armée équatorienne… L’état-major de l’armée est en fait divisé à propos de la politique de Rafael Correa notamment vis-à-vis des FARC. On sait depuis un bon moment que Gustavo Larrea, son ministre de la Sécurité, est impliqué avec la guérilla.

Le MAGue : Les antagonismes de l’Équateur et du Venezuela à l’encontre de la Colombie ne sont-ils pas plus le fruit d’un atavisme régional que d’une divergence politique de circonstance ?

Jacques Thomet : Non, je ne crois pas, il s’agit vraiment d’un profond clivage idéologique entre Hugo Chavez, qui se prend pour le nouveau Bolivar, et le nouveau Che Guevara… Les convictions de Rafael Correa s’en rapprochent beaucoup au niveau international et celui-ci voit en Alvaro Uribe un suppôt de la CIA. En Colombie, le gouvernement mis en place l’a été pour mettre fin au terrorisme de la guérilla. Sa politique est approuvée par une population lasse de l’insécurité. Le président Uribe a été crédité dans un récent sondage de 82% d’opinions favorables. Franchement, il est impossible que la libération d’Ingrid Betancourt ait été empêchée par le décès de Raul Reyes, comme le prétend Rafael Correa… Le 27 février, 4 ex-parlementaires, dont Luis Eladio Perez, ont fait l’objet d’une libération unilatérale de la part des FARC, et le jour même, la guérilla diffuse un communiqué stipulant qu’il n’y aurait plus de libération de la sorte. Les FARC ont toujours respecté ce qu’ils disent dans leurs communiqués. Enfin, Rafael Correa est toujours populaire dans son pays mais son pouvoir est plus contesté que celui de son voisin Alvaro Uribe.

Le MAGue : Quels sont les atouts et les lacunes de la France pour jouer un rôle décicif dans la libération d’Ingrid Betancourt et des otages des FARC ?

Jacques Thomet : Le gros problème de la France est qu’elle ne peut s’empêcher de procéder à toutes ces actions à grand spectacle qui ne produisent qu’un maigre résultat. Emmanuel Todd a dit la semaine dernière que s’occuper d’Ingrid Betancourt, c’est fuir la réalité : pour les citoyens français, la solution des problèmes d’Ingrid Betancourt ne leur apporte rien en terme de freinage de la baisse de leur niveau de vie. Je me demande dans quelle mesure de telles actions ne sont pas plus destinées à détourner l’attention du public des questions de politique intérieure… En la matière, il vaudrait mieux privilégier la Realpolitik, la diplomatie secrète… Les autorités françaises n’ont pas de contact avec la guérilla, c’est d’ailleurs Astrid Betancourt qui l’a affirmé ! Les Suisses, par exemple, sont d’une discrétion exemplaire et d’une efficacité bien meilleure. Ils ont des contacts au plus haut niveau à Genève avec les FARC. Les éditorialistes colombiens n’en finissent pas de se gausser des interventions télévisées de Nicolas Sarkozy s’adressant au chef de la guérilla. Le fait de croire qu’en traitant Marulanda d’interlocuteur fait preuve de naïveté. La guérilla a démontré que sa cruauté n’a pas de limite. D’autre part, le problème des otages en Colombie est mal compris par le public français qui fait l’objet d’une information biseautée tandis que le Quai d’Orsay manque d’informations fiables. La politique française est étrange : Paris passe à chaque fois dans le dos de Bogota et tient toujours Hugo Chavez comme un interlocuteur privilégié alors qu’il est désormais complètement grillé. Les autorités colombiennes ne sont pas considérées comme réellement partenaires par la France, qui ne traite pas d’égal à égal avec elles. Ce ne sont pas des façons de faire ! La solution consiste, avec l’Église colombienne, la Suisse, la France et l’Espagne, à rechercher des solutions en commun, ce qui a reçu le feu vert de Bogota. Or, les FARC veulent obtenir un territoire et multiplient les réunions dilatoires. Imaginer qu’on puisse réunir les gens sans délai pour régler la question est une ineptie. Alvaro Uribe s’est déclaré d’accord pour libérer les prisonniers, même les guérilleros inculpés de crime contre l’humanité mais il n’est toujours pas d’accord pour concéder la zone de Pradera et Florida aux FARC. Mais ceux-ci n’ont jamais donné la liste des guérilleros dont ils demandent la libération. Sinon, la France serait prête, selon François Fillon, à les accueillir sur le territoire français, ce qui est une idée qui n’ira pas de soi, si jamais elle était à l’étude… Raul Reyes lui-même m’a dit que les FARC n’accepteront jamais de voir leurs guérilleros quitter la Colombie. La guérilla ne pratique pas le double jeu et n’a surtout pas l’intention de libérer ses otages sans obtenir d’abord son mini-État.

Le MAGue : Vous avez été chez les FARC et rencontré leurs chefs lorsque vous étiez en poste à Bogota pour l’agence France-Presse, quelles ont été vos impressions ?

Jacques Thomet : Quand ils parlent, c’est toujours la langue de bois typique… Ils font de grands discours, mais je n’ai jamais pu voir Ingrid Betancourt, ni aucun autre otage, et je n’ai jamais obtenu de preuve de vie. Les FARC font monter la pression et comme les Chinois, raisonnent à très long terme. Ils se montrent toujours très intéressés quand des concessions leur profitent. Le tapage autour d’Ingrid Betancourt leur va parfaitement, et leur drame serait qu’elle disparaisse. D’après les témoignages, les conditions médicales sont minimales et la vie est très spartiate. C’est aussi de plus en plus difficile pour les FARC parce que l’armée est désormais partout. Mais la guérilla est branchée sur Internet et voit tout ce qui se passe chez nous et apprécie l’intoxication dont l’affaire Betancourt fait l’objet. Militairement, ils sont en complète déconfiture, ils ont eu 10.000 morts ou démobilisés. Il y a cinq ans, on ne pouvait pas sortir de Bogota en voiture, les routes n’étaient pas sûres. Aujourd’hui, c’est complètement différent. Il est d’ailleurs extrêmement rare qu’une voiture soit piégée. Il y avait 3.300 enlèvements par an en 2001. Ce chiffre est tombé à moins de 300 en 2007. Les FARC ne contrôlent plus aucun territoire à cause de la politique de réinsertion, il y a de nombreuses désertions dans leurs rangs et des tentatives d’assassinat sur leurs chefs ! En revanche, la politique du gouvernement colombien ne se ressent pas au niveau social, il existe une amélioration, mais elle n’est pas vraiment substantielle. Le point fort est la répression.

Le MAGue : Quel est selon vous, l’impact de la campagne en faveur de la libération d’Ingrid Betancourt sur le règlement du conflit intérieur en Colombie ?

Jacques Thomet : Tant que les FARC détiennent Ingrid Betancourt ils ont la poule aux œufs d’or. Il y a également beaucoup d’intoxication via les comités Betancourt. Les bons sentiments sont contraires à la Realpolitik et les comités Betancourt ne connaissent rien à la guérilla. Fabrice Delloye, ex-mari d’Ingrid, a dès le début pris en grippe le gouvernement colombien depuis qu’il a quitté son poste d’attaché commercial à Quito pour l’avoir mis en cause, ce qui a déclenché une crise diplomatique grave en 2004. Il voue une haine féroce à Alvaro Uribe et le présente comme s’il était responsable de tous les maux des otages alors que ce sont les FARC qui les détiennent. Ce faisant, il rend service à la guérilla. Chaque communiqué qu’il fait referme Ingrid un peu plus dans ses fers !

 

 


Deux mois que tout le monde a perdu le contact
Avec les chefs de ces soldats de l’épouvante,
Et qui veut croire en ce moment la voir vivante ?
Tout coi, plus que l’absence, a un énorme impact.


On ne sent pas non plus que l’espoir reste intact
De la remettre un jour malgré ce qu’on nous vante,
Tant la piste est secrète et souvent décevante
Et celui qui la suit doit s’y prendre avec tact !


Nous n’avons pas compris l’objet de ce chantage :
Un fief contre un serment de rendre aux siens l’otage
N’est pourtant pas si neuf aux yeux d’un vrai forban.


Sera-t-elle en tout temps le prix trop cher du nombre
De ceux qu’ils ont laissés sans plus de sens au ban ?
La proie est prise au piège obscur des lois d’une ombre.

 

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