Saha / Liban : des sources aux mets les plus délicats

Saha / Liban : des sources aux mets les plus délicats

Le Liban n’est pas qu’un pays ingouvernable où l’état de droit s’est exilé depuis de nombreux mois. Fouad Siniora a beau s’escrimer à ne pas fâcher l’oncle Sam, la ficelle est trop visible pour que cela dure encore et encore … Une fois que la démocratie se sera de nouveau installée aux commandes, vous pourrez alors prendre un billet d’avion et aller découvrir ce pays unique en son genre. D’ici là, deux livres à suggérer au Père Noël pour vous mettre l’eau à la bouche …

Au sens propre s’entend, puisque le premier que l’on vous présente est un extraordinaire carnet de voyage qui s’accompagne de 150 recettes du Liban et de la Syrie. Sans vouloir alimenter une vieille querelle, et pour être tout à fait juste, au-delà des clans et des légendes, avant que la main coloniale française ne vienne dessiner une frontière là où il n’y en avait pas, ces deux pays partageaient un même peuple … ce qui se retrouve tout naturellement dans leur cuisine. Avec des variantes, cela va de soi, comme il y en a entre la manière de faire la bouillabaisse à Nice, à Marseille ou à Perpignan. Les influences culinaires suivent les petites différences culturelles – voire cultuelles – dans les détails, mais l’idée générale est bien à l’identique …

Grâce à ce livre vous allez découvrir l’influence arménienne (viandes et gibiers) sur la cuisine libano-syrienne, la présence de truffes (hé oui, elles proviennent du désert syrien), la carte des pains qui vont du man’ouché au pain aux olives, les pâtisseries salées de la région d’Alep au kibbé nayé au basilic (steak tartare local) que l’on trouve plutôt dans les montagnes sans oublier les mezzés de légumes ou la soupe de fruit de mer au fenouil et au safran, une spécialité du littoral.

Servies par les très belle photographies de Matt Harvey, ces recettes à nous rapportées sont le fruit du travail de Greg Malouf, un grand chef libanais né en Australie, connu pour son audace à marier les traditions du Moyen Orient à l’inspiration contemporaine et occidentale. Après avoir travaillé en Europe et en Asie, il profita de son voyage de noces au Liban pour dresser les prémices de son futur dessein et, lorsqu’il revint quelques années plus tard, accompagné de sa femme, écrivain, ils réalisèrent ce magnifique album plein de charme et de nostalgie, d’amour et de saveurs qui illustre à merveille ce que serait cette région du monde si la politique voulait bien l’oublier un instant pour laisser vivre le peuple dans sa splendeur et sa si belle variété …

Cette expérience gustative nous ouvre les portes d’une autre, bien plus intime, celle qui mènera le lecteur vers la source des origines, dans ce berceau du monde qui a vu les Phéniciens inventer l’alphabet que nous connaissons aujourd’hui, mais aussi une certaine manière de vivre et de marier les senteurs, dans une harmonie proche de la nature que nous devrions remettre à l’ordre du jour par ces temps incertains …

Le tumulte des sources, sous-titre du très bel album de Jean-Claude Forestier, convient si bien à ce pays du cèdre trop souvent chahuté que l’on aimerait bien oublier un instant cette histoire si tragique. Hé bien, justement, par ce livre nous irons plonger dans les beautés millénaires de ce pays jadis Eden, frappé depuis six mille ans par les foudres de l’Histoire des hommes. Ce corridor traversé par le Nahr el-Kelb, le fleuve du chien, qui débouche sur la mer, a vu passer toutes les hordes du temps, de Nabuchodonosor aux armées impériales des Napoléon, du Ier au IIIe, sans jamais se départir de son optimise et de sa foi en des lendemains plus cléments. C’est cela l’esprit libanais, un flegme tout britannique à la sauce orientale …

Pour illustrer ce pays ouvert sur le monde, Beyrouth est présentée sous tous les angles, sorte de navire échoué au pied des montagnes, capharnaüm bigarré et bruyant, sale et pollué, brisant les thèmes et bafouant les codes, une ville phénix que l’on n’aime pas mais qui nous envoûte, une ville magique que l’on fuit pour mieux y revenir. Une ville ? Plutôt une drogue …

Mais le Liban c’est aussi la mer, surtout la mer, et ses ports, de Saïda à Byblos, de Tyr à Tripoli, une nasse de vieux pécheurs ou un port industriel aux supers tankers qui viennent mouiller si près des marinas que l’on n’en perdrait son latin si l’on n’était pas en Orient … Ici tout se fait et se défait dans la même seconde sans se prévaloir d’un ordre établi. On ne sait pas comment cela fonctionne ... mais cela fonctionne !

Puis au nord on ira découvrir les neiges éternelles qui ne le sont plus depuis que le climat s’en pris les pieds dans le tapis des normes mais en hiver, cependant, demeure encore quelques hectares de blanche poudre pour skieurs en goguettes qui passent plus de temps sur les terrasses des palaces que sur leurs planches … Il est vrai que le paysage est d’une telle beauté que la contemplation est devenue un art de vivre.
En redescendant des Cèdres on ira s’arrêter dans le Chouf, le cœur historique du pays, le sanctuaire des druzes. C’est dans le chouf que l’émir Béchir construisit son palais, à Bet ed-Dine, et qu’il fit front, tant aux Ottomans qu’à Napoléon, et qu’il réussit à fédérer les clans, les tribus, les familles, pour que le concept d’un pays qui serait un jour le Liban puisse éclore et que les volontés coloniales des évangélistes et autres pasteurs soient contrées.

Après le tapis de bombes qui balaya le sud de Beyrouth en été 2006, les Libanais se sont relevés une nouvelle fois. Pour comprendre et partager ce qui vibre là-bas, dans ce pays de miel et de lait, de rage et de fureur, ce livre aux très belles photographies est indispensable puisqu’il donne à voir sans juger, et que la meilleure preuve d’un monde en mutation passe par l’image …

Lucy & Greg Malouf, Saha, voyage d’un chef à travers 150 recettes du Liban et de la Syrie, photographies couleurs de Matt Hervey, traduit de l’anglais par Jean-René Dastugue, couverture couleurs, 280x255, Editions du Rouergue, octobre 2007, 304 p. – 39,00 €
et
Jean-Claude Forestier, Liban – le tumulte des sources, coll. "Voyages", 280 x 300, couverture couleurs sous jaquette, La Renaissance du Livre, octobre 2006, 173 p. – 35,00 €