Paul Ricœur, le courage de penser (autrement)

Ce coffret de deux DVD, qui contiennent des entretiens inédits et des témoignages de ses proches (l’historien François Dosse, les philosophes Myriam Revault d’Allonnes et Olivier Abel ou encore Olivier Mongin, le directeur de la revue Esprit …), nous dresse un portrait complet de ce grand philosophe français, trop peu connu.

Le philosophe Paul Ricœur (1913 - 2005) s’insurgea bien vite contre une manière de penser trop rigide et n’eut de cesse que d’aller vers une philosophie de la pluralité. Pour lui, penser c’est avant tout aller vers l’autre : ainsi, l’altérité devient une source de fascination et non plus une menace. Il se tourne vers le futur, une manière aussi de conjurer le sort et de fuir le deuil. Pupille de la nation (mère morte en couches et père disparu lors de la guerre 1914-18), il sera élevé par sa tante et se plongera très tôt dans les livres.

Paul Ricœur est une personne en marche, c’est sa manière d’être, sa définition de la vie. Elève brillant mais turbulent, il cultivera une certaine insolence qui le fera être renvoyé de pas mal d’établissement. Il faut dire à sa décharge qu’il savait déjà le programme avant la rentrée scolaire, toujours ces livres qu’il dévorait … Et de cette rage de lire naîtra sa vocation pour une philosophie de la méditation sur la vie. Il sera d’ailleurs pacifiste dans les années 1930.

Malgré une foi ancrée en lui, il la gardera pour la sphère privée, et enseignera une philosophie agnostique, une philosophie de l’action avec deux thèmes clés : l’être avec (qu’il opposera au célèbre l’enfer c’est les autres) et la voie de l’engagement (en opposition à la liberté sort de la fonction). Son livre Soi-même comme un autre sera d’ailleurs le pivot de son œuvre.

Joignant ses actes à ses paroles, il s’engagera dans la vie de tous les jours ; ainsi il fera 24 heures de garde à vue le 9 juin 1961 pour son soutien à la cause algérienne ; puis il voyagera en Chine en 1954 avant d’écrire, en 1956, dans la revue Esprit Paradoxe politique en réaction à l’invasion des troupes soviétiques en Hongrie.

Paul Ricœur plaide également pour une laïcité ouverte et une démocratisation de l’enseignement, il s’implique dans des programmes éducatifs expérimentaux et publie en 1959 Le symbole donne à penser. Il continue son approche, toujours en recherche de cette terra incognita qui lui fait dire qu’il n’y a pas de philosophie sans faire appel à des éléments non philosophiques … pour, justement, les confronter. En cela, on pourrait dire qu’il est calviniste puisque l’interprétation est vécue d’une manière éthique, et son pragmatisme toujours mis en avant.

En 1965, après avoir lu toute l’œuvre de Freud en allemand, une performance rarissime, il publie De l’interprétation, essai sur Freud dans lequel il explique que le sens ne s’atteste pas seulement dans le dire mais aussi sous le dire. Cela crée une vive polémique avec Lacan, ce qui l’affecte beaucoup …
Il sera alors traité de ringard, et sa pensée traversera un immense tunnel dont elle ne sortira que dans les années 1980. Entre temps il sera doyen de la faculté de Nanterre en 1969 … avant de démissionner en 1970 suite à des agressions physiques et psychiques, tant de la part des étudiants que de l’administration.

Six mois plus tard, il sera à Chicago pour un cycle de cours un semestre par an, en alternance avec la faculté de Louvain, en Belgique. Aux USA, il se confrontera avec la philosophie anglo-saxonne, plus analytique, et rencontrera Hanna Arendt, avec qui il s’entendra à merveille. Il deviendra un passeur : apportant la philosophie métaphysique du vieux continent, et rapportant les techniques d’analyse pratiquées outre Atlantique.

Paul Ricœur est le penseur de la complexité qui a toujours rejeté les clichés et la facilité ; c’est le penseur du milieu, de la voie médiane ; en cela il nous donne une leçon de sagesse dans cette recherche radicale d’un juste milieu qui se veut toujours ouvert et conciliant. En recherchant un inachevé qui puisse avoir un sens ouvert vers d’autres possibles, Paul Ricœur nous apporte une réponse à tant de questions impossibles en plaçant l’homme comme centre de rayonnement.

Ce coffret essentiel pour qui veut aller plus loin dans la science de la pensée permet une approche ludique et pratique de l’œuvre de ce philosophe hors norme. Le documentaire de Caroline Reussner se regarde comme un film. Et le découpage qui présente par petites scènes la pensée de Paul Ricœur, offre une lecture plus technique. Ponctué par le livret qui pétille de trouvailles, l’ensemble est une pièce maîtresse de la culture française contemporaine.

Caroline Reussner, Paul Ricœur – Philosophe de tous les dialogues, 2 DVD & 1 livret de 28 p., Editions Montparnasse, février 2008, 35 €

DVD 1 –
Le film : présentation biographique (57mn)
Les grands chapitres de la pensée, de l’œuvre de Paul Ricœur (19mn)
DVD 2 –
Les grands chapitres de la pensée, de l’œuvre de Paul Ricœur suite (2h 39mn)
Livret –
Paul Ricœur, le tragique et la promesse
Entretien de Paul Ricœur avec Olivier Abel pour le film d’Antenne 2 Présence protestante les 15 et 20 décembre 1991.

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