Israël, Sarkozy et le nouveau philosémitisme européen

Israël, Sarkozy et le nouveau philosémitisme européen

Pour fêter dignement les 60 ans de cet état voyou, remettons un peu les pendules à l’heure, n’en déplaise à Nicolas Sarkozy qui s’est, une fois de plus, largement répandu au dîner du Crif pour une politique de la France en faveur d’Israël, en complète opposition avec la politique traditionnelle de la Ve République.
N’en déplaise à Marek Halter qui pleurniche et détourne l’attention à propos des réelles motivations de l’appel au boycott du Salon du livre de Paris, dont l’invité d’honneur est l’état hebreu.
Pour cela, il est indispensable d’ouvrir les pages d’un brûlot écrit par … un israélien. Histoire de nous rappeler qu’il n’y a pas que Michel Warschawski pour mener la Résistance …

Il y a donc 60 ans que la Nakba eut lieu. Depuis lors, la plus folle entreprise de colonisation du XXème siècle est menée tambours battants avec force mensonges et communications biaisées. L’une d’elles étant ce que le président français osa dire le 13 février 2008 : en effet, le contenu central de cette intervention a été éclipsé par sa bêtise du jour, le fait d’associer chaque enfant de CM2 à la mémoire d’un enfant français victime des nazis. Mais cela n’était en rien gratuit, et surtout très efficace, car tout le monde s’est focalisé là-dessus et en a oublié … tout le contenu de son allocution !
Il est aussi intéressant de noter que celle-ci eut lieu devant le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) qui n’est plus du tout représentatif de tous les juifs de France. On est loin de la présidence de Théo Klein qui apportait un soutien critique à l’État d’Israël. Le Crif n’est aujourd’hui qu’une simple courroie de transmission du mouvement sioniste : il lutte contre la République française, accusant d’assimilationnistes tous les juifs républicains héritiers de la Révolution et de l’abbé Grégoire. Il agit comme un lobby à l’américaine et entretient d’ailleurs des liens étroits avec l’AIPAC et l’AJC aux États-Unis.
Pour en savoir plus, et sur cet organisme, et sur les dires de Sarkozy, nous vous conseillons de lire le rapport qu’en fait le Réseau Voltaire.

Nous nous bornerons ici à vous démontrer que les "méchants" ne le sont pas toujours et que les "gentils" sont parfois des monstres, et tous ces messieurs s’en donnent à cœur joie pour vos brouiller les idées. Remarquez, c’est normal, on les dit intellectuels, de gauche et promoteurs de la paix ... alors que pas du tout ! Explications.

Yitzhak Laor est romancier, poète et critique littéraire au grand journal israélien Haaretz. Il vit et travaille à Tel-Aviv et vient de craquer devant le déferlement d’inepties, de mensonges et d’insultes quotidiennes déversées par les médias qui reprennent pour argent comptant les dires de certains intellectuels qui n’ont d’honnêteté dans leur propos que l’arrogance salace avec laquelle il nous les servent ... Trop c’est trop, trop ce fut trop et, un beau matin, la coupe fut pleine, et la main habile de l’écrivain s’est saisie d’un bloc, nota quelques idées qui devinrent des articles au vitriol. Une bombe à effet de souffle. Mais faudrait-il encore que ses échos soient repris. Face à l’assourdissant silence de la complicité malfaisante de nos majors, ne restait qu’un éditeur indépendant capable du pire : j’entends pourfendre les censeurs, les penseurs inféodés et le courant à sens unique de l’incivilité mondiale qui gangrène nos cités. Voici donc le dernier pavé dans la mare que La fabrique vient de jeter. Fasse que les ondes telluriques émises par cet acte d’humanité aillent s’étendre au plus loin pour dessiller les yeux du plus grand nombre ...

Le ton est donné dès la première page du livre par le sommaire qui énonce clairement ce à quoi nous nous attaquons :
I. La Shoah nous appartient (à nous, les non-musulmans) ;
II. Le droit au retour (du colonial) / Le "camp de la paix" et ses sponsors français ;
III. "Il faut beaucoup de ténèbres et d’amour de soi" / Amos Oz, Une histoire d’amour et de ténèbres : narcissisme et Occident ;
IV. "Je ne veux pas connaître leurs noms" / Sur la haine de l’Orient : A.B. Yehoshua et la honte d’être séfarade.

Il est évident, pour Yitzhak Laor, qu’Israël manipule l’opinion et instrumentalise les plaintes des Juifs contre l’antisémitisme, particulièrement en France, alors que la télévision nous inonde d’images terribles des territoires occupés ; cela afin de doubler le passé. L’Histoire est détournée par celui qui en fait le récit dans le présent, créant des distorsions et des amalgames dangereux.
Laor est tout aussi dépité de constater que la Shoah est utilisée à des fins politiques, et par ceux-là même (les Alliés de la guerre 1939-1945) qui l’avait rangée au second plan de leurs préoccupations.
Israël a, au cours des dernières décennies, modifiée son approche de la question : sa version se diluant dans le discours de l’Occident, y cédant la dimension concrète de cette tragédie et sa fusion avec une version qui est totalement étrangère à un Juif israélien né en terre sainte. Car cette version semble sortir du néant comme si on la racontait depuis l’événement lui-même, avec sa journée anniversaire célébrée dans le monde entier, alors que d’autres génocides (amérindiens, africains ...) sont toujours ignorés ... Ainsi, la Shoah est devenue l’image de tout ce que l’Europe n’est pas aujourd’hui : le génocide participe de la dictature, de l’intolérance et de la haine d’Israël. Il n’est pas ce que les Européens savent d’eux-mêmes, mais, grâce à lui, ils savent ce qui est le contraire d’eux-mêmes.

La lecture de l’Histoire est toujours le seul prisme par lequel il convient de jeter un œil sur le passé. Ainsi l’on reste sans voix quand on apprend : qu’au procès Eichmann, pour ménager le chancelier Adenauer, c’est Ben Gourion lui-même qui interdit de parler du rôle de Hans Globke (le conseiller du chancelier) dans le IIIème Reich ; que toutes les entreprises des nazies ont continué comme si de rien n’était à fonctionner dans l’Allemagne de l’Ouest, amie d’Israël ; que les soldats ayant déserté l’armée nazie n’ont jamais touché leur retraite alors que ceux qui ont servi dans les SS touchent leur pension (sic) !
Il est grand temps de faire son examen de conscience ... car pour l’heure, on s’est bien dispensé de rendre des comptes à ceux qui avaient osé résister : on a fait un joli paquet, on a mis l’étiquette la Shoah, et on a fermé les yeux sur le passé. L’oubli est la pire des tombes, et les millions de morts côté soviétique sont gommés des tablettes puisque la mémoire du nazisme s’est transformée en mémoire du génocide et la mémoire du génocide en mémoire d’Auschwitz ; et depuis la disparition du communisme l’autre pan de cette effroyable tragédie s’est volatilisé : 8,6 millions de soldats morts au combat, 16,9 million de civils dont près de 7 millions de Juifs ... Ffff !

Mais le problème d’Auschwitz est bien plus pervers : il est en fait une métaphore dans le discours européen sur le génocide juif. Il occulte le devoir de mémoire en déplaçant le problème. Pourquoi l’Allemagne a choisi une ville polonaise plutôt que Bergen-Belsen ou Buchenwald  ? Pour reléguer l’horreur là-bas, à l’Est, chez les Slaves inférieurs ? Et pourquoi oublier dans la célébration du nazisme toutes ces dizaines de millions de morts non-Juifs qui ont péri du fait de la cruauté allemande ? La nature de la mémoire allemande porte à caution, et avec elle celle de toute l’Europe occidentale.

Pour Yitzhak Laor, il est grand temps que les Français méditent l’exemple allemand afin de ne pas sombrer dans les mêmes travers : pour tenter de sauver les valeurs chrétiennes et lutter contre une montée de l’anti-islamisme on utilise l’altérité juive, autrement dit israélienne. Cette alliance judéo-chrétienne s’appuie sur un passé biaisé et ne correspond à rien de concret. On ne peut forcer quiconque à entrer de force dans la modernité, pas plus les anciens Juifs à qui on tondait les papillotes que les musulmans d’aujourd’hui à qui on reproche de porter le tchador. Il y a un lien invisible qui s’est tissé aux plus hauts niveaux politiques des pays occidentaux entre la culture de la Shoah et la haine de l’islam qui fait rage aujourd’hui. Tout s’organise autour de cette idée : les uns (les Juifs) sont comme nous, les autres (les musulmans) sont différents de nous. Ainsi, la nouvelle Europe a crée ce dont elle avait besoin, ce "nouvel antisémitisme" pour commémorer le passé et pouvoir se consacrer à l’Autre semblable à soi, et pleinement effacer l’Autre véritable à travers sa haine du musulman.

"Ce ne sont pas des êtres humains"

Quand un expert de la mémoire juive - qui prétend à un monopole dans le domaine - s’exprime avec une telle arrogance, il faut chercher le non dit. Il faut surtout se méfier de ce type d’intellectuels qui ont le pouvoir de fabriquer de la vérité. Il ne faut plus se laisser bercer par les discours de A.B. Yehoshua, ce fasciste qui déclarait en 2004 "... ce sera une guerre de nettoyage" pour évoquer une éventuelle guerre contre les Palestiniens ; ou encore en juillet 2006, à propos de la guerre au Liban, "Nous sommes enfin tombés sur une guerre juste". N’oublions pas que la coupure d’électricité dans la bande de Gaza de juin 2006 ("les dialysés n’en mourraient pas") était l’exécution de son programme : c’est ainsi qu’un intellectuel assassine ...
Car le problème majeur de Yehoshua est son besoin de séparation totale d’avec les Arabes, ne supportant pas que 20% de la population israélienne soit palestinienne, allant jusqu’à commettre un roman raciste (La Mariée libérée, Calmann-Lévy, 2003) dans lequel les Arabes d’Israël ne sont pas palestiniens mais quand ils se conduisent en Palestiniens, alors ils sont des traîtres ou des attardés ; s’en suit une diatribe contre les poèmes de Mahmoud Darwich ... Et personne en Europe n’a mis le moindre bémol à l’accueil chaleureux réservé à ce livre. Serait-ce que la haine des immigrés et de l’Orient a besoin d’un défenseur israélien ?
Yehoshua le séfarade - qui a manifestement plus besoin d’une psychanalyse que d’un éditeur - veut une frontière qui place le Palestinien en Orient et le Juif en Occident ; d’où son propos xénophobe dans une interview, "je ne veux pas connaître leurs noms" et parallèle avec l’anathème juif Que leurs noms soient effacés ... et malgré cela, en Europe, on nous le présente comme pacifiste et on lui décerne le Prix de la paix, à Naples, en 2004 ...

Et que dire de Claude Lanzmann ou David Grossman ou encore Amos Oz, tous jouant un rôle prépondérant dans la propagande israélienne et maniant à merveille l’arsenal des stéréotypes coloniaux pour toujours s’associer à la pensée de l’Europe, offrir un imaginaire qui nie le musulman, l’Arabe ...
Laor illustre parfaitement ses propos avec force exemples des dires et des écrits de chacun, soulignant comment le mensonge planétaire des "offres généreuses de Barak" a si facilement pris lors de Camp David II ... De même, il étudie les déclarations des officiers de l’état-major lors du début de l’Intifada de 2000, et les termes employés démontrent combien l’idéologie coloniale est dominante en Israël.

Le point d’orgue de la démagogie sioniste est atteint lorsque Amos Oz publie en France, chez Gallimard, Une histoire d’amour et de ténèbres, son roman autobiographique présenté par l’éditeur comme "l’itinéraire personnel de l’écrivain associé à la trajectoire de tout un peuple". Seul petit écueil : pas un seul personnage du livre est non ashkénaze ; or Israël compte 60% de Juifs non ashkénazes (sic). Personne ne relève parmi les journalistes français, personne ne lui parle de l’occupation plus violente que jamais lorsque Oz accuse les intellectuels français d’être anti-israéliens. Etonnant, non ?

Laor dénonce aussi - et quel régal - la pensée nauséabonde de Finkielkraut qui, quand il n’écrit pas des âneries fait de belles déclarations aux journalistes israéliens dans lesquelles il annonce une nouvelle alliance judéo-chrétienne dans laquelle le génocide des Juifs joue un rôle pour permettre aux occidentaux de définir le mal. Ainsi se matérialise la dimension universelle de la Shoah qui englobe les victimes du colonialisme et de l’esclavage. En sus, indépendamment du passé du peuple juif, elle est achevée, ce qui l’a fige comme un cauchemar qui est inscrit dans le passé, et cela donne un argument pour faire la morale à ceux pour qui le drame dure encore ...
Indigne d’une pensée philosophique, juive qui plus est, le concept d’antiracisme à la sauce Finkielkraut dénonce une idéologie qui serait axée contre les Juifs dès lors qu’on parle du mur de séparation ou du sionisme, poussant son cynisme abject jusqu’à voir l’incarnation du Mal dans tous les régimes "non démocratiques".
Avec cette manière de penser, Finkielkraut pose les bases d’un nouveau récit où Juifs et passé constituent l’unique test de la liberté humaine (sic). Quid des autres peuples ? Rien, nous dit-il : "L’Amérique démocratique et l’Europe démocratique ressourcent leurs principes communs dans la commémoration de la Shoah." Facile alors de traiter d’antisémite tout adversaire d’Israël ou des USA, comme l’a été le président Chavez dernièrement. CQFD.

Mais qu’on s’y entende bien : ici il ne s’agit pas véritablement de perpétuer la mémoire du génocide mais bien de consolider une nouvelle idéologie de l’exclusion. Désormais, les Juifs sont à l’intérieur, ils appartiennent à l’élite en marchant sur le cadavre des Droits de l’Homme. Ils peuvent désormais participer à la violation des droits des autres.

Yitzhak Laor, Le nouveau philosémitisme européen et le "camp de la paix" en Israël, traduit de l’hébreu par Catherine Neuve-Église et de l’anglais par Eric Hazan, La fabrique éditions, octobre 2007, 165 p. – 17,00 €