NIHILISME ET CREATEURS : le mariage du XXe siècle…

 NIHILISME ET CREATEURS : le mariage du XXe siècle…

Un univers pictural en ébullition… Dans « Approches de l’art moderne,
Des œuvres, des hommes, des destins », Marc Alyn, avec talent, nous
fait pénétrer dans l’intimité de 42 artistes, engouffrés dans la
sublime cocotte-minute de la désintégration…

Après les flamboyances et les préciosités du siècle bourgeois, voici
l’ère des ricanements, des peurs extrêmes, des individus pulvérisés, de
la société coupée, de la confusion artistique – parfois géniale -
érigée en système… Avec beaucoup d’habileté, Marc Alyn (1) plante le
décor pictural (« Une saga de l’art moderne ») puis y fait rentrer une
quarantaine d’artistes marquants du XXe siècle : Picabia, Duchamp, Arp,
de Chirico, Ernst, Van Velde, Dubuffet, de Staël, Pollock, Balthus,
Magritte, Bacon, Cocteau, Garouste, Atlan, Prévert, Alechinsky, Van
Hirtum, Hartung, Matta, Durrell, Michaux, Savinio, Zurn, Wols…Mais il
nous prévient : « Hiroshima est partout dans la tête, au même titre que
l’holocauste. La folie, le suicide, l’overdose éblouissante demeurent
des éléments incontournables de la quête. Chacun tend au flash, au
satori mystique, à la fusion avec le Rien primordial. »

Dans ces APPROCHES DE L’ART MODERNE, essai à la fois érudit et
ludique, Alyn nous présente donc ces drôles de monstres (peintres,
sculpteurs, plasticiens…) sur un ton familier et critique. Par de
brèves et pertinentes haltes, chacun d’eux défile, semblant ficelé à
la fois par son élan créatif et ses contradictions. Et nous rentrons
dans un univers d’autant plus intime que ces APPROCHES DE L’ART MODERNE
nous évoquent simultanément l’homme et l’œuvre. Une confrontation
troublante, car là se tisse le destin… Dans cette galerie d’Art
racée, nous voyons évoluer l’imprévisible Picabia, ce champion de
l’inarticulé, richissime autiste (!), hostile à tout code ; le très
méticuleux Magritte, plus attaché à son « message humoristique » qu’à
la peinture, qu’il considère comme un simple procédé ; le fiévreux de
Staël, orfèvre de la couleur possédé jusqu’à son « Concert » final par
la musicalité de son oeuvre… et bien d’autres créateurs !

Ces APPROCHES DE L’ART MODERNE nous confirment un des traits majeurs de
la sensibilité artistique du XXe siècle : son profond nihilisme. A
propos de ces artistes précurseurs, Alyn note : « La plupart […] se
veulent des aventuriers de l’esprit à l’affût, non de la beauté, mais
de quelque illumination extrême s’achevant en désintégration… »

Au final, un ouvrage percutant qui plaira aux initiés ainsi qu’à tous
ceux qui cherchent simplement à « approcher » l’art du XXe siècle. En
tout cas, l’essai d’Alyn constitue une excellente base pour mieux
appréhender celui du siècle suivant. Le regretté Christian
Delacampagne, dans un récent et visionnaire essai sur l’art (2),
écrivait : « Peut-être l’un des effets les plus néfastes du futile et
cruel XXe siècle a t-il été de nous faire perdre de vue la réalité de
ce fardeau, le sérieux de ces exigeances [pesant sur le créateur].
Autrement dit, de nous faire croire que tout était facile, la
créativité comme le reste – et qu’il suffisait de se laisser porter. »
Un débat des plus actuels !

« Approches de l’art moderne, Des œuvres, des hommes, des destins », de
Marc Alyn, éditions Bartillat, 2007, 380 pages. Prix : 28 euros

(1) Marc Alyn est poète, essayiste et critique. Son œuvre a été
couronnée de prix prestigieux, parmi lesquels le Prix Max Jacob et le
Grand Prix de Poésie de l’Académie française. Récemment il a publié « 
Le Piéton de Venise » (prix Henri-de-Régnier, 2005) et « Paris point du
jour » (2006) aux éditions Bartillat.

(2) « Où est passé l’art ? » de Christian Delacampagne, éditions
Panama, 2007, 212 pages. Prix : 15 euros

A lire : « Au risque de l’art », de Thierry Delcourt avec la
participation des artistes Enki Bilal, Mauro Corda, Gérard Garouste,
Guy Goffette, Jean-Yves Gosti, Boris Lejeune, Alain Maison, Michel
Nedjar, Gérard Rondeau, Nicolas Rozier, Eric Tanguy, Vladimir
Velickovic. Editions L’âge d’Homme