Les femmes formulent à l’encontre des hommes le grief de
duplicité qui leur est régulièrement retourné dans les
ratiches:elles-mêmes seraient des intrigantes ayant porté le mensonge
sur des cimes inégalées.

Pour mettre tout le monde d’accord on pourra
affirmer sans faire de jaloux que les uns et les autres n’ont rien à
s’envier dans l’art du faux semblant. En vérité seuls les moyens
divergent.
Alors que les mâles seraient du genre taiseux et basiquemment évasifs
les femmes sont depuis la nuit des temps des virtuoses du "white lie"
ou "mensonge blanc". Le "white lie" c’est le truc imparable, l’alibi
par essence invérifiable qui protège la femelle de l’ingérence
masculine à la manière d’une armure de samouraï. C’est une figure de
réthorique tellement utilisée par les femmes qu’elle s’érige comme une
seconde langue en ombre portée sur la parole officielle.Si la fille
que vous convoitez ne désire pas vous voir et souhaite être tranquille
avec un rival elle dira simplement :"Tu sais je vais être très occupée
cette semaine et ce week-end je vais rendre visite à mes parents…"
Absolument imparable et il faut être très jeune, très naïf ou très
optimiste pour imaginer ses actions à la hausse après une telle
annonce de résultats. Parfois cependant le hasard s’amuse à battre en
brèche le "white lie" trop désinvolte, celui que son auteur utilise
avec une insolence narquoise,une arrogance intouchable.

C’était Jeudi
soir que tout avait commencé. Ma caméra et moi-même nous trouvions à
la sortie d’une journée décevante à l’angle de la Rue des Saint-Pères
et du Bd Saint-Germain.Une très belle fille,à la beauté intimidante
justement si bien qu’une hésitation suffit pour perdre l’occasion et
ce d’autant que tombé du ciel arrive un plongeur du flirt, un
homme-grenouille du racolage urbain qui jette sans attendre ses filets
dérivants sur la sirène. Ce n’est plus de la drague, c’est du
braconage, un acte piraterie justifiant la non-prescrition en droit
maritime. Un peu dépité je m’assois pourtant et observe. Et j’assiste
au naufrage du flibustier.Fort du principe qu’un adversaire qui vient
d’être assailli est affaibli je me lance à mon tour, tenant ma caméra
comme un étendard, de façon chevaleresque. Il s’ensuit une lutte
épique ou je bataille pied à pied,ne cédant que peu de terrain dans ce
combat dialectique qui me mène devant la porte de son immeuble.Je
propose un verre, elle n’a pas le temps. Pour finir j’obtiens un
rendez-vous pour le lendemain,à cinq heures à l’angle de la rue…Sauf
cas de force majeure !…

Et c’est le lendemain à quatre heures que je
reçois le texto suivant :"Ne peux pas venir au rendez-vous,me trouve
loin de Paris,je ne rentre que dans une semaine, si ça peux vous
convenir ?" On a beau décrier le pessimisme celui-ci a du bon. Comme je
m’attendais à ce coup fumant j’ai lu le texte avec tout le détachement
qui s’imposait et pour changer des Editeurs (ou j’avais mes habitudes)
décidais d’aller lire le Monde au Bar du Marché devant un café. Je
suis même passé acheter des perles de coco au chinois d’à côté. C’est
au moment ou j’attaquais la lecture du supplément magazine qu’une
fille mince et jolie est venue s’assoir sur la banquette à côté de
moi.Puis une autre la rejointe que je n’ai pas reconnue tout de suite
mais qui s’est figée en me voyant. Elle me fixait pétrifiée alors
qu’aucun son ne parvenait à sortir de sa bouche et que ses joues se
coloraient de rose.L’inconvénient du mensonge blanc c’est qu’il est
très salissant. Et ma jolie menteuse en faisant sa lessive
existentielle a peut-être pensé qu’il est un Dieu mystérieux qui tire
les ficelles à notre insu.

Mais il faut pas rêver, ça c’est moi qui
l’ai pensé. Elle, elle se demandait comment sauver la face. Je lui
fis alors la réponse du berger à la bergère, mon mensonge blanc à
moi(on est gentleman ou on ne l’est pas) : "Vous étiez en banlieue et
vous venez à peine de rentrer n’est-ce pas ?"Il était 17H15.

Photographie : David P. Henry

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