JEAN-PAUL DUMONT, PÈRE DE L’ALBATROS ET DES ADULTES HANDICAPES MENTAUX (interview)

JEAN-PAUL DUMONT, PÈRE DE L'ALBATROS ET DES ADULTES HANDICAPES MENTAUX (interview)

Ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre de belles personnes... je veux parler de beauté du coeur évidemment !

Jean-Paul Dumont fait partie de la catégorie des individus qui sortent de l’ordinaire. En plus, vous allez vous rendre compte que ce monsieur n’a pas la langue de bois.

Si l’Abbé Pierre a consacré sa vie aux plus pauvres, Jean-Paul consacre la sienne aux handicapés mentaux Belges et Français... une vocation pour aider les plus faibles à retrouver le goût de vivre, sans être enfermés à double tour dans leurs propres prisons mentales, en même temps que dans un asile psychiatrique.

Comme dit Jean-Paul : "L’Albatros ce n’est pas "le meilleur des mondes", c’est un monde meilleur pour les personnes inadaptées au monde".

Assez de discours et place à l’homme sans frontières :

E-terview de Jean-Paul DUMONT

1/ Jean-Paul Dumont vous êtes le Directeur Général d’un grand centre pour adultes handicapés mentaux, en Belgique, que vous avez créé en 1973. Pourquoi l’avoir appelé "L’Albatros", est-ce un symbole en référence au poème de Charles Baudelaire ?

C’est effectivement en rapport avec le poème de Baudelaire. L’albatros, bel oiseau dans le ciel, handicapé sur le pont du navire avec ses ailes de géant qui l’empêchent de marcher...Cf encore le texte que j’ai rédigé sur la plaquette en regard du poème. Texte qui "démonte" le poème et qui montre les symboles. De plus je ne voulais pas étiqueter nos résidents en choisissant un nom péjoratif pour leur institution.

2/ Quelle est la particularité de L’Albatros et à quelles genres de déficiences mentales devez-vous faire face ?

L’Albatros accueille des personnes handicapées mentales sévères et profondes avec troubles du comportement. Tendance psychotique, autistique et ou autre handicap surajouté : épilepsie par ex.

En plus simple nous accueillons des personnes des deux sexes, ne pouvant s’intégrer de leur propre force dans la vie normale, pas même en ESAT, pour leur éviter un placement en hôpital psychiatrique.

3/ Combien avez vous de résidents et pour combien de personnels éducatifs ? Y-a-t-il un suivi sérieux sur le plan médical, psychologique ou psychiatrique ?

238 résidents aujourd’hui, 20 de plus en février 2008, pour 280 membres de personnel, équivalent à 240 temps pleins, pour une ouverture à 365 jours annuels. Dans cette équipe, un service médical comprenant un médecin psychiatre et deux généralistes, 3 infirmiers, 4 aides sanitaires et 3 psychologues.

4/ Pourquoi avez-vous souhaité que les personnes hébergées le soient dans plus de 13 maison individuelles, plutôt que dans un grand centre qui regroupe tous les services en un même endroit ?

Parce que l’Albatros est un lieu de vie et que chaque maison est personnalisée en fonction de ceux qui y vivent. On ne fait pas cohabiter un psychotique qui connaît 4 langues et qui a basculé dans la psychose à l’adolescence avec un autiste profond mutique.. L’Albatros est un petit village qui s’étend sur 30 Ha et qui possède des foyers dans quatre villages autour du sien, dont trois villages français.

5/ Avez-vous pensé au vieillissement, à la maladie et à la fin de vie des personnes handicapées ?

Depuis un an, s’est ouvert un FAM, (Foyer d’Accueil Médicalisé) le premier des Ardennes françaises, dans notre foyer "La Source" sur la commune de Taillette en Ardennes. Nous achevons de construire une annexe à ce foyer pour qu’il soit équipé de chambres adéquoites, infirmerie, morgue...Ayant depuis toujours accueillis des résidents français, souvent sans familles, nous avons acheté une concession dans le cimetière de Petit-Chapelle pour y installer un grand caveau, afin que nos français pupilles de l’état aient une sépulture décente.

6/ Quelles sont les inquiétudes des parents et des familles pour celles et ceux qui ont la chance d’en avoir ?

Que va devenir leur enfant quand ils ne seront plus là ? Nous y avons répondu à la réponse précédente !

7/ Vous vous êtes ouvert à la mixité, comment cela est-il vécu ? Parlez-vous, avec les personnes handicapées, de contraception et de prévention des maladies sexuellement transmissibles et pouvez-vous vous faire comprendre par toutes et tous ?

Un chapitre très vaste ou tout est mis en place par des membres de l’équipe qui ont la tâche de simplifier au maximum tous les problèmes liés à la sexualité, pour permettre à chacun de s’exprimer et de s’épanouir dans tous ses besoins quel qu’ils soient. Pour qu’il n’y ait pas d’abusés ni d’abuseurs. Il faut garder à l’esprit qu’un autiste profond et une autiste profonde ne font pas un couple, mais deux autistes...

8/ Quelles occupations proposez-vous à vos résidents ? Pourquoi avoir près d’une cinquante d’activités occupationnelles et sportives ? Vos pensionnaires sont-ils rémunérés pour valoriser les occupations effectuées, surtout ceux qui travaillent à la ferme de l’Albatros ? Par qui est géré cet argent ?

Des ateliers centrés équitablement, sur la nature, l’artisanat, l’expression. N’ayant aucun but lucratif. L’objectif étant de pouvoir établir un contact avec chacun à travers ses capacités et aptitudes pour qu’il puisse être fier de participer à la vie communautaire, même si pour certains ce ne sera jamais que symbolique.

Ils n’ont pas de rémunération, ça reste occupationnel, ils ont de l’argent de poche, le reste étant pris en charge par les pouvoirs subsidiants. Ex : Il y a autant de fermiers que de vaches dans notre ferme, c’est une activité valorisante qui est loin d’être florissante. Il ne faut pas oublier que chaque résident voyage dans 9 ateliers différents par semaine, pour une variété d’expression et non de production. Le sport s’ajoutant au reste pour une plus grande forme physique. Personne n’y échappe...


9/ Comment se passent l’intégration et les relations avec les populations locales ? N’y-a-il pas de phénomènes de rejet ou de méfiance, car certains se promènent à l’extérieur et en toute liberté ?

L’Albatros et les gens qui y vivent sont devenus incontournables, car combien de personnes vivent - elles grâce à l’Albatros en plus des services comme la crèche et la garderie ouvertes à tous les enfants, en plus de nos salles de spectacles et de sports, notre restaurant où se réalisent des banquets de mariage, communions et autres. Il serait anormal que les gens de la région regardent de travers les résidents de l’Albatros, ils font moins d’histoires que certains dits normaux ! Notre fête champêtre attire pas loin de 3000 personnes chaque année, qui prennent plaisir à découvrir toutes nos activités. Plus personne n’a "peur". Les enfants de la garderie qui mangent dans le même restaurant que nos résidents ne font pas la différence non plus.

10/ Parlez-nous des loisirs, des vacances et de l’autonomie de ces personnes ?

En juillet-août, 15 jours sont organisés dans des gîtes de France, d’Espagne ou d’ailleurs avec leurs éducateurs d’hébergement et des jeunes étudiants, pour les vacances d’été. Les vieillissants et les plus handicapés restent sur place pour des vacances plus paisibles.

Pour leurs loisirs, outre l’organisation quotidienne de l’équipe de loisirs en système maison des jeunes, ils vont partout et sortent plus que n’importe qui, voir Noah, Jonnhy et consorts. Cinq équipes jouent au tennis de table avec des amis joueurs associés venant de l’extérieur, en championnat traditionnel. Une autre équipe fait le championnat provincial de football en salle. Ils sont loin d’être ridicules et ils sont certainement plus fair play que les joueurs dits normaux !

Quant à leur autonomie elle varie évidemment de l’un à l’autre et nous organisons leur vie en fonction de leur niveau, si la loi est la même pour tout le monde ; il y a des décrets d’application différents selon les cas.

11/ Les parents ont-ils un droit de regard sur vos activités ? Et qui s’occupent de celles et ceux qui n’ont aucun lien familial ?

Les parents viennent un fois par mois passer le dimanche près de leur enfant et participent ainsi à l’activité organisée ce jour là : maman gâteau, bal masqué, théâtre, rallye etc.

En octobre : une semaine ouverte est organisée pour les parents, où chacun à l’occasion de venir partager le travail de son enfant dans l’atelier où il travaille. Certains parents sont incapable de réaliser les objets que réalisent leur enfant. Tous ces rassemblements familiaux sont propices aux échanges avec l’équipe, mais aussi avec ceux qui n’ont pas ou plus de famille. Les parents présents savent bien qu’un jour ils pourront aussi compter sur les autres, quand ils ne seront plus là.

Trois parents font parties des Associations de l’Albatros, une maman et un papa français, un papa belge. Ils sont tous les trois membres de l’Assemblée Générale.

12/ Vous êtes un des principaux employeurs de l’entité de Couvin ! Est-ce pour cela que vous avez été fait "Citoyen d’Honneur" de la ville Belge de Couvin ?

Sans doute !

13/ L’Etat Français vient de vous décorer, le 29 juin dernier, en vous faisant Chevalier dans l’Ordre National du Mérite ! Pensez-vous qu’on vous prenne pour modèle, vu que la France est restée en arrière en matière d’éducation spécialisée ?

Je veux rester modeste. Ces décorations belges et françaises font parties d’un tout et d’une vie consacrée au bonheur des autres, c’est à eux que le mérite revient, sans eux je n’aurais pas été récompensé pour mon travail, sans oublier toute l’équipe présente sur le terrain au quotidien. Ma richesse et ma réussite viennent des talents des membres de mon équipe. La réussite est de s’être entouré des bonnes personnes !

14/ Pouvez-vous nous parler de la création de "L’Albatros 08", le petit frère français du Belge, qui concerne le département des Ardennes ? Serez-vous également Directeur de cet établissement et sera-t-il conforme à vos souhaits ?

Le conseil général des Ardennes nous a demandé de réaliser le projet d’un centre d’activités occupationnelles pour 53 personnes, avec un hébergement pour 33 personnes, ainsi qu’un SAVS, (Service d’Aide à la Vie Sociale) pour tout le département. Etonnament, aucune Association Ardennaise ne s’était saisie du cahier des charges.

Je suis président de l’Association Albatros 08, je confie la direction à Madame Annie Demissy, l’actuelle directrice du centre audiophonologique de Charleville, elle connaît le secteur, elle possède le même charisme et le même engouement que le mien, elle perpétuera certainement très bien l’oeuvre entamée avec mes collaborateurs de l’Albatros. Ce sera une institution franco-francaise, même si le président est belge et nous allons prouver qu’en France, selon les personnels, on peut faire aussi bien qu’en Belgique.

Il faut savoir aussi, qu’avec tout le travail que nous réalisons avec nos amis français, j’ai été sollicité pour faire partie de certaines associations qui travaillent dans le médico-social. Je suis devenu administrateur de plusieurs associations et même président d’une grosse association ardennaise qui regroupe un IMPRO, un ESAT et une ETA, CAP EMPLOI, des hébergements pour ados et pour adultes. Tout ceci me plait, car j’adore mon métier.


15/ Vous avez commencé, avec votre épouse Yvette et une poignée de pensionnaires, dans un cadre purement familial ! N’avez-vous pas peur du gigantisme de "ce bel oiseau" qui a un peu la folie des grandeurs ?

Il faut savoir déléguer et faire confiance. Si ce bel oiseau est devenu grand c’est pour répondre aux besoins de ses oisillons. Le seul moyen pour réaliser des projets c’est d’augmenter le nombre de bénéficiaires, qui nous donneront les moyens financiers supplémentaires pour investir. C’est Perette et le pot au lait ! Il ne faut pas casser le pot...Nous ne risquons rien, nous avons un atelier poterie de qualité...

16/Vous êtes, assurément, un modèle pour nombre d’éducateurs et d’éducatrices... une sorte de référence professionnelle et sociale, ainsi qu’un "Père" pour celles et ceux qui vous sont confiés. Croyez-vous être un bon patron et comment vous perçoivent vos employés ?

Il faudrait le demander à l’équipe. Je pense avoir toujours été à l’écoute de chacun pour son travail et aussi parfois pour des problèmes plus privés. Pour épanouir ceux qui nous sont confiés, il me faut une équipe compétente et elle même épanouie. On ne fait jamais de mal à faire du bien. J’ai voulu que l’Albatros soit le modèle d’une famille heureuse, je crois que modestement j’y suis arrivé, en y associant aussi les parents de nos résidents.

17/ Comment procéder, tant du côté Belge que Français, pour les parents ou les services sociaux qui souhaiteraient placer un adulte déficient dans votre centre ?

Il suffit de nous écrire ou de téléphoner pour un contact, une visite, un stage. Nous répondons toujours. Nous ne garantissons pas que nous aurons une solution pour tous, ni une place. Mais je suis aussi président d’une fédération d’employeurs, dont l’Albatros fait d’ailleurs partie, qui s’appelle la Ligue Nationale pour personnes Handicapées et services spécialisés, (La LNH) Je me porte garant de la qualité des Services qui en font partie. Je peux donc introduire les personnes qui le souhaitent dans ces différentes institutions.

18/ Donnez-nous la date de votre prochaine grande fête annuelle et champêtre ! Etes-vous prêt à accueillir tous nos lecteurs qui viendraient se rendre compte sur place ?

Le 15 juin 2008, nous vous y attendons tous pour inaugurer nos deux nouveaux foyers de deux fois vingt lits et pour assister au vernissage de nos expositions qui célébreront les 35 ans de l’Albatros. Ca vaudra le détour.

19/ Le Gouvernement Belge tarde un peu à se former, depuis juin 2007. Croyez-vous aussi qu’on vous prenne comme modèle d’une unité flamande, wallonne, voire européenne... car vous réussissez à rassembler tant de personnes différentes pour leur offrir une véritable richesse ?

J’ai tardé à répondre pour que nos politiciens aient le temps de former un gouvernement, c’est fait. C’est un GDD, gouvernement à durée déterminée. Le jour où nos politiciens travailleront pour l’intérêt du peuple et non pour le leur, ils pourront créer un Albatros, ils seront riches, même avec un pouvoir d’achat vachement diminué...Ce qui est mon cas.

20/ Le mot de la fin, au journal Le Mague, est toujours à l’initiative de "l’E-terviewé" ! Qu’avez-vous à ajouter, avant que je ne vous remercie au nom de nos lectrices et lecteurs ?

Vous ne trouvez pas que j’en ai assez dit ? Alors, je vous attends pour que vous constatiez que la fiction correspond bien à la réalité. Merci à tous ceux qui me liront et très bonne année 2008.

L’ALBATROS

Rue du Bois, 5

B-5660 PETITE-CHAPELLE (Belgique)

Tél. 060/37 00 11 - Fax 060/37 74 62 à partir de Belgique

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Tél. 00 32 60 37 00 11 à partir de la France

Site Web : www.albatros-asbl.be